Saison des marches en Irlande du Nord. À Drumcree (Portadown), les Orangistes toujours interdits de défiler sur la Garvaghy Road malgré 27 ans de contestation

Une marche, des barrières, et toujours le même refus. Dimanche 6 juillet 2025, les membres de la loge orangiste de Portadown, en Irlande du Nord, se sont à nouveau heurtés au mur du refus policier, devant l’église de Drumcree. Comme chaque année depuis 1998, ils avaient demandé à pouvoir achever leur parade traditionnelle en empruntant la Garvaghy Road, une artère à majorité nationaliste catholique. Et comme chaque année depuis 27 ans, leur requête a été rejetée par la Commission des Parades.

Une tradition devenue symbole de conflit

Jusqu’au milieu des années 1990, les membres de la Portadown District LOL No.1 défilaient chaque été sur cette route, dans le cadre des célébrations orangistes du « Twelfth » (le 12 juillet, jour de commémoration de la victoire protestante de Guillaume d’Orange à la bataille de la Boyne en 1690). Mais les tensions communautaires ont peu à peu fait de ce passage un point de cristallisation majeur entre unionistes protestants et nationalistes catholiques.

En 1998, après des années d’émeutes et de troubles, la toute jeune Parades Commission — instance chargée de statuer sur les parcours de défilés sensibles — a interdit l’usage de la Garvaghy Road par les Orangistes. Une décision maintenue depuis, malgré les demandes répétées des organisateurs.

Parmi les figures présentes ce dimanche 6 juillet, on notait Harold Henning, vice-grand maître de l’Ordre d’Orange, Nigel Dawson, et Jonathan Buckley, député DUP (Democratic Unionist Party) pour Upper Bann. Tous ont pris la parole devant les marcheurs rassemblés à Drumcree, dénonçant ce qu’ils considèrent comme une atteinte persistante à leur liberté de réunion et de circulation.

Selon eux, l’interdiction constitue une « violation injustifiée de leurs droits », d’autant que leur proposition de dialoguer avec les résidents républicains de Garvaghy demeure, affirment-ils, toujours d’actualité.

Dialogue de sourds et tensions persistantes

Mais du côté des habitants de la Garvaghy Road, les intentions orangistes sont accueillies avec scepticisme, voire hostilité. Le collectif de riverains souligne que les traumas des violences passées sont encore vifs, et que toute tentative de réimposer la parade sur cet axe entraînerait « une tension communautaire significative ».

Selon eux, les précédents pourparlers n’ont été qu’un simulacre de dialogue, les Orangistes refusant toute concession sur le tracé du défilé. Les résidents indiquent pourtant accepter l’idée d’un itinéraire alternatif, moins conflictuel, via les routes de Corcrain ou Dungannon.

La Parades Commission ( allez voir le nombre de parades organisées durant la saison des marches, ici), dans sa décision de 2025, a réitéré sa position en soulignant que la marche de Drumcree reste marquée par une « histoire longue et conflictuelle ». Aucune nouvelle représentation n’ayant été enregistrée cette année, elle a maintenu l’interdiction de passage sur la Garvaghy Road, la jugeant « nécessaire, proportionnée et équitable » pour préserver les relations communautaires, tant à Portadown que dans l’ensemble de l’Irlande du Nord.

Le défilé doit donc suivre un trajet strictement défini, avec une dispersion des participants à l’église paroissiale de Drumcree avant 14h30.

Cette situation, figée depuis plus d’un quart de siècle, incarne les cicatrices encore ouvertes du conflit nord-irlandais. Malgré l’Accord du Vendredi saint en 1998, les tensions communautaires n’ont pas disparu, et certaines parades restent des foyers de discorde. Drumcree, en particulier, cristallise la complexité d’une mémoire divisée, entre affirmation identitaire protestante et rejet d’un passé perçu comme dominateur par les nationalistes.

À Portadown, comme ailleurs en Ulster, la paix demeure une réalité fragile.

Irlande du Nord. Drumcree : la marche orangiste de 1996 qui a failli faire basculer la paix

Chaque mois de juillet, dans la petite ville de Portadown, en Irlande du Nord, un cortège orangiste tente de défiler sur un itinéraire désormais interdit. L’affaire pourrait sembler locale, folklorique, voire dépassée. Elle est en réalité l’un des symboles les plus violents et les plus tenaces de la fracture communautaire entre protestants unionistes et catholiques nationalistes. Ce conflit, connu sous le nom de « confrontation de Drumcree », a profondément marqué les années 1990 et continue de peser sur la fragile paix nord-irlandaise.

Depuis 1807, les membres de l’Ordre d’Orange de Portadown, une fraternité protestante fondée en 1795 pour célébrer la victoire de Guillaume d’Orange, organisent une marche annuelle à l’occasion de la « saison des marches » du mois de juillet. L’itinéraire traditionnel traverse la Garvaghy Road, aujourd’hui quartier majoritairement catholique. C’est précisément là que se cristallise le conflit : pour les orangistes, cette marche est une tradition séculaire. Pour les résidents nationalistes, il s’agit d’une provocation sectaire.

Dans les années 1990, à mesure que les tensions communautaires s’aiguisent – mais que les négociations de paix se précisent – les manifestations autour de la marche de Drumcree virent à l’émeute. En 1995, puis en 1996, les résidents de Garvaghy Road bloquent la marche, provoquant l’arrivée de milliers de loyalistes prêts à l’affrontement. Le 11 juillet 1996, c’est une démonstration de force : face à l’incapacité des autorités à contenir la foule orangiste, la police autorise finalement le passage, déclenchant une vague d’émeutes à travers la province. Le meurtre d’un chauffeur de taxi catholique, Michael McGoldrick, est attribué à un groupe loyaliste radical, la LVF, issu de la frange la plus extrême des orangistes.

L’année suivante, malgré des tensions extrêmes, la marche est à nouveau autorisée. De nouveaux affrontements éclatent, avec des cocktails Molotov, des tirs de balles en caoutchouc et des centaines de blessés. En 1998, la commission indépendante des parades, nouvellement instituée dans le cadre des Accords de Belfast, interdit le passage de la marche dans Garvaghy Road. Mais les violences ne faiblissent pas. Le 12 juillet, trois jeunes enfants catholiques, les frères Quinn, périssent dans l’incendie de leur maison provoqué par une attaque loyaliste. Une partie de l’opinion unioniste bascule alors : « Aucune route ne vaut une vie », déclare un responsable local de l’Ordre d’Orange.

Au fil des années 2000, le face-à-face s’institutionnalise. Garvaghy Road est sécurisée par des murs, des blocs de béton et des barbelés. Chaque année, les orangistes déposent une demande de défilé. Chaque année, la commission la refuse. Les protestations se poursuivent mais la mobilisation s’effrite. Des figures emblématiques de l’Ordre, comme Ian Paisley ou David Trimble, se retirent progressivement, et les soutiens extérieurs se tarissent.

Si la violence a reculé, la fracture demeure. L’Ordre d’Orange refuse toujours de dialoguer avec les représentants des résidents catholiques, au prétexte de leur passé militant, tout en entretenant des relations ambigües avec des groupes loyalistes. En retour, les associations catholiques, comme la Garvaghy Road Residents’ Coalition (GRRC), dénoncent une « communauté assiégée » et refusent tout compromis.

Aujourd’hui encore, Drumcree reste le théâtre d’une bataille symbolique entre deux Irlandes qui continuent à coexister sans vraiment se comprendre. La marche, interdite depuis 1998, est devenue le lieu d’une protestation silencieuse et persistante des orangistes. Chaque dimanche de juillet, ils manifestent leur volonté de reprendre leur itinéraire ancestral, devant une église cernée de clôtures.

Plus de vingt ans après les accords de paix, la confrontation de Drumcree rappelle que les blessures du passé restent à vif, que la paix nord-irlandaise est un équilibre précaire, et que les traditions peuvent, parfois, devenir les braises encore chaudes d’un conflit ancien.

Crédit photo : DR

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Une réponse à “Saison des marches en Irlande du Nord. À Drumcree (Portadown), les Orangistes toujours interdits de défiler sur la Garvaghy Road malgré 27 ans de contestation”

  1. kaélig dit :

    A croire que les Protestants et Catholiques souchiens préfèrent se taper dessus plutôt que d’affronter l’ennemi commun: l’Islam.
    Il est vrai que les cousins européens ont toujours adoré se faire la guerre genre Russie/Ukraine.

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