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Trente ans après son élection à la mairie de Nantes, que reste-t-il de Jean-Marc Ayrault ?

Voici trente ans, le 23 mars 1989, Jean-Marc Ayrault était élu maire de Nantes. Les moins de 50 ans imaginent mal quel enthousiasme a entouré sa victoire. Depuis l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, une marée « rose » déferlait sur la France. À rebours de ce mouvement, les socialistes avaient perdu la mairie de Nantes en 1983. Une génération de militants et d’apparatchiks baby-boomers avait vu ses ambitions fauchées dans la fleur de l’âge et en avait ressenti comme un sentiment d’injustice. En 1989, Jean-Marc Ayrault lui a restitué un destin.

Quoique relativement jeune (39 ans), Jean-Marc Ayrault était déjà un homme politique de premier plan en 1989. Il avait été pendant douze ans maire de Saint-Herblain, troisième commune de Loire-Atlantique par le nombre d’habitants. Il était depuis 1986 député de Loire-Atlantique, élu d’une nouvelle circonscription que certains disaient taillée exprès pour lui. Il était considéré comme l’héritier putatif de Jean Poperen, dirigeant de l’aile gauche du Parti socialiste. Beaucoup lui prédisaient un destin national. Dès 1977, François Mitterrand lui-même l’avait cité comme l’un des espoirs du socialisme français.

Jean-Marc Ayrault arrivait à un moment assez favorable. Les socialistes locaux affirment aujourd’hui que la ville se trouvait sinistrée par la fermeture des chantiers navals en 1987. En réalité, les dégâts économiques n’étaient pas comparables à ceux subis par des villes du Nord ou de l’Est lors de fermetures des mines ou des aciéries. Car la Navale n’avait pas disparu, elle s’était repliée sur Saint-Nazaire. Le taux de chômage dans le département a d’ailleurs baissé nettement entre 1987 et 1989.

Un champ d’action urbanistique gaspillé

En revanche, la fermeture des chantiers navals était une opportunité incroyable pour un maire nouvellement élu : elle mettait à sa disposition des dizaines d’hectares de terrains désertés par l’industrie en bord de Loire à quelques centaines de mètres du centre-ville. De quoi faire l’histoire en imprimant sa marque sur la forme de la ville. Nantes compte des quartiers prestigieux qui portent le nom de leur créateur, comme l’île Feydeau, ou le quartier Graslin. Le quartier Ayrault ne demandait qu’à naître.

Aujourd’hui encore, Nantes Métropole considère cette zone, rebaptisée île de Nantes, comme « l’un des plus importants projets urbains d’Europe ». Jean-Marc Ayrault a pris le temps d’une longue réflexion : les aménagements n’ont réellement commencé qu’en 2000. Il s’est attaché les conseils d’un urbaniste de renom, Alexandre Chemetoff. Après dix ans d’une collaboration soi-disant exemplaire, Nantes a mis fin avec pertes et fracas au contrat de Chemetoff.

Les réalisations paraissent aujourd’hui, dans l’ensemble, très décevantes. La zone la plus appréciée des Nantais est celle qui a été la moins modifiée. Les familles viennent s’y promener au bord de la Loire aux côtés du célèbre éléphant mécanique des Machines de l’île. Une énorme zone d’habitation en cours de construction présente un alignement de cubes de béton fonctionnels sans guère de charme. Le quartier de la création, qui réunit activités créatives et établissements d’enseignement supérieur (école d’architecture, école des Beaux-arts, Audencia SciencesCom…), repose sur une idée séduisante mais peine à s’inventer une vie de quartier, justement. Le nouveau palais de justice l’écrase visuellement de sa masse sombre et austère. Sa masse psychologique n’est pas moins pesante puisque les professions du droit sont parmi les moins créatives et qu’une bonne partie des 1 100 avocats du barreau de Nantes ont installé leur cabinet à proximité du Palais.

Grands équipements : peu de projets, encore moins de réalisations

Sur le plan des grands équipements, Jean-Marc Ayrault est arrivé à un moment favorable. Le TGV Paris-Le Mans allait ouvrir en septembre 1989, attirant vers Nantes beaucoup d’entreprises parisiennes. Le périphérique nantais et le pont de Cheviré étaient en voie d’achèvement. La ligne 1 du tramway était achevée, la ligne 2 déjà en travaux, la ligne 3 en projet. Jean-Marc Ayrault a présidé à la réalisation de cette dernière mais n’en a pas créé de nouvelle. Il n’a pas réalisé non plus l’interconnexion entre les lignes 1 et 2 promise lors de sa campagne électorale de 2008. Surtout, il n’a rien décidé quant à la desserte de l’île de Nantes par les transports en commun, engageant la construction d’un nouveau quartier majeur sans prévoir comment ses habitants se déplaceraient.

Cette lacune paraît aujourd’hui d’autant plus criante que le principal grand équipement nouveau dont Jean-Marc Ayrault a décidé la réalisation est le nouveau CHU, dont la construction est projetée au sud de l’île de Nantes. On n’imagine pas aujourd’hui de CHU sans desserte publique, mais la question reste dans le flou, Johanna Rolland n’ayant pas tranché plus que son prédécesseur, alors que l’enquête publique sur la création du CHU commence le 25 mars.

Il n’est pas certain à ce jour que ce projet initié par Jean-Marc Ayrault devienne davantage réalité que l’autre grand équipement auquel il a attaché son nom : le nouvel aéroport de Notre-Dame-des-Landes, longtemps surnommé « Ayraultport ». Après avoir longtemps réclamé sa construction, Jean-Marc Ayrault ne l’a pas lancée au moment où il aurait pu le faire en tant que Premier ministre, entre 2012 et 2014.

L’image de la ville centrée sur l’esclavage

Sur le plan de l’identité de la ville, la pensée de Jean-Marc Ayrault semble marquée par un petit nombre d’idées simples. D’abord, la débretonnisation. Pour lui, la bretonnité de Nantes est un moment historique, non un trait caractéristique de la ville et de sa population. Cette conception est d’ailleurs inscrite dans l’aménagement du musée d’histoire de Nantes, confiée par lui à des fidèles : l’histoire ne serait pas un continuum mais un empilement de tranches distinctes. Jean-Marc Ayrault a d’ailleurs attendu près de vingt ans pour créer, plus ou moins à contrecœur, une direction du patrimoine à la mairie de Nantes.

En réalité, un seul aspect historique de Nantes semble l’avoir vraiment intéressé : le rôle du port dans le commerce des esclaves transatlantique. Dès les débuts de son mandat, il a cherché à en faire un marqueur capital de la ville en apportant un soutien important à une exposition sur ce thème, « Les Anneaux de la mémoire », relayée par l’Unesco dans plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique. La ville a souvent affirmé qu’avant cette exposition, la mémoire de la Traite était occultée à Nantes. Cette assertion mensongère (comme l’a souligné un polémiste local) a inspiré la grande œuvre du mandat de Jean-Marc Ayrault : la construction d’un « Mémorial de l’abolition de l’esclavage », un monument austère, minimaliste, dont la construction a pourtant coûté près de 8 millions d’euros et qui a exigé récemment des réparations coûteuses.

Et aujourd’hui, pour éclairer sa fin de carrière, c’est encore sur l’esclavage que compte Jean-Marc Ayrault. Tandis qu’un autre ancien Premier ministre, Alain Juppé, vient d’être nommé président du Conseil constitutionnel, Jean-Marc Ayrault préside depuis 2016 une Mission de la mémoire de l’esclavage, de la traite et de leurs abolitions. Elle pourrait éventuellement déboucher sur la création d’une Fondation pour la mémoire de l’esclavage, dont les moyens éventuels restent indéterminés à ce jour.

E .F.

Photo : J.-M. Ayrault à Munich en 2017 par Hildenbrand/MSC, [cc] Wikipedia, autorisation https://www.securityconference.de/en/legal-advice/
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine – V

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