À un peu plus de six mois de l’échéance légale du 7 juin 2026, la grande majorité des entreprises françaises sont loin d’être prêtes à appliquer la directive européenne sur la transparence salariale. C’est le constat inquiétant que dresse l’agence How Much dans une vaste enquête menée auprès de 5 529 entreprises représentatives du tissu économique français. Résultat : 93,8 % des structures ne disposeront pas d’un dispositif complet à la date butoir.
Une directive pourtant universelle
Contrairement à ce que laissent croire certains articles de presse, toutes les entreprises françaises sont concernées, quelle que soit leur taille. La directive européenne 2023/970 vise à imposer des règles claires : affichage des fourchettes salariales dans les offres d’emploi, interdiction de demander l’historique de rémunération, accès à des critères objectifs pour les augmentations, et reporting obligatoire des écarts femmes-hommes dans les grandes structures.
En théorie, cela concerne près de 27 millions de salariés, dont 15 millions dans les secteurs marchands (industrie, commerce, services, construction…).
Mais la réalité du terrain est toute autre : seulement 6,2 % des entreprises ont engagé un projet formalisé de mise en conformité.
TPE et PME : le gouffre de la non-préparation
Les petites entreprises, qui forment l’épine dorsale de l’économie française, sont celles qui accusent le plus de retard :
- 61 % des TPE et 58 % des PME n’ont encore rien démarré.
- Moins de 5 % des structures de moins de 250 salariés ont un dispositif pleinement opérationnel.
- La majorité n’a ni grille salariale formalisée, ni critère écrit d’évolution pour la majorité de ses salariés.
L’enquête révèle également que 49 % des TPE et 55 % des PME estiment avoir besoin d’au moins 12 mois supplémentaires pour être en règle, bien au-delà du délai imparti. Pire encore, un tiers reconnaît qu’aucun projet n’est prévu.
Grandes entreprises : plus prêtes, mais pas totalement
Du côté des grandes entreprises (GE) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI), la situation est moins alarmante, mais pas idéale :
- 49 % des GE ont un projet structuré (contre 34 % des ETI),
- seulement 21 % des GE ont déjà déployé un dispositif complet,
- Plus de 1 million de salariés des grandes entreprises restent sans plan d’action défini.
Vers une France à deux vitesses
L’étude souligne une dynamique de mise en conformité à plusieurs vitesses :
- Les GE et certaines ETI, dotées de services RH robustes, espèrent tenir les délais.
- Les TPE et PME, moins structurées et souvent sans service RH dédié, accusent un retard massif.
Cette fracture risque de générer une inégalité d’application du droit, à rebours du principe de justice sociale que prétend renforcer la directive.
Sous couvert de technocratie, la directive impose une transparence salariale qui bouleverse les pratiques managériales et RH : devoir expliquer les écarts de rémunération, assumer les critères d’augmentation, et ouvrir le dialogue interne.
Mais pour de nombreuses structures, notamment dans les territoires ruraux, cette mutation s’apparente davantage à une usine à gaz qu’à un levier d’attractivité.
« Le silence autour des salaires ne sera plus tenable, prévient Sandrine Dorbes, fondatrice de l’agence How Much. La transparence n’est pas un risque, c’est une promesse de confiance. Mais encore faut-il en avoir les moyens. »
Retards multiples sur les obligations clés
Les chiffres parlent d’eux-mêmes :
- 46 % seulement des entreprises seront prêtes à afficher une fourchette salariale dans leurs annonces en 2026.
- 47 % sont en conformité avec l’interdiction de demander les anciens salaires.
- 61 % sont prêtes ou en passe de l’être pour le reporting F/H.
Mais un tiers à la moitié des entreprises avouent qu’elles ne seront pas conformes avant fin 2026, voire 2027.
Ce chantier de transparence pourrait devenir un nouveau cauchemar administratif pour des milliers de chefs d’entreprise déjà submergés par les obligations légales, fiscales, environnementales ou sociales. Derrière l’objectif affiché d’équité salariale, la directive européenne s’ajoute à une longue liste de normes que les grandes entreprises absorbent, mais que les petites peinent à digérer.
Si certaines y voient un levier d’attractivité RH et de fidélisation des talents, d’autres redoutent surtout des sanctions, des redressements et une judiciarisation accrue des relations internes.
L’heure tourne. Et sauf accélération massive, la France s’avance vers une non-conformité généralisée à la directive sur la transparence salariale. Le 7 juin 2026 pourrait marquer non pas une avancée vers plus d’égalité, mais le début de tensions nouvelles entre le monde entrepreneurial et le législateur européen.
*Méthodologie : Enquête réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 5 529 entreprises :
TPE : 3 615 entreprises jusqu’à 9 salariés
PME : 1 301 entreprises de plus de 10 à 249 salariés
ETI : 516 entreprises de 250 à 4 999 salarié·es
GE (Grandes Entreprises) : 97 entreprises de plus de 5 000 salariés
Sondage effectué en ligne en novembre 2025 à partir du panel de répondants BuzzPress (27 700 personnes en France sondées électroniquement par email et sur les réseaux sociaux Facebook et LinkedIn). Réponses compilées et pondérées en fonction de quotas préétablis visant à assurer la représentativité de l’échantillon et afin d’obtenir une représentativité de la population visée. Toutes les pondérations s’appuient sur des données administratives et sur les données collectées par l’INSEE et Infogreffe / CNGTC.
**D’après Infogreffe / CNGTC (juillet 2025) et les données Insee sur l’emploi par taille d’entreprise :
Environ 7 millions de TPE, soit environ 96 % des entreprises en France. Nombre de salariés concernés : 2,6 millions (17 %).
Environ 190 000 PME, soit environ 3,5 %. Nombre de salariés concernés : 4,3 millions (29 %).
7 296 ETI (≈ 250 à 4 999 salarié·es) soit ≈ 0,15 %. Nombre de salariés concernés : 3,7 millions (25 %).
327 GE (Grandes entreprises ≈ 5 000 salarié·es et +) soit 0,01 %. Nombre de salariés concernés : 4,2 millions (29 %).
Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
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