J’avais mis de côté un long papier du Financial Times, me promettant de le lire sans hâte. Ce fut au bar de l’Océan, au Guilvinec, que je m’y plongeai enfin, un matin d’écume, le café refroidissant dans la tasse. J’en tirai quelques notes, car le parallèle entre l’Irlande et l’Europe m’apparut aussitôt éclatant, bien qu’il échappât à l’auteur.
L’article de Philip Stephens s’intitule Ireland and the British Question. Il s’ouvre sur une image saisissante : celle de Jack Buckley, volontaire de l’IRA auprès de De Valera, dont le petit-fils, Richard Moore, devint un siècle plus tard directeur du MI6. Ainsi se nouent les fils de l’histoire : le sang versé dans la lande de Cork aboutit à la soie des salons londoniens. La haine et la familiarité cohabitent, comme toujours entre voisins condamnés à se fréquenter. Churchill, qui regrettait de n’avoir pas pendu davantage de volontaires, salua pourtant Michael Collins comme un authentique patriote irlandais. La guerre et l’admiration se regardaient alors en chiens de faïence.
Stephens souligne que, même aux heures les plus sombres, l’Irlande envoyait ses fils travailler et combattre en Grande-Bretagne. La neutralité de De Valera durant la Seconde Guerre mondiale irrita Churchill, mais n’empêcha pas des milliers de jeunes Irlandais de s’engager dans les usines de munitions ou dans les régiments partis lutter contre une puissance continentale concurrente. Ainsi se révèle cette vérité : les peuples s’excommunient en paroles mais s’entremêlent en fait.
Mais l’essentiel de son propos tient à l’héritage du Vendredi saint. La paix de 1998 fit taire les fusils et mit les poseurs de bombes au chômage, mais « l’affaire inachevée du traité de 1921 » n’en fut pas réglée. Le sort de l’Irlande du Nord dépend désormais d’un scrutin, et Stephens rappelle la confiance tranquille des nationalistes : « Il leur suffit, disent-ils, d’attendre que la démographie fasse son œuvre. » Tout est dit. Autrefois forteresse protestante, l’Ulster voit aujourd’hui la balance pencher du côté catholique, et le Sinn Féin s’imposer dans les urnes. Ce que les explosifs n’ont pas arraché, le berceau l’a conquis.
Certes, catholicisme et nationalisme ne se confondent pas. Nombre de catholiques voteraient encore pour rester liés à Londres. Mais l’inertie est une illusion : l’avenir, implacable, appartient à ceux qui enfantent. Le temps démographique est un fleuve que rien n’arrête.
Stephens note aussi le paradoxe de notre époque. L’État autarcique et catholique rêvé par De Valera a cédé la place à une République ouverte, prospère, sécularisée. Si demain les comtés du Nord rejoignent le Sud, ce ne sera pas pour retrouver une patrie enracinée dans la foi et la langue, mais un territoire mondialisé, voué aux flux du capital et aux dogmes universalistes. Les protestants d’hier ne redoutent plus la domination de Rome : ils découvriront une Irlande où Rome elle-même s’est effacée.
À la fin, Stephens cite Hubert Butler : « La frontière cessera d’être une angoisse. Elle tombera comme un pansement d’une plaie refermée, ou bien elle survivra sous une forme atténuée. » Sage espérance. Pourtant, je n’y puis souscrire pleinement. La plaie n’est pas close, et les élites refusent d’en panser les bords.
La leçon est claire : la « bataille des berceaux » qui permit aux catholiques d’Irlande du Nord de renverser le rapport de forces annonce ce qui adviendra sur le continent. Aujourd’hui, en France, en Belgique, en Allemagne, nous sommes encore majoritaires. Mais si nous persévérons dans l’aveuglement, demain la majorité basculera. Le processus est déjà à l’œuvre : les communautés musulmanes, installées et fécondes, suivent la même logique que les catholiques d’Ulster au siècle dernier.
Et voici l’ironie tragique : si un jour l’Irlande se réunit, les comtés du Nord entreront dans un État qui n’aura plus d’irlandais que le nom. L’Irlande, jadis forteresse catholique, est devenue comme la France et l’Espagne, une société où les élites, y compris issues de la gauche nationaliste, consentent à l’immigration de remplacement et à l’effacement progressif de l’identité. Spengler avait vu juste : les cultures, à force de se nier elles-mêmes, s’évanouissent dans la civilisation planétaire.
Stephens insiste sur les obstacles administratifs d’une réunification : constitution à réécrire, services sociaux à harmoniser, drapeau et hymne à réinventer. Mais ce n’est pas là l’essentiel. Le vrai problème est d’ordre spirituel : comment bâtir une nation quand le peuple a cessé de croire en lui-même ? Comment accueillir une minorité protestante attachée à son héritage dans une République qui ne sait plus ce qu’elle est ?
C’est ici que surgit l’idée du peuple charnel, chère à la Révolution conservatrice et reprise plus tard par la Nouvelle Droite. Moeller van den Bruck, dans Le Troisième Reich, définissait la nation non comme un contrat social abstrait, mais comme une communauté vivante, charnelle, enracinée dans l’histoire et la terre. Guillaume Faye, au XXe siècle finissant, en prolongea la leçon : « La démographie, me disait-il, est le destin des peuples. » Un peuple qui renonce à son identité, à sa mémoire, à sa transmission charnelle, cesse d’être un peuple.
Or l’Irlande nous montre ce paradoxe cruel : les catholiques d’Ulster ont gagné la bataille des berceaux, mais ils s’apprêtent à rejoindre une République qui ne croit plus en la chair de son peuple. L’unité politique risque de se réaliser au moment même où l’unité spirituelle s’est dissoute. Le danger n’est pas tant l’échec de l’unification que son accomplissement dans le vide.
Pour l’Europe entière, la leçon est la même. La démographie est une loi d’airain : elle ne pardonne pas. Ceux qui, comme nous, veulent encore exister comme peuples charnels doivent se souvenir de ce que Jünger appelait « la persévérance des formes ». Ce n’est pas une constitution, ni un drapeau, qui garantissent l’avenir : c’est la continuité des familles, la vitalité des berceaux, l’assurance d’une transmission.
L’Irlande nous avertit : un peuple qui croit encore à lui-même, fût-il minoritaire, finit par triompher. Mais un peuple majoritaire qui doute de lui-même, qui se laisse dissoudre dans l’idéologie du cosmopolitisme, se condamne à n’être plus qu’un nom sur une carte. Voilà ce que nous disent, aujourd’hui, les collines de Belfast et les bars de Dublin, et que nos élites refusent d’entendre.
Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées
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11 réponses à “Du sang versé aux berceaux : l’Irlande et le destin des peuples”
» Nous les aurons avec le ventre de nos femmes » Boumedienne. Tout fut dit mais avec de la merde dans les yeux, les oreilles, le cerveau et la bouche, nos politiciens sont totalement inaptes à prendre les décisions nécessaires de sauvetage d’un Peuple et d’une Nation. Bien au contraire, et pour garder leurs fesses accrochées aux sièges de leurs privilèges (nous pouvons y ajouter les « hauts » fonctionnaires ) par des bandes velcro de haute résistance, ils sont prêts à toutes les trahisons nécessaires. Louis XIV l’avait déjà compris. Nous connaissons la suite qui n’est que la chronique d’un désastre annoncé.
Lorsque des envahisseurs de territoires ou de pays ne rencontrent aucune résistance qu’elle soit armée ou politique on constate les résultats dramatiques comme en Europe….pire, nos politiques dirigeants favorisent ces migrations par des mesures de collaboration vers l’effacement du peuple qu’ils dirigent. Ces gens méritent la prison mais le peuple intoxiqué pat les idéologies mortifères de la gauche regarde sans réagir ni penser à l’avenir de ses enfants.
J’ai 75 ans et effectivement je suis sidérée de comprendre que chacun pense à ses fesses et pas le moindre du monde à ses enfants et petits enfants… après avoir traversé les années 50 60 70..
Je n’en peux plus de ce monde complètement déstructuré que ce soit à titre personnel ou collectif. J’ai presque honte d’être un être humain !! Plus de courage, aucune dignité..tout le monde s’applati lamentablement.
Le conservateur anti-révolutionnaire De Valera a permis l’officialisation de la langue anglaise dans la constitution Irlandaise, scellant la soumission mentale de l’Irlande à l’Angleterre. La révolution reste à faire en Irlande.
Nous n’avons pas besoin d’immigration, surtout non-choisie, de main d’oeuvre et encore moins de peuplement surtout avec un chômage de 7%.
– Moins de peuplement ? et alors Quantité ne vaut pas qualité…Il nous faudra adopter comme Orban une politique nataliste nationale permettant à minima de conserver la stabilité démographique.
– Pas plus de main-d’oeuvre y compris pour les métiers dévalorisés tels ceux manuels si l’on voulait les rémunérer à leur juste valeur productive.
Combien de fois me suis-je arrêté devant des chantiers pour admirer la compétence, le savoir-faire voire l’enthousiasme du maçon, de l’électricien, du couvreur devant lesquels je me sentais tout péteux avec mon Bac+5, me disant « Vas-y mec, essaie d’en faire autant ! ».
Et pendant 40 ans, je l’ai essayé, réparant bagnoles et travaux bâtiment tout corps d’état certes avec réussite mais avec une productivité qui me ferai virer de la boite parce que j’étais un bricoleur intello de bureau d’études et que je ne « sentais » pas la matière comme le manuel confronté tous les jours au réel.
Et je me disais, je leur disais: « P…! Vous devriez être payé comme un ingénieur ! ».
Eh bien oui…Pourquoi pas, rendre justice et rémunération à ses manuels que l’on prend pour des C…s puisque à bac moins 3 (femmes de ménage, ouvriers, routiers, dockers…);
Tous ces ouvriers, livreurs Uber au service des bourgeois des beaux quartiers qui ne savent rien faire de leurs mains et les considèrent comme de la valetaille….Payez les correctement et vous n’aurez pas besoin d’immigrés à bas-coût qui au final avec leurs nuisances co-latérales, insécurité, trafics…ruinent le pays…Nous les « sachant », intellos, fonctionnaires, classe moyenne nous serions un peu moins payé mais nous vivrons dans une société nationale apaisée et solidaire.
Nos gouvernants ont tout fait pour encourager cette immigration de masse par le droit du sol et le regroupement familial et les allocations de toutes sortes si généreuses et si attractives …et malheur à ceux qui réclamaient la prudence . Maintenant, nous sommes un pays en faillite, moribond. Toutes ces élites devraient avoir honte et se cacher, certains, les plus avisés peut-être, sont morts….
Au train où vont les choses, Imaginez la France, l’Europe, dans 5 ans, dans 10 ans, dans 20 ans…. « Quel sera le sort des autochtones de souche chrétienne quand ils deviendront minoritaires sur les terres de leurs ancêtres ? » récit prémonitoire romantique et troublant « les corps indécents ». La situation se dégrade à il n’y a plus d’avenir pour nos jeunes.
Courage Madame !
Oui ok avec kaélig ;j’ajouterai qu’il conviendrait de revaloriser les salaires des métiers manuels pour réconcilier le capital et le travail comme du temps du projet du grand Charles des années soixante avec la participation des travailleurs au capital des entreprises…
À Kaélig : je pense qu’il faut nuancer un petit peu vos propos.
