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Jean-Clément Martin : « Ce qui s’est passé en Vendée est au coeur de l’histoire de France » [Interview]

Jean-Clément Martin est historien. Il a été professeur à l’Université Paris 1 Panthéon Sorbonne et directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française. Il est actuellement en retraite, avec le statut de professeur émérite. Depuis 40 ans maintenant, il a travaillé sur les Guerres de Vendée et la Révolution française. Il a publié une trentaine de livres à ce jour sur les Guerres de Vendée et la Révolution, dont le dernier, la Vendée et la mémoire, 1800-2018, paru aux éditions Perrin.

Présentation de l’éditeur : La Vendée est à nouveau d’actualité. Les livres de Philippe de Villiers ou de Patrick Buisson connaissent des succès retentissants, faisant écho à celui que connaît le spectacle du Puy-du-Fou. Les querelles historiographiques continuent autour du « génocide » vendéen, revitalisées par les incertitudes de l’État pour savoir que faire des squelettes retrouvés au Mans, témoins de la répression de 1793. Le présent livre s’était initialement attaché à suivre l’histoire des relations entre la Vendée et la France de 1800 à 1980 pour mettre en valeur l’importance que le souvenir des guerres de Vendée, grossièrement de 1793 à 1799, avaient eue dans l’histoire de notre pays. L’ouvrage s’arrêtait alors aux années d’avant le bicentenaire de la Révolution, moment qui avait vu, paradoxalement, l’attention nationale et internationale se focaliser sur l’exemple de la Vendée. Il était nécessaire de le reprendre en le complétant par l’analyse des quarante dernières années où il a été question de cette dernière. Il permet ainsi de suivre l’évolution contrastée des souvenirs et des mémoires pour mettre en lumière le tournant manifestement définitif pris par les traces des guerres de Vendée dans notre mémoire collective.

Nous avons interrogé Jean-Clément Martin au sujet de cet ouvrage.

Breizh-info.com : Parlez nous de votre livre, la Vendée de la mémoire, qu’avez-vous souhaité synthétiser à travers cet ouvrage ?

Jean-Clément Martin : Si on le dit autrement, il s’agit de la deuxième partie de la thèse que j’ai soutenu en 1987. Le livre qui parait actuellement est, pour l’essentiel, la réédition de cette deuxième partie parue aux éditions du Seuil en 1989. L’intérêt du livre aujourd’hui est de redonner la possibilité de suivre l’évolution des rapports à la mémoire et l’histoire de la Guerre de Vendée depuis 1800, mais surtout d’aller jusqu’en 2018. Puisque les 30 dernières années ont été un tournant essentiel, tournant qui amorce un virage inédit dans cette histoire de la mémoire des Guerres de Vendée.

Il me semblait important que l’on puisse donner à tout le monde l’occasion de voir ce virage.

Depuis 30 ans, je suis certain d’une chose, c’est que la mémoire des guerres de Vendée participe complètement de la mémoire de l’histoire de France, elle en est indissociable. Le livre est, quelque part, une reconnaissance, une mise au point sur ces 200 ans de conflits mémoriels, qui se sont achevés par une reconnaissance extraordinaire de la mémoire des Guerres de Vendée en France.

Breizh-info.com : Pourquoi dites-vous qu’un cycle se referme sur l’histoire de la Vendée en 2020 ?

Jean-Clément Martin : Je ne fais pas de prévision. L’orientation prise par le conseil départemental de la Vendée il y a quelques mois amorçant une réflexion pour lancer la Vendée dans une nouvelle histoire à partir de 2020, s’intitule la Vendée 2040. Cela m’a beaucoup frappé. Les élus de la Vendée ont imaginé, pensé, qu’il fallait un plan de réorganisation de la Vendée basé sur le numérique le tourisme, le développement des industries de pointe, c’est à dire selon des axes qui ne sont pas selon les axes des gens qui, habituellement, pensent à la Vendée et qui vont penser au souvenir, à l’agriculture, ou à la pêche. C’est juste un constat, pas d’intention polémique.

La Vendée a beaucoup évolué, et c’est la suite de cette évolution, ce qui m’a fait dire qu’un virage se prenait actuellement.

Il y a un deuxième point que je n’ai pas développé : les élites qui ont porté le souvenir de la Guerre de Vendée ont un certain âge, au moins le mien. Dans 20 ans, nous aurons passé la main, ou disparu. Nous sommes à la veille d’un changement générationnel important, qui va rebattre les cartes.

Le troisième point est interrogatif. Il fait écho au spectacle lancé par Philippe De Villiers au Puy du Fou intitulé « le Dernier panache ». J’ai mis un point d’interrogation à ce titre. Y’aura-t-il encore un panache après ? Le Puy du fou change de statut, s’internationalise.

Dernier point, avec la permanence des associations du souvenir, comme le Souvenir vendéen. Associations qui continuent leur tâche et qui sont en train de finir par acclimater complètement l’histoire de la Guerre de Vendée y compris dans les zones urbaines, et c’est important. Dans 20 ans, est-ce que la Guerre de Vendée aura la même place, et notamment la place polémique qu’elle a encore aujourd’hui ? Pas sûr…

Breizh-info.com : Cela va aussi en parallèle avec un déclin de l’enseignement et de l’attractivité pour l’Histoire en général…

Jean-Clément Martin : Absolument d’accord. Est-ce qu’on ne rentre pas là dans cette marginalisation de l’histoire nationale et régionale ? J’en ai peur. Quand j’ai commencé à travailler il y a 40 ans, il y avait énormément d’éditions régionales et de librairies qui vendaient ces ouvrages. C’est fini depuis 20 ans, on a changé de monde.

Breizh-info.com : Comment expliquez-vous ces controverses mémorielles dures qui ont émaillé les dernières décennies à propos de la Vendée ? On vous sait opposé à d’autres historiens spécialistes de la Vendée, notamment sur les termes de génocide, de populicide…

Jean-Clément Martin : Avec un peu de recul, je dirai que les querelles mémorielles existent depuis le début, depuis 1794. Les Guerres de Vendée sont un objet de querelles considérables. Il suffit de penser que cette question des noyades de Nantes notamment, a été lancée, car on ne savait pas comment sortir des évènements qui s’étaient passés en Vendée jusqu’à là.

On est dans un jeu terrifiant, car la Guerre de Vendée touche à la fonction de l’État. À l’histoire de France. Ce qu’il s’est passé en Vendée est au cœur de l’histoire de France, étant donné qu’il y a eu continuellement — c’est l’objet du livre — cet enjeu vendéen au sein de l’histoire de France. À la fin du 19e siècle, quand il y a eu toute cette création de statues, de tableaux, d’ouvrages sur les Guerres de Vendée qui sont aujourd’hui le socle de notre connaissance.

On est dans un enjeu mémoriel énorme. Ce que je dis de manière peut-être un peu brutale, c’est qu’il n’y a jamais de traitement politique des rapports entre l’histoire des Guerres de Vendée et l’histoire de France. Cela fait 30 ans que je dis que nous n’avons pas fait le deuil de la Guerre de Vendée, important par le nombre des victimes et la charge symbolique. Il y a quelque chose de jamais résolu.

Ce qu’il s’est passé dans les années 80 au moment du bicentenaire de la révolution a ajouté une couche à cette difficulté, difficulté qui s’est traduite par le débat autour de la notion de Génocide. Est-ce qu’il y a eu, oui ou non, un génocide en Vendée ? Ma position a été de dire qu’il n’y avait pas eu de génocide, mais un nombre de victimes considérables. J’étais celui qui donnait le chiffre le plus élevé au nombre de victimes, et je maintiens ma position. En revanche, l’idée de génocide me semble être une qualification qui n’avait pas sa place en Vendée. Il y a eu des crimes de guerre, peut-être ce que l’on pourrait appeler des crimes contre l’humanité, en revanche, la notion de génocide me paraissait entrainer la guerre de Vendée sur des pistes compliquées, car on allait comparer à la Shoah, au génocide arménