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80 ans du marché de Talensac à Nantes : visite du quartier et des secrets du marché

28/10/2017 – 06H00 Nantes (Breizh-info.com) –  Le marché de Talensac, emblématique de Nantes, fête ses 80 ans aujourd’hui. Le bâtiment de béton, labellisé patrimoine du XXe siècle, prend la suite des anciens abattoirs (1829-1933). Il se trouve tout proche de l’ancienne usine à gaz (1837-1934). Une visite du marché et de ses abords a eu lieu ce dimanche, nous nous y sommes invités.

La capitale bretonne vient de passer son premier coup de vent hivernal. Une douce brise bretonne secoue encore les arbres comme des pruniers. C’est le contrôle douanier de l’automne : les arbres doivent rendre toutes leurs feuilles avant l’hiver. C’est pourquoi seule une vingtaine de personnes brave les rafales sur le parvis inachevé – et très récemment restauré – de l’église Saint-Similien, d’où part la visite.

L’usine à gaz et ses hautes cheminées

Le premier arrêt a lieu juste derrière l’ancien presbytère, rue Jeanne d’Arc percée en 1911 d’ailleurs. Le portail qui jouxte le 39 est le dernier vestige de l’Usine à gaz.

Elle avait plusieurs portails et une solide clôture le long de la rue. Avec ses quatre cheminées et ses défournements réguliers, elle causait bien du souci aux commerçants, explique Yves-Marie Rozé. Ce bénévole de la paroisse, passionné d’histoire locale, anime la visite.

« On est obligé de gratter le beurre et le saindoux » de la suie qui s’y dépose, récriminaient les commerçants, qui étaient alors le long de cette rue et jusque sur la place Saint-Similien.

L’usine à gaz partie en 1934, un parking à étages et des immeubles ont pris sa suite à l’arrière du site ERDF. L’usine a aussi racheté l’ancien pensionnat des Frères des Ecoles chrétiennes (actuel collège Victor Hugo) rue de Bel-Air et construit ses quatre gazomètres derrière, sur la rue Bellamy. Elle occupait en 1912 près de 27.300 m² et avait proprement avalé deux rues, dont la rue Moquechien qui n’est plus visible qu’à son extrémité est, ainsi que son escalier.

Des abattoirs bien construits, mais bruyants et encombrants

L’arrêt suivant est au bas de la pentue place de Talensac. La rue Basse-Porte, de ce côté, rappelle sur ses plaques son ancien nom, rue de l’Abattoir. Avant le marché, il y avait en effet des abattoirs, inaugurés le 15 octobre 1829. Ils étaient composés de deux bâtiments édifiés autour d’une place plantée de marronniers,

Ils présentaient un porche central de plein cintre couronnés d’un fronton triangulaire en tuffeau, flanqués d’ailes perpendiculaires plus basses coiffées de toitures à double pente festonnées d’ardoises. Reconnus par leurs contemporains, ces abattoirs avaient même été portés sur la liste de bâtiments remarquables pour les touristes qui visitaient Nantes !

Les abattoirs étaient sur un sol plat, alors que la place était pentue : 20 m d’altitude en haut, 6 m en bas. Elle avait été creusée en haut de 5 mètres et remblayée en bas de 4 autres mètres par des chômeurs employés en « équipes de charité ». Ce dispositif était en quelque sorte l’ancêtre des emplois aidés de nos jours. Chacun des deux bâtiments avait deux groupes de sept tueries ou échaudoirs, où les bêtes étaient suspendues, tuées et leur sang récupéré, de part et d’autre d’une allée centrale couverte. Des bouveries où étaient enfermées les bêtes étaient situés sur les côtés. Les greniers servaient pour le stockage du foin et des aliments.

En haut on trouvait le fondoir de suif et les greniers, ainsi qu’une cour pour les charrettes. En bas, les triperies, le bâtiment abritant des citernes et le puits avec sa machine à vapeur pour remonter l’eau – les abattoirs ne sont raccordés au service des Eaux qu’en 1854 – ainsi que plus bas sur la place un marché aux bestiaux, lui aussi creusé pour être à plat – qui sera coupé en deux par la rue Jeanne d’Arc en 1911 – et l’octroi, qui se prend tant sur les bêtes qu’on amène que sur la viande en morceaux. « Une voie ferrée hippomobile avait été installée sur les pavés de la rue Talensac entre le marché en bas et le haut de l’abattoir pour amener les bêtes », rappelle Yves-Marie Rozé. Quelques années plus tard, à la demande de l’armée, elle est prolongée pour faire tout le tour de l’abattoir, qui était ouvert six jours par semaine. Le samedi soir était le moment d’un grand nettoyage hebdomadaire.