J’aimerais ne pas faire une réponse aussi longue que la vôtre, cela étant :
– il nous faut de l’immigration (et oui pardon) car la population française vieillit, et quel français voudra faire les travaux les plus ingrats, notamment les Uber que vous évoquez (et que personnellement je n’ai jamais essayé, par honte d’un sentiment de post-colonialisme : j’ai faim ? Je bouge mes fesses jusqu’au supermarché ! Les clients d’Uber à mes yeux entretiennent un système pas propre du tout, pour leur petit confort, afin de recevoir un repas mi-froid en plus…)
– ensuite, une politique nataliste comme Orban, soyons sérieux, cela voudrait dire refuser l’avortement ou la contraception, et ça c’est clairement anticonstitutionnel, et ayant eu dans ma famille des femmes fortes, forcément il y aurait autant voire plus de manifestations qu’en Hongrie… Les femmes hongroises sont bien moins heureuses que les Françaises, j’en connais…
– concernant les maçons, employés du BTP exetera, certes leur savoir-faire impressionne, mais il en faut tout autant que des ingénieurs. Le plus important à mes yeux, et de les payer à juste titre en rapport avec leurs compétences, en effet, je suis d’accord. Ce qui ne peut pas dire pour autant de payer moins les « sachants » ou les fonctionnaires, comme vous dites. Car sinon, forcément, ils quitteront leur job, et on connaît déjà la situation actuelle du manque de personnel…
– pour finir, actuellement, les trois quarts des apprentis en agroalimentaire sont des jeunes issus justement de l’immigration (d’Afrique centrale essentiellement), mais qui veulent travailler pour s’en sortir et s’intégrer… Beaucoup d’entreprises recherchent de la main d’oeuvre, mais ne trouvent que trop peu de candidats, alors finalement qui nous fait nos petits plats préparés ?
J’espère avoir un petit peu contribué au débat, si jamais j’ai mal interprété vos propos, je vous présente mes excuses. Bien cordialement.
Guenael me transmet une réponse très « policée » qui tranche avec les anathèmes communs aux idéologues qui « montent aux créneaux » dès lors que le sujet de l’immigration est évoqué.
Il nous faut de l’immigration choisie, c’est à dire des gens qualifiés ou pas désireux de s’intégrer et de contribuer honnêtement à la valorisation du pays qui l’accueille au lieu de venir en opportuniste profiter des largesses (des « Droits ») sociales d’un pays généreux.
Et là, tout est dans la valeur intrinsèque de l’individu y compris du « souchien » que le laxisme de nos dirigeants encourage souvent pour des raisons électorales à « glander » tel « le droit à la paresse » vanté par S. Rousseau où la permissivité des élus locaux qui fait qu’à Montpelier si je ne me trompe les fonctionnaires prennent en moyenne 40 jours d’arrèt maladie par an (En 40 ans, j’en ai pris que 2 mois) faisant dire dans un lapsus cocasse « Il me reste encore 28 jours d’arrèt maladie à prendre ! »
-Je suis pour l’avortement dès lors que la vie de la mère et de l’enfant est en danger, mais pas pour un avortement de confort « réparant » une contraception mal conduite et dans ce cas faire comprendre à la potentielle future mère tout le poids de sa décision souvent motivée par l’individualisme et le refus des responsabilités qui frappe nos jeunes comme je l’ai écrit sur BI il y a quelques jours à propos des 8 gars et filles de 25 à 30 ans observés sans enfant à Camaret.
Aussi étonnant que celà paraisse, j’ai vu des « sachants » diplômés abandonner leur vocation première pour exercer un métier manuel, un tel titulaire d’un Bac+4 devenir charpentier, un autre docteur se convertir en plombier.
Et comme mon critère d’évaluation de l’individu comme celui d’un Peuple est de le juger en fonction de sa « civilité » (honnêteté, travail, mérite, respect d’autrui…) je suis peu regardant sur la couleur des « apprentis d’agriculture » dès lors qu’ils soient de « bonne volonté » comme disait un certain J.C. il y a 2000 ans.