Garrus, château d’Esclan, seriez-vous prêt à payer cher pour un rosé qui goûte comme un grand bourgogne ?

Par cette question, la revue Decanter entend interpeller ses lecteurs sur leur rapport au rosé, loin de faire l’unanimité parmi les amateurs de vins.

Il faut bien reconnaître que ce style est largement entaché par une indigence de goût généralisée, qui de surcroît, tend à se niveler dans un moule technologique, donnant à tous les rosés un fâcheux air de famille…

Mais de là à conclure que l’ensemble des rosés ne méritent pas d’attention, ce serait aller un peu vite en besogne. Si une grande majorité d’entre eux répondent aux besoins d’une consommation futile, désaltérante, mondaine, et n’incline guère à y consacrer du budget, il ne s’agit pas pour autant de renier une quelconque légitimité à ceux qui sont bien nés et se distinguent de la masse insipide vendue en grande distribution.

L’exemple de la cuvée Garrus du château d’Esclan, contredit avec flamboyance cette vision du vin rosé réduit à un vin de terrasse, bu dans la « convivialité et le partage », les deux maitres-mots de la démagogie soifarde, psalmodiés à l’envi par le marketing de des grands vinassiers.

Outre l’improbable niveau d’excellence que cette cuvée a su atteindre en une décennie, Garrus démontre que les règles de vinification qui président à l’élaboration de ce style de vin, peuvent être transgressées, à dessein de porter au plus haut niveau d’esthétisme, un vin couramment galvaudé par une approche de grands volumes.

Un grand rosé aux gènes bordelais

Le corollaire de son niveau hors du commun est malheureusement son prix d’achat astronomique qui le consacre comme le rosé le plus cher du monde à près de 100 euros la bouteille.

Mais après tout, telle était l’ambition portée dès les origines, par son fondateur Sacha Lichine, lorsqu’il choisit de s’établir au début des années 2000, dans la haute vallée d’Esclan, en reprenant une ancienne exploitation.

Pour mener à bien cette aventure provençale, il n’hésite pas à vendre en 1999, le prestigieux héritage de son père Alexis Lichine, le 3ème grand cru classé de Margaux, le château Prieuré Lichine.

Château d’Esclan est également vinifié par un éminent œnologue bordelais, Patrick Léon, ancien maître de chai chez Mouton Rothschild. Mais si ce sont des Bordelais qui président aux destinées de l’un des plus grands rosés du monde, c’est bien la philosophie bourguignonne qui imprègne l’excellence des cuvées porte-drapeau : Garrus et Les Clans.

Vinification et élevage à la bourguignonne

Le parti pris de l’école bourguignonne façonne en effet la personnalité de ce rosé très haut de gamme.

Profondément enracinées dans les calcaires de la haute vallée d’Esclan , les vieilles vignes de grenache et de rolle livrent un jus concentré d’arômes. Après avoir été vendangé au petit matin, le raisin est convoyé avec célérité dans des petites cagettes à la cuverie pour éviter toute oxydation intempestive, susceptible d’altérer la pureté et la fraicheur de leurs arômes.

Après un pressurage éclair qui vise à obtenir une robe très pâle, le jus de goutte fermente dans des demi-muids de 600 litres (certains sont neufs d’autres de 2ème main), la taille des contenants évite un marquage trop puissant, mais lègue tout de même une légère empreinte toastée aux vins.

La cuvée Garrus se démarque par un élevage sur lies fines, scandé comme pour les grands bourgognes blancs, par un bâtonnage régulier, qui remet en suspension les lies et nourrit de la sorte le vin, durant toute sa période d’affinage.

Il en résulte un rosé doté d’une étoffe peu commune, quand la plupart de ses congénères rencontrent la chaine d’embouteillage directement après leur fermentation…

Sur le même chemin que l’Ermita d’Alvaro Palacio

Le fabuleux destin de Garrus, devenu une véritable icône sur le marché nord-américain, rappelle assez étrangement la fulgurante ascension de l’un des plus grands vins espagnols : l’Ermita d’Alvaro Palacio.