Très vite, l’abattoir, lieu central, est entouré d’un marché alimentaire les mardis et vendredis. « La viande abattue à l’abattoir ne suffisait pas à nourrir Nantes ; on en abattait aussi en-dehors de Nantes et elle était amenée des campagnes puis vendue ici ». Le mercredi et le samedi, c’étaient des morceaux débités sur place qui étaient vendus, d’autres jours, les carcasses et quartiers entiers.

Cependant tout ce foirail était encombrant dans un quartier de plus en plus peuplé et de plus en plus limite au niveau de l’hygiène. Le déplacement du marché est décidé dès 1894 par le conseil municipal, qui revient à la charge en 1907 puis en juillet 1910. Il doit être déplacé à l’est de l’actuelle Ile Beaulieu, mais la guerre interrompt le projet. Il sera finalement déplacé à Rezé, au débouché de l’actuel pont des 3 continents – il devait être commun à Nantes et à Rezé, puis cette commune se retire du projet. Qu’à cela ne tienne, Nantes maintient sa volonté et réussit à transférer dans son patrimoine communal l’emprise du futur abattoir ; les plans sont établis en 1923 et le transfert est décidé en 1929. Quatre ans plus tard, le 16 octobre 1933  les abattoirs quittent enfin Talensac.

Un grand marché central couvert pour les bouchers et les charcutiers

Il faut savoir quoi faire de la friche. Le 27 novembre 1933, le conseil municipal et le maire Léopold Cassegrain décident la création d’un « grand marché central » à Talensac. Un concours d’architectes est organisé. La ville reçoit douze projets déposés par neuf entreprises. Deux d’entre eux prévoient un marché en pente. Le 23 mai 1934, la Ville désigne les architectes Henri Vié (père et fils) et Georges Desfontaines, associés à l’entrepreneur de BTP Jean Le Guillou. Celui-ci cofondera le FC Nantes avec Marcel Saupin en 1943.

Couvert d’une toiture parabolique, le marché est une halle centrale close de 160 mètres de long sur 16 mètres de large pour une superficie de 2 550 m. Il est flanqué d’un marché couvert non clos sous des auvents de 9 mètres de large et d’un marché découvert sur le terre-plein autour du bâtiment. Jean Le Guillou était le concessionnaire nantais des bétons armés Hennebique. L’ossature est donc en béton, la voûte parabolique aussi, l’étanchéité réalisée avec des enduits bitumineux noirs.

D’autres bâtiments à Nantes reprennent cette structure : les grands moulins de la Loire, à Chantenay, défigurés depuis pour devenir un parking (1894, face à l’ancienne brasserie de la Meuse) mais toujours debout, l’église Notre-Dame de Lourdes au pont du Cens et le palais du Champ de Mars (1937). Ce dernier construit pour accueillir tant le marché de gros aux légumes que la poissonnerie municipale, mais aussi diverses foires, congrès, manifestations, est rasé en 1988. Le nouveau marché est inauguré le 8 janvier 1937.

Sous la halle, il y a 208 emplacements pour les bouchers le long des murs – avec des bancs de 2×2,8 mètres et les charcutiers au milieu avec des bancs de 2×2 mètres. Vincent Touzet, boucher et président de l’association des commerçants du marché – créée en 1968, prend le relais de la visite. « Aujourd’hui, il y a 120 emplacements extérieurs et 70 à l’intérieur », presque tous occupés et ce bien que les prix des emplacements sont plus chers que sur bien des marchés, l’affluence en semaine a décliné et les bancs doivent être ouverts au moins quatre jours par semaine, du jeudi au dimanche.

Pourtant, le succès de Talensac ne se dément pas, le samedi et le dimanche, et même le midi du vendredi, les allées sont pleines et le commerce bat son plein. « Le panier moyen est de 40 € ici, contre 30€ en moyenne sur Nantes », rappelle Vincent Touzet. Il met la lumière sur son banc : « ici, sur cet étal je fais tout, j’accueille la marchandise – c’est à dire encore des pièces de viande jusqu’à 90 kilos, déchargées à bras – on sort des allonges tournantes [sortes de gros crochets dont l’extrémité tourne, NDLA], et après on fait tout. On les casse, dépèce, on fait les préparations, les cuissons, la vente. On est peut-être encore trois ou quatre à le faire sur le marché, comme à l’époque où il n’y avait que des bouchers ou des charcutiers ». Beaucoup ne peuvent plus le faire, faute de temps ou de place.  Vincent Touzet n’a que le marché de Talensac.

Un des emplacements historiques a été sauvegardé dans son état initial, au milieu du marché. Il sert pour les associations et peut être demandé, gratuitement, à la mairie de Nantes. Les commerçants ont leur local à eux, face au local du placier, en haut du marché, et forment une communauté tenue par des liens historiques forts. « Ici, les étals se passent de famille en famille », se remémore Vincent Touzet « Dans les années 1930, 1940, ma grand-mère qui habitait rue Russeil allait acheter des rillettes chez Potrel. Je suis né en 1958, nous y allions ensemble. La charcuterie Potrel existe toujours, c’est encore la même famille, et ils font toujours des rillettes ! ».

