Annoncée par une dépêche AFP mi-octobre 2025, relayée uniquement au Canada et en Suisse, Abou Dhabi et les Emirats Arabes Unis lancent un contournement dans les faits de l’obligation de mariage civil préalable au mariage religieux. Le procédé ? Il suffit à des français de s’inscrire en ligne sur le site tamm.abudhabi ou son application mobile, et moyennant 200€ d’organiser son mariage musulman ou son mariage civil « charia-compatible ». Le procédé est ouvert aux étrangers, et la cérémonie a lieu en visio. Tout cela est possible en restant sur le territoire français. Pour une somme supplémentaire, l’acte de mariage peut être légalisé auprès du ministère émirati des Affaires étrangères, et donc reconnu en France.
Ainsi, les musulmans peuvent contourner l’obligation française (mais aussi suisse, belge, néerlandaise, luxembourgeoise,…) de contracter un mariage civil avant le religieux tout en restant sur le sol national. Les chrétiens, qui ne peuvent pas contracter de mariage religieux à distance, se retrouvent coincés, alors même que l’obligation française (art. 433-21 du code pénal) avait été conservée lors de la réforme Badinter de 1992 justement à cause des musulmans. Et les sanctions relatives à cette même obligation française avaient été alourdies en 2021 lors de la « loi séparatisme ». S’agissait-il en 2021 contrecarrer un séparatisme chrétien ou bien plutôt un séparatisme islamique ? La situation juridique actuelle est des plus absurdes, et crée une véritable discrimination entre les religions avec certains qui peuvent y échapper facilement.
Déjà auparavant, la difficulté de coincer les mariages musulmans sans mariage préalable (estimés à 40 000 par an en 2012) était réelle : toutes les mosquées n’ont pas de registres de mariage, et la méconnaissance du mariage musulman par le juge n’aide pas à la qualification. C’est ainsi qu’en 2013, un imam a été relaxé au bénéfice du doute en appel après avoir officié lors de plusieurs cérémonies qui l’avaient fait condamner en première instance en 2011. Pourtant, c’est au juge de qualifier ce qui est en droit français une cérémonie religieuse de mariage et non pas à l’imam. De plus, même au plus haut niveau de l’Etat on s’emmêle les pinceaux : en mars 2007 le ministre de l’intérieur répond au député Mourrut que le mariage musulman n’est pas une cérémonie religieuse mais d’un contrat civil avec cérémonie privée, et en mai 2007 le ministère de la justice répond au sénateur Masson que cet article du code pénal s’applique bien à tous les cultes et que le code pénal ne définit pas ce qu’est une cérémonie religieuse.
A quoi sert en réalité cet article du code pénal ? Trouvant sa source dans les articles organiques imposés à l’Eglise catholique par Napoléon lors de la loi concordataire de 1802, il visait à synchroniser les mariages civils et religieux pour éviter qu’un enfant naisse illégitimement de parents non considérés par l’Etat comme mariés. Le problème est qu’on imposait un carcan au mariage catholique (la religion majoritaire) qui avait toujours été libre, et que ce carcan était opposé à la conception catholique du mariage chrétien comme contrat-sacrement. Les papes ont protesté à de multiples reprises. Et 1905 a conservé cette obligation au motif de l’ordre public, alors même que l’Etat ne reconnaissait officiellement plus aucun culte. Depuis, il y a eu la généralisation du concubinage ainsi que l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe, les deux affaiblissant de fait l’institution civile du mariage. De nos jours, cette obligation, considérant de fait le mariage religieux comme un engagement moral important, vise à lutter en vrac contre les mariages religieux forcés, ou de mineures, le développement de régimes juridiques parallèles permettant la répudiation des femmes, et la polygamie religieuse.
Avec la mise en place de ce contournement enfantin de la loi via Abou Dhabi pour la religion musulmane, alors que ce sont justement ses excès qui sont visés par l’article du code pénal qui ne pénalise presque en réalité que les autres religions, il est temps que la loi s’adapte à la réalité.
– Soit il s’agit de cadrer tout le monde. Dans ce cas, il convient que tout le monde doive avoir des registres de mariage, et que les moyens de contournement en visio ne soient pas reconnus comme valides à l’Etat civil (voire soient pénalisés). D’ailleurs, c’est une discrimination supplémentaire basée sur la religion que ceux qui souhaitent avoir un mariage religieux aient des obligations, alors que ceux qui veulent une cérémonie de mariage laïque n’en ont aucune.
– Soit cet article du code pénal doit sauter purement et simplement comme en Allemagne et en Autriche (qui l’a déclaré non constitutionnel).
Enfin, il n’est pas certain que cette obligation du mariage civil avant le mariage religieux respecte au mieux la liberté religieuse garantie notamment par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 10 de la charte des droits fondamentaux de l’UE. En effet, en quoi cela serait-il dérangeant pour l’ordre public d’avoir toujours une autorisation administrative avant le mariage religieux, mais de permettre que le mariage religieux ait lieu avant le mariage civil (quitte à obliger le couple à se marier civilement derrière) ? Il s’agirait ainsi d’étendre simplement aux mariages religieux le certificat de capacité au mariage déjà prévu par l’article 171-2 du code civil pour les mariages à l’étranger. Les futurs époux pourraient signer un tel certificat précisant aussi que seul l’engagement civil a des effets sur l’Etat civil. Tout ceci respecterait mieux les religions, et notamment la religion catholique qui a fait la France.
Laurent Dastros
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