Instruction en famille : un couple du Morbihan dénonce des contrôles « anxiogènes » et « stigmatisants » [Interview]

Depuis trois ans qu’ils instruisent leurs deux enfants en famille, un couple du Morbihan dit avoir accumulé suffisamment de tensions, d’incompréhensions et de maladresses administratives pour décider de briser le silence.

Leur lettre ouverte, envoyée au président de la République, au ministre de l’Éducation nationale, à la rectrice de Bretagne, au DASEN du Morbihan et jusqu’au Défenseur des droits, raconte un quotidien que beaucoup de familles IEF décrivent déjà à voix basse : contrôles ressentis comme anxiogènes, entretiens menés dans un climat de suspicion, dossiers pédagogiques à peine consultés, inspecteurs renouvelés chaque année, erreurs administratives répétées et absence totale de visibilité sur les autorisations pourtant nécessaires à la poursuite de l’instruction en famille depuis la loi de 2021.

Ce qu’ils contestent, ce n’est pas le principe même d’un contrôle, mais une pratique qu’ils jugent déshumanisée, parfois brutale, où un enfant peut être confronté à des questions très au-dessus de son niveau sans que sa progression personnelle soit réellement prise en compte. Leur aîné, collégien de treize ans, en a fait l’expérience lors d’un entretien qui l’a laissé au bord des larmes, marqué par une formule glaciale de l’inspecteur : « Ce que je constate, c’est qu’il ne sait pas. »

Le couple dénonce également un système où l’on doit réexpliquer chaque année les mêmes éléments, où l’évaluation se fait souvent sans le parent, où l’entrée dans un lycée public reste un parcours du combattant et où des familles, parfois autorisées une année, se voient soudain refuser l’IEF l’année suivante, sans changement de situation.

Une imprévisibilité qu’ils jugent violente, notamment pour les enfants qui subissent cette instabilité. Leur lettre demande un retour au régime déclaratif, davantage de confiance, et une vraie reconnaissance des pédagogies alternatives qui structurent l’IEF en Bretagne comme ailleurs.

Nous avons interrogé cette famille pour en savoir plus.

Breizh-info.com : Depuis trois ans que vous instruisez vos enfants en famille, quel a été l’élément déclencheur qui vous a poussé à écrire cette lettre ouverte et à l’adresser jusqu’au président de la République ?

Famille Guenan : Cette lettre « macère » depuis un an maintenant, date du contrôle de notre aîné qui, de notre point de vue, n’a pas du tout été à la hauteur de nos attentes et s’est révélé fortement désagréable à vivre. L’inspecteur n’était pas désagréable dans le sens « méchant » ou « agressif » mais sa posture, sa manière de questionner ont généré une tension tout au long de l’échange. Nous avions déjà eu des échos de cette personne par d’autres familles ayant « subi » cette attitude déconcertante. Nous pouvons confirmer que ces retours étaient bien réels puisque nous en avons fait les frais également.

Breizh-info.com : Vous décrivez des contrôles perçus comme « anxiogènes » et « stigmatisants ». Quel a été, pour vous ou vos enfants, le moment où cette tension est devenue insupportable ?

Famille Guenan : Les contrôles sont perçus comme « anxiogènes » par de nombreuses famille parce qu’en face, nous avons à faire à des personnes à la fois juge et partie où l’école prévaut généralement face aux autres formes d’instruction. Et puis de manière évidente, une convocation à un contrôle ne peut pas être perçue comme légère et sans conséquences. Nécessairement, cela génère un stress aux parents et surtout aux enfants. Pour nous, la tension était insupportable lors du dernier contrôle de notre aîné comme précité. Cette façon de « cuisiner » un jeune ne nous semble pas du tout perspicace.

Breizh-info.com : Lors de votre dernier contrôle, votre fils aîné a été interrogé sur des notions historiques très complexes. Comment a-t-il vécu cette expérience et quel impact cela a-t-il eu sur son rapport à l’instruction ?

Famille Guenan : Il venait tout juste de survoler ces notions et il n’était pas à propos de le questionner avec insistance et d’aller jusqu’à dire « ce que je constate c’est qu’il ne sait pas ». Cette phrase est de notre point de vue lourde de sens et n’a pas été sans impact pour notre ado. Son rapport à l’instruction n’a pas changé parce que nous avons été suffisamment près de lui pour lui dire de ne pas se remettre en question, de ne pas douter de ses connaissances et que malheureusement, il croisera dans sa vie d’autres personnes qui chercheront à le déstabiliser. Il a donc pris cela comme une expérience supplémentaire pour apprendre à se positionner en entretien.

Breizh-info.com : L’un de vos reproches concerne le changement systématique des inspecteurs d’une année sur l’autre. Pourquoi est-ce, selon vous, un problème central dans votre relation avec l’Éducation nationale ?

Famille Guenan : Parce que le nouvel inspecteur ne connaît pas notre parcours et celui de l’enfant. Cela oblige systématiquement à reposer le cadre du « pourquoi l’IEF », « depuis quand », « comment travaille notre enfant »… des échanges d’autant plus inutiles qu’ils sont présentés dans notre dossier. S’il pouvait y avoir un suivi, nous n’aurions pas besoin année après année de représenter le contexte. D’autre part, cela serait certainement plus rassurant pour l’enfant de retrouver un visage un peu « connu » que de ne jamais savoir « à quelle sauce il va être mangé ». Cela étant, je ne sais pas si toute les familles IEF valident ce point de vue.