Ce priorat de haute volée avait réussi à détrôner l’Unico de Vega Sicilia en   Ribera del Duero, dans le milieu années 90, en s’imposant comme le vin le plus cher d’Espagne.

C’était l’ambition originelle du jeune Alvaro, qui avait fixé d’emblée un prix plus cher que celui du Vega Sicilia. À ce jeu de la spéculation, ce sont les lois de l’offre et de la demande qui entérinent ou disqualifient l’Hybris de son géniteur, et dans le cas de l’Ermita comme celui de Garrus , le marché a validé. Depuis lors, Garrus détient un véritable statut à part dans le monde du rosé, savamment entretenu par le puissant réseau international de revendeurs tissé par l’ancien propriétaire bordelais.

 Un rosé d’exception au parfum de la spéculation

Noté 97/100, le millésime 2023, atteint une sorte d’empyrée auprès de la critique, d’autant que James Suckling et Jancis Robinson, se montrent à l’avenant sur leurs notes respectives.

Peu de rosés atteignent ce type de notes qui reflètent pour les blancs un très haut niveau de raffinement et d’harmonie. À 109 euros sur le site Vinatis , on n’en attendrait pas moins, mais il faut bien reconnaître à ce rosé, une sorte d’apanage à délivrer des qualités exceptionnelles de complexité et de précision que l’on retrouve habituellement dans les grands blancs.

Comme nous l’avons rappelé, ce succès doit beaucoup à la volonté de faire naître un rosé d’exception, qui tire parti des méthodes de vinification et d’élevage ayant fait leurs preuves auprès des grands bourgognes blancs.

Indéniablement, Garrus porte très haut les couleurs du rosé, bien qu’une partie de son prix découle de son image de vin de luxe en direction des classes très aisées.

Sacha Lichine a manifestement réussi son pari d’ériger son rosé en un vin de référence dont le prix d’achat ne saurait se confondre avec celui de ses concurrents. À l’amateur de vin de savoir s’il est prêt à payer cette part spéculative, pour s’offrir le plus grand rosé du monde, tout du moins celui désigné par l’habile marketing de Sacha Lichine.

Raphno

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

2 réponses à “Garrus, château d’Esclan, seriez-vous prêt à payer cher pour un rosé qui goûte comme un grand bourgogne ?”

  1. Pinard dit :

    Un bon vin, peut-être. Mais à 109 euros le bouteille de 3/4, soit il faut être plein aux as, soit il faut être tombé sur le cigare ! Un vin pour Macron ou pour les gros mangeurs attablés à l’Elysée aux frais des contribuables.
    Des bon vins il y en a, et des bons, mais pas à ce prix de folie c’est pas pour le quidam.

  2. Raymond Neveu dit :

    On est loin d’un aimable vin de comptoir dont parlait jean Carmet…grandgousier des vins de Loire.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Gastronomie, Le Mag'

Et si les meilleurs « champagnes » étaient en Tasmanie ?

Découvrir l'article

Gastronomie, Le Mag'

Vin jaune, quelques petites choses à savoir…

Découvrir l'article

Gastronomie, Le Mag'

Ces nouveaux vins, conçus pour ceux qui n’aiment pas les vins…

Découvrir l'article

Gastronomie, Le Mag'

Les œufs mimosa et le vin, un accord piégeux

Découvrir l'article

Gastronomie, Le Mag'

J’ai bu un vin de légende : Bel-Air Marquis d’Aligre 2009, Margaux

Découvrir l'article

Gastronomie, Le Mag'

Les 5 meilleurs vins dégustés en 2023

Découvrir l'article

Gastronomie, Le Mag'

Fiefs-vendéens-Brem, le nouveau seigneur des Fiefs ?

Découvrir l'article

Gastronomie, Le Mag'

Côtes de Duras : les blancs renversants du domaine Mauro Guicheney

Découvrir l'article

Gastronomie, Le Mag'

Château d’Aqueria, un tavel d’exception

Découvrir l'article

A La Une, Gastronomie, Le Mag'

À la redécouverte des cépages autochtones du pays nantais

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky