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Bran Ruz, la légende païenne de la ville d’Ys (bande dessinée)

Dans la célèbre bande dessinée Bran Ruz, Auclair et Deschamps revisitent la légende bretonne de la cité engloutie d’Ys. Cet album mémorable de la fin des années 1970 vient enfin d’être réédité.

En 1980, dans un village des Monts d’Arrée, au cours d’un fest-noz, deux chanteurs racontent la légende de la ville d’Ys en dévoilant le rôle central de Bran Ruz. Ce chant nous transporte au cinquième siècle, peu de temps après l’invasion de l’Armorique par les Bretons. Sur la côte, des naufrageurs pillent un navire. C’est parmi cette tribu celte que vit Bran Ruz, dont la chevelure rousse est signe de malédiction. Sa mère travaille dans des marais salants, réduite à la situation d’esclave par la ville d’Ys. Bran Ruz, enfant solitaire, se réfugie souvent sur la falaise pour contempler, au large, la majestueuse ville d’Ys. Celle-ci gouverne la région par la terreur, le vice et l’injustice (inceste royal, corruption, prêtres fanatiques…). Tenaillé par la faim, Bran Ruz attrape un poisson. Il s’agit du roi des poissons qui lui offre le pouvoir de voir avec les yeux des mouettes et de tuer par la pensée. Plus tard, entré dans la ville d’Ys, il va s’unir à Dahud, la fille du roi Gradlon. Puis il devient son époux. Furieux, le roi Gradlon jette les amants à l’océan, ligotés dans une barque. Sauvés par des sirènes, ils s’échouent sur une plage, et commencent un voyage aux sources du druidisme. Pour le peuple de la vieille Armorique païenne, ils raniment l’espoir d’un retour aux temps d’avant la christianisation. Après la victoire de son armée, Bran Ruz parvient à vaincre Gradlon en combat singulier. Bran Ruz devient le maître de la ville d’Ys et y rétablit la religion païenne. Mais le prêtre Guénolé, qui refuse d’accepter un retour au paganisme, ouvre les vannes qui protègent Ys de l’océan. Bran Ruz, Dahud et tous les habitants de la ville disparaissent dans les flots…

Bran Ruz est une bande dessinée d’Alain Deschamps (scénario) et de Claude Auclair (dessin). Ses douze chapitres en noir et blanc sortent d’abord, de 1978 à 1981, dans la revue À suivre. Puis l’album est publié aux éditions Casterman, les passages bretons étant traduits en français, avec une préface signée Jean Markale.

Le scénariste Alain Deschamps s’écarte de la légende la plus classique de la ville d’Ys, laquelle met en valeur les évangélisateurs bretons. Selon celle-ci, la ville d’Ys, située en pleine mer, est protégée par une haute digue. Seul le roi chrétien Gradlon possède la clé de la grande porte en bronze qui ferme les remparts. Mais malgré les sermons de Saint-Guénolé, Ys devient un lieu de péchés sous l’influence de Dahud, la fille de Gradlon, qui y organise des orgies. Déclenchée par une colère divine, une tempête engloutit alors la ville d’Ys et sa population.

Alain Deschamps inverse le message puisque son interprétation de la légende est antichrétienne. Fille d’une magicienne celtique, Dahud devient ainsi une héroïne de la cause bretonne et de la religion païenne. Le scénariste ajoute à la légende le personnage de Bran Ruz, frêle adolescent qui deviendra le mari de Dahud puis le chef de l’armée païenne. Mais Bran Ruz, manquant d’épaisseur psychologique, impressionne moins que Dahud et son père Gradlon. Le roi Gradlon obéit aveuglément à Saint Guénolé. Ce dernier, évangélisateur historique de la Bretagne, devient dans cette bande dessinée un fanatique prêt à toutes les atrocités pour faire triompher la religion chrétienne.

Certes, ce scénario est remarquablement construit. Il met sur le même plan la résistance du paganisme face au christianisme et celle de l’identité bretonne face au jacobinisme. Comme le rappelle le scénariste, son combat à la fin des années 1970 est celui du peuple breton, resté fidèle à ses racines, contre l’installation d’une centrale nucléaire à Plogoff. Mais le message défendu sur près 200 pages devient caricatural. Les prêtres catholiques aux visages souvent déformés par la haine sont fanatisés. Le discours païen militant devient ainsi aussi didactique que sa présentation de la religion chrétienne qu’il entend dénoncer.

Claude Auclair, né en Vendée dans le marais breton en 1943 et mort à Nantes en 1990, dessinateur et scénariste, était un maître du noir et blanc. Dans ses œuvres, il s’intéresse à la science-fiction post-apocalyptique écologiste (Simon du Fleuve) et au monde celte (Tuan Mac Cairill, Bran Ruz). En 1981, il illustre la pochette de Terre des vivants, disque d’Alan Stivell. Dans Bran Ruz, son trait précis, sublime, correspond parfaitement au scénario. Comme d’habitude, la nature est omniprésente. Auclair est l’un des seuls à dessiner des scènes muettes, en mettant en valeur la campagne et la pluie, les falaises et la mer. Certes, les scènes dynamiques sont rares. Mais Auclair recherche davantage la poésie que le mouvement.

Par cette bande dessinée plutôt destinée aux adultes, Auclair et Deschamps espèrent qu’un jour la ville engloutie d’Ys réapparaîtra, triomphante, et réanimera la foi païenne pour une renaissance de la culture bretonne. Sa lecture quarante après sa sortie laisse songeur. La religion chrétienne, même en Bretagne, a perdu son influence. Et la culture bretonne n’a pas mis fin à son lent déclin. La culture bretonne n’est-elle pas, en vérité, indissociable de la religion chrétienne ? On peut se demander si, dans l’optique de défendre la culture bretonne, les auteurs n’auraient pas mieux fait de dénoncer l’idéologie libérale-mondialiste et tous ses travers ! Bran Ruz n’en reste pas moins un chef d’œuvre de la bande dessinée.

Kristol Séhec

Bran Ruz, 192 pages, 25 euros. Éditions Casterman.

Illustrations : DR
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