Pont-l’Abbé, les Papillons blancs et les terreurs eugéniques de la gauche française

Je marchais lentement dans Pont-l’Abbé, un matin que le ciel avait la couleur d’une vieille eau-de-vie oubliée. La rue Jules-Ferry incline doucement vers la rivière, comme une longue expiration du bourg vers le port. En me dirigeant vers le monument aux morts, ce bloc grave qui veille sur la mémoire de la ville, mon regard a été attiré, presque malgré moi, par un bâtiment que je connais depuis longtemps: l’ancien lieu où l’on accueillait les enfants trisomiques, les Papillons blancs. Le nom m’est revenu avec une douceur poignante, un nom qui disait autrefois la fragilité, la tendresse, la lenteur du monde. Ils n’y sont plus. Le bâtiment semble attendre quelque chose qui ne viendra jamais. Leur disparition silencieuse est devenue le signe le plus concret de ce que les sociologues appellent pudiquement « l’évolution des choix des familles », et que l’on pourrait nommer, sans détour, l’installation d’un eugénisme quotidien, paisible, presque consensuel. Les uns diront que c’est heureux, la victoire de la rationalité sur la souffrance. Les autres se demanderont jusqu’où une société peut prétendre au progrès lorsqu’elle sélectionne ses enfants comme on sélectionne un bétail de concours.

Alors que je me souvenais de ces enfants, croisés alors que l’étais élève au Lycée Laennec de cette ville, m’est revenu en tête l’article lu ce matin dans la sentine de la presse française, Mediapart. Un papier suintant d’une panique presque burlesque, consacré au « retour » de l’eugénisme aux États-Unis. Rarement j’ai vu pareille accumulation de termes apocalyptiques. On y parlait du mouvement MAGA comme d’une « pratique de la race », d’une « hygiène raciale nouvelle », d’une « élimination physique » possible et même d’une « extermination sans frottement », selon des mots que les auteurs déversent comme s’ils étaient revenus des tranchées. À les lire, la moindre référence à l’hérédité serait déjà le signe d’un totalitarisme larvé, et toute réflexion sur la corporalité des peuples un prélude à la barbarie. Leur texte ressemblait au catalogue de tout ce que la gauche française est devenue: un mélange d’effroi moral, de concepts universitaires mal digérés, et d’une terreur viscérale devant tout ce qui rappelle la réalité biologique de l’homme.

Ce qui les épouvante, ce ne sont pas les violences policières que l’article évoque à demi-mot, ce n’est même pas la brutalité de certains discours américains. Ce qui les tétanise, c’est qu’une partie de la droite américaine ose lier ce que la gauche prétend séparer à jamais: le corps et la culture, l’hérédité et les valeurs, la continuité biologique et la continuité civilisationnelle. Ils s’indignent que certains mouvements conservateurs parlent de « bons gènes », de « beauté » comme signe de santé morale, de « transmission », d’« héritage », de « supériorité génétique et idéologique »; mais ils oublient que ces mots ne jaillissent pas de nulle part. Ils viennent d’un monde politique dont le désenchantement est si profond qu’il se raccroche à ce qu’il croit immobile: la lignée, la terre, l’apparence, l’hérédité. On peut juger ce mouvement naïf, exagéré, parfois grotesque, mais il exprime une angoisse authentique: celle d’une nation qui ne se reconnaît plus dans ses propres enfants.

Les auteurs décrivent avec un effroi presque comique ces jeunes femmes conservatrices qui, faites belles pour les réseaux sociaux, s’exhibent en crop-top dans les rues « sécurisées » et nettoyées des villes américaines, affichant un corps comme un manifeste politique. Ils dénoncent les soirées Make America Hot Again, où l’on proclame que les conservateurs auraient « de bons gènes », et ils frémissent devant des calendriers où les militantes posent en maillot de bain. Tout leur paraît signe d’un « syncrétisme raciste », comme si la simple existence d’un style de vie conservateur était une menace biologique. Ils passent ensuite au tremblement, presque au cri, lorsqu’ils évoquent les applications de suivi menstruel financées par des milliardaires ou les projets de sélection embryonnaire soutenus par certains « tech bros ». Ils y voient un « pronatalisme technologique », une dérive quasi prométhéenne qui conjurerait la « dénatalité blanche » par la science. Qu’importe que ces tendances soient aussi diverses que leurs acteurs: pour Mediapart, elles ne sont que les différentes faces d’un même monstre.

À les lire, tout devient indice d’un racisme latent: un slogan, une mâchoire carrée, un régime amaigrissant, un filtre Instagram, une application de bien-être féminin, un calendrier de pin-up conservatrices. Ce qui est fascinant, c’est que leur texte ne dit jamais clairement ce qui les effraie dans tout cela. Il ne le dit pas, parce qu’il le sait: ce qui les hante, c’est le retour du biologique dans la compréhension de l’homme. Leur rêve était celui d’un individu sans attache, sans héritage, sans corps même, un pur sujet politique flottant dans les arrière-cuisines des universités. Ils découvrent aujourd’hui que les peuples ne se réduisent pas à des constructions discursives et que la réalité, cette réalité que l’on croyait dissoute dans les pronoms et les identités fluides, revient.

Et c’est là, peut-être, que les Papillons blancs ont pris, dans mon esprit, une dimension plus large. Pendant des décennies, on a voulu effacer toute référence à l’hérédité, à la naissance, à la limitation de notre être. On a maquillé l’eugénisme en altruisme, la sélection en choix, la biologie en projet familial. Mais les sociétés humaines, même lorsqu’elles jouent au progressisme, même lorsqu’elles se donnent des airs de pure morale, reviennent un jour ou l’autre devant le même miroir: celui de leur reproduction. La gauche s’affole parce qu’elle voit aux États-Unis ce qu’elle refuse de regarder en France: l’eugénisme n’est pas une menace lointaine, c’est une pratique quotidienne, banale, respectée, intégrée à la routine médicale.

En poursuivant mon chemin vers la rivière de Pont-l’Abbé, je repensais à tout cela. Le monument aux morts se tenait droit, comme une leçon offerte à qui veut entendre. Ces noms gravés dans le granit rappellent que les peuples ne vivent pas par des débats, mais par des filiations. Ce que Mediapart appelle « racisme biologique » n’est souvent que la prise de conscience que des sociétés entières se désagrègent lorsqu’elles refusent d’assumer ce qu’elles sont.

Ainsi, en passant devant les Papillons blancs, j’ai compris quelque chose de simple: ce n’est pas l’Amérique qui redécouvre l’eugénisme. C’est la gauche qui redécouvre la réalité.

Balbino Katz
Chroniqueur des vents et des marées
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Crédit photo : DR
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