L’arrière devient le front : menace intérieure en guerre technologique

Nous avons évoqué précédemment le scénario d’une désorganisation coordonnée du réseau électrique français par sabotage ciblé. Le présent article s’inscrit dans la continuité de cette réflexion, en abordant cette fois la dimension strictement militaire d’une attaque hybride de grande ampleur : le recours à des munitions autonomes prépositionnées, capables de frapper nos infrastructures militaires et industrielles à l’instant zéro d’un conflit.

Ce type de menace, encore considéré il y a peu comme de la spéculation, doit désormais être intégré dans la planification stratégique. L’évolution rapide des conflits en Ukraine et au Moyen-Orient, conjuguée aux progrès fulgurants en matière de robotique, de guidage et d’observation satellitaire, rend crédible l’hypothèse d’une frappe intérieure sans déclaration de guerre, sans armée visible, sans franchissement de frontière.

L’intelligence du pékin

Il y a quelques années, alors que je travaillais en étroite relation avec l’armée de l’Air, je reçus par la poste un dossier anonyme. L’auteur ? Un ingénieur retraité. Le contenu ? Une reconstitution détaillée, à partir de sources publiques, de l’architecture de la dissuasion nucléaire française, à l’époque tripartite : FOST, FAS, Plateau d’Albion. L’homme avait produit, seul et avec méthode, des hypothèses d’emploi, des cartes de cibles potentielles, des estimations de doctrine. Le tout était d’une exactitude troublante.

L’alerte fut immédiate. L’armée de l’Air, surprise, effarée, contacta le retraité et réussit à le convaincre de se taire. Cette anecdote dit une chose essentielle : l’intelligence libre, lorsqu’elle est appliquée avec rigueur, peut révéler des vérités stratégiques profondes, même en dehors des cercles de pouvoir. C’est à cet exercice que nous devons nous livrer aujourd’hui : penser comme un ennemi pourrait penser. Et surtout, réfléchir en dehors des clous.

Le théâtre : la France comme front intérieur

Imaginons. Le contexte est tendu. L’Europe est en alerte. Mais aucune attaque frontale n’a été déclenchée. C’est alors que surgissent simultanément, depuis les airs, les eaux, ou les périphéries urbaines, des centaines, voire des milliers de munitions autonomes prépositionnées, armées, guidées, programmées depuis longtemps.

Leurs cibles sont choisies avec soin. Elles ne visent pas à frapper massivement, mais à désorganiser le potentiel militaire, industriel et logistique français dans un délai minimal.

Les bases aériennes sont les premières visées. Nombre d’entre elles sont insuffisamment durcies. Les aéronefs de transport, de surveillance ou de chasse, stationnés en extérieur ou dans des hangarettes dépourvues de portes blindées, sont exposés. Une attaque bien synchronisée pourrait neutraliser une part non négligeable de notre capacité d’action aérienne en moins d’une heure.

Vient ensuite l’Armée de mer. Comme en Crimée avec la flotte russe, nos navires, lorsqu’ils sont à quai à Brest ou Toulon, deviennent des cibles fixes et visibles. Les drones aquatiques ukrainiens ont montré que même une technologie légère, bien dirigée, peut infliger des pertes lourdes à une marine moderne.

Les infrastructures aéroportuaires constituent un autre maillon faible. Les tours de contrôle, les systèmes de radioguidage, les zones de maintenance sont difficilement défendables en l’absence de dispositif permanent.

Mais l’ennemi ne se limite pas aux infrastructures militaires. Il frappe aussi l’industrie stratégique civile. Safran, Thales, Dassault, Airbus : centres de R&D, bureaux d’études, lignes d’assemblage final, tous ces éléments clés de notre autonomie technologique sont accessibles, visibles, vulnérables. La désorganisation du tissu industriel de défense peut précéder l’affrontement militaire.

Une attaque conçue dans l’espace, exécutée sur le sol

Un tel scénario n’est pas à la portée d’un groupe terroriste. Il suppose des capacités étatiques : observation satellitaire, mise à jour des cibles, pré-positionnement clandestin, logistique en profondeur. Il s’inscrit dans une logique de guerre asymétrique, visant à neutraliser un État sans déclencher un affrontement frontal.

Les forces terrestres, dispersées, peu capitalisées, ne sont pas les premières concernées. En revanche, une attaque hybride menée simultanément contre la France, l’Allemagne et les installations américaines en Europe, dans un contexte de crise ouverte à l’Est (Baltique, Ukraine élargie), permettrait de paralyser l’appareil de commandement et de projection occidental sans franchir une seule frontière.

Ce concept n’est pas nouveau. Les Spetsnaz soviétiques avaient théorisé, dès la guerre froide, des infiltrations préalables visant à frapper les centres de commandement de l’OTAN. La nouveauté, aujourd’hui, c’est la technologie et la saturation : ce qui n’était qu’une opération commando devient désormais une attaque massive, coordonnée, automatisée.

La réponse : territoire, renseignement, forces locales

Alors, que faire face à une telle menace ? Peu de moyens existent pour l’empêcher totalement. Le renseignement est la seule barrière en amont : écouter, surveiller, infiltrer, repérer les prémices d’une préparation sur notre sol. Il faut des capteurs humains et techniques dans les zones grises du territoire, notamment les banlieues, où l’hostilité à l’État rend possible le recrutement d’agents ou la dissimulation de matériels.

Mais une fois les attaques lancées, c’est la résilience locale qui fera la différence. L’armée active ne pourra pas tout protéger. La solution réside dans la territorialisation de la sécurité.

Il faut réactiver l’idée d’une réserve de type garde nationale. Des unités légères, implantées localement, composées de réservistes ou de civils formés, affectées à des missions de surveillance et de protection statique : ponts, transformateurs, points de franchissement, nœuds de données, dépôts de carburant, usines critiques.

Ces unités, proches de leurs objectifs, autonomes en transport et en logistique légère, pourraient fonctionner à l’image de ce que les Ukrainiens ont improvisé en février 2022 : contrôle local des axes, protection des infrastructures par des milices territoriales. Le modèle n’est pas idéal. Il est nécessaire.

L’obstacle principal n’est ni technique, ni militaire : il est politique

La création d’une garde territoriale supposerait un changement doctrinal profond : reconnaître que le territoire français est un front potentiel, que le tissu civil peut être mobilisé à des fins militaires, et surtout que la France abrite déjà une cinquième colonne dormante, disponible, instrumentalisable, déterminée dans certains cas.

Ce n’est pas une provocation. C’est un fait stratégique. Il suffit de voir l’intérêt que nos adversaires potentiels portent à nos vulnérabilités internes, à notre fragmentation sociale, à notre naïveté institutionnelle.

La France n’est pas prête. Elle le sera quand elle acceptera de regarder son territoire comme un espace de confrontation possible, et non comme un sanctuaire.

Trystan Mordrel

Photo d’illustration : DR
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Une réponse à “L’arrière devient le front : menace intérieure en guerre technologique”

  1. Poulbot dit :

    Oui la France n’est pas prête du tout avec une population qui n’est pas dans sont ensemble patriotique , population qui considère qu’être patriotique c’est être obligatoirement d’extrême droite , on vois là, les effets de propagande de la gauche et d’extrême gauche ; ne parlons également de tout les étrangers du sud de la méditerranée qui ne sont la que pour les aides financière et qui au premier coup de feu fuiront a vitesse grand V.
    Quand aux politiques , cela fait bien longtemps que le sort de la France ne les intéressent plus , ce ne sont que des carriéristes bonimenteur qui jouent du miroir aux alouettes.

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