1975 : quand le marché de Talensac a failli disparaître

Cette belle histoire a pourtant failli s’achever brutalement. Le marché de Talensac doit sa survie à la mobilisation de ses commerçants. Le 13 mai 1975, la société Texim et l’architecte M. de Genovic présentent aux commerçants, réunis au café de la Bonde, leur projet. Le marché historique serait rasé et remplacé par un bâtiment moderne, avec un nouveau marché plus petit et sans auvent, un parking privé et une galerie marchande au-dessus avec une grande surface.

Les commerçants sont vent debout : ils ne sont pas indemnisés, sont déplacés deux ans durant dans des baraquements place Viarme, non aménagés, et les primeurs sont rayés de la carte. Un comité de défense est créé le 24 mai 1975. Il regroupe l’association des commerçants de Talensac, l’Union professionnelle des commerçants de marché, le groupement indépendant des marchands étalagistes et les commerçants riverains, représentés par le pharmacien Pineau. Le siège est fixé au café Brizeux – l’actuelle Fourchette du Marché. Une pétition est lancée pour recueillir l’avis des clients – en quelques jours, elle rassemble 5000 signatures de clients excédés par la démolition du marché et… le parking payant privé.

Le 27 mai 1975, le maire André Morice abandonne le projet de grande surface dans le nouveau projet. Il déclare, en conseil municipal, que « si les intéressés ne sont pas d’accord, le projet ne sera pas poussé. Ceci souligne la volonté de la municipalité de ne pas imposer mais de convaincre ». Peine perdue : devant l’opposition persistante des clients, commerçants et riverains, la mairie se rend à la raison. Le projet est finalement enterré. Plus d’un quart de siècle après, son lointain successeur qui connaîtra une grande carrière politique n’aura à cœur que d’imposer, y compris hors de ses limites communales et à grands renforts de matraques… sans plus de succès au demeurant.

Des caves secrètes… pour des PV périmés et des masques respiratoires inutiles

En haut du marché, sous les locaux du placier et des commerçants se trouve l’entrée des caves. A l’origine un sous-sol de 1145m² était prévu dans la partie haute du marché avec 100 caveaux et un monte-charge. Cependant, pour des raisons diverses, le monte-charge prévu n’a jamais été installé – seule sa trémie existe – et les caves n’ont pas trouvé preneurs. Aujourd’hui, ils servent à stocker… des années de PV de stationnement de la mairie et des palettes de masques respiratoires livrés par le ministère de la Santé à l’époque où l’ancienne visiteuse médicale Roselyne Bachelot voulait faire vacciner la France entière contre la grippe pour plus de 700 millions d’euros. Les masques n’ont jamais servi et se périmeront, inutiles, en 2018.

« Nous aimerions mettre en valeur cet espace », explique Vincent Touzet, qui informe que « des présentations de poésie devant des petits groupes » auront lieu avec le soutien de la mairie l’hiver prochain. Entre-temps, l’association des commerçants a fait sortir un livre dédié à l’histoire du marché de Talensac, paru en octobre. Coécrit par notre confrère de Presse-Océan Dominique Bloyet avec des photos de Cédric Blondeel, il retrace l’histoire des abattoirs, du marché, des commerçants qui sont sur le marché et à ses abords.

Bien que perfectible – il manque des commerçants notamment à l’extérieur de la halle et parmi les producteurs locaux reconnus placés sous les auvents ainsi que des informations sur les commerces situés aux abords du marché, notamment plusieurs cafés – c’est tout de même un ouvrage intéressant et bien écrit.

Après 80 ans, l’histoire du marché de Talensac continue de s’écrire alors même que le modèle du marché, lieu de consommation fixe dans une société mobile, semble menacé et que nombre de marchés sont en déclin sous la double attaque de la grande distribution et du développement des réseaux de distribution paysans (AMAP, magasins fermiers etc.) ou coopératifs (GASE, Scopéli). Cependant, « en achetant sur un marché, on défend des valeurs », exhorte Vincent Touzet.

L’association travaille à renforcer la cohésion des commerçants – il y a un monde entre la halle et les auvents, voire le terre-plein, et même sous la halle, « les commerçants travaillent et se connaissent par quartiers », explique Vincent Touzet. Ce sont là deux phénomènes que l’on retrouve sur bien des marchés, y compris moins importants en taille et en clientèle. Elle continue aussi à envisager des pistes pour offrir plus de services : service de livraison, carte de fidélité ou encore un marché nocturne, qui pourrait avoir lieu le jeudi soir.

Louis-Benoît Greffe

Crédit photo : Breizh-info.com
Breizh-info.com, 2017, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine.

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