Breizh-info.com : Vous réclamez la possibilité d’être présent auprès de vos enfants pendant leur évaluation. Comment expliquez-vous que cette présence soit aujourd’hui refusée, et que changerait-elle concrètement selon vous ?

Famille Guenan : Ce n’est fort heureusement nullement refusé mais simplement une problématique logistique en cas d’indisponibilité du deuxième parent pour accompagner l’enfant puisque le parent instructeur reste avec l’inspecteur.

Breizh-info.com : Votre témoignage évoque une « normalisation » imposée, qui ignorerait les rythmes individuels. Pouvez-vous donner un exemple précis où vous avez senti que l’administration confondait progression personnelle et conformité scolaire ?

Famille Guenan : Très simplement qu’un enfant n’est pas observé dans ses capacités du moment en lien avec son précédent contrôle prenant donc en compte sa progression personnelle (puisqu’il n’y a pas de suivi d’année en année justement) mais on met l’enfant face au niveau scolaire attendu à son âge. Exemple : notre plus jeune a une qualité de graphie exceptionnelle pour son âge (dixit le bilan d’un ergothérapeute) mais en revanche il est très lent dans l’écriture. Ecrire le met dans un stress important car il veut que tout soit parfait or il ne maîtrise pas encore les règles de conjugaison, écrit parfois en phonétique à défaut de maîtriser l’orthographe… Il est donc évident que par rapport à un enfant de CM1 il n’a pas encore la même quantité et qualité orthographique ou grammaticale dans ses productions écrites qu’un autre enfant de CM1. Mais ce « retard » sur l’écriture (parce qu’il n’est pas encore prêt) lui permet à côté d’avoir une excellente progression en maths, en histoire, en sciences ou encore en piano, mécanique, menuiserie, bricolage en tout genre… de nombreuses autres compétences non prises en compte dans les apprentissages puisque « non académiques ».

Breizh-info.com : Votre fils a obtenu le Brevet avec mention Bien mais n’a pas pu intégrer un lycée public avec un an d’avance. Qu’est-ce que cette situation révèle, selon vous, du traitement différentiel réservé aux enfants instruits en famille ?

Famille Guenan : Nous n’avons pas demandé à un lycée public de recevoir notre garçon puisque par relation, nous avions connaissance du fait que le passage du test de mai était nécessaire pour intégrer un établissement public. N’ayant pu faire ce test, il ne servait à rien de présenter un dossier à l’établissement de secteur. A titre d’exemple, sur une même famille, l’enfant de 2010 a pu passer les tests et entrer au lycée public mais le second née en 2011 n’a pas pu passer les tests et est donc entrée dans un établissement privé. Les deux enfants sont donc en seconde dans deux établissements différents. Le traitement des IEF est bien différents de celui des élèves scolarisés. Alors qu’un jeune scolarisé en 3e sait déjà avec certitude dès le mois de janvier où il sera en septembre au lycée, nos jeunes instruits en famille ne sont quant à eux surs de rien (puisqu’ils attendent normalement les résultats des tests du mois de mai ainsi que la validation de leurs vœux). On nous fait bien comprendre que nous n’avons pas suivi la (bonne?) voie classique.

Breizh-info.com : Vous relatez de nombreuses erreurs administratives : convocations erronées, dossiers perdus, comptes-rendus envoyés à la mauvaise famille… Pensez-vous qu’il s’agit d’incompétence, de surcharge ou d’un problème plus profond ?

Famille Guenan : Bien que nous ayons un avis personnel sur la question, nous pensons que ce n’est pas à nous d’y répondre. Questionnez le DASEN ;)

Breizh-info.com : Certaines familles obtiennent une autorisation une année, puis un refus l’année suivante sans changement de situation. Comment vivez-vous cette imprévisibilité et que vous en disent les autres parents que vous côtoyez ?

Famille Guenan : C’est ignoble pour les familles de ne pas savoir sur quel pied danser et que dire des enfants qui subissent cela !!! Très honnêtement, cela génère une profonde colère ! Nous avons rencontré de nombreuses familles dans ce cas et c’est dramatique ! Entendre des désobéissances civiles, des RAPO, des audiences au pénal, des enquêtes en gendarmerie, des informations préoccupantes, des amendes, des frais d’avocats, parfois même jusqu’à une expertise psychiatrique (cf. Ramin Farhangi, fondateur d’enfance libre)… Tout cela ne devraient pas arriver.

A quel moment se soucie-t-on vraiment des enfants ?  Avec cette nouvelle loi, les enfants aussi souffrent de ce « ballotage administratif ».

Breizh-info.com : Vous demandez le retour au régime déclaratif, supprimé en 2021. Qu’attendriez-vous précisément d’une réforme de l’IEF : plus de souplesse, de transparence, d’accompagnement, ou une reconnaissance officielle de la diversité pédagogique ?

Famille Guenan : Tout cela bien sûr !

Crédit photo : DR
[cc] Article relu et corrigé par ChatGPT. Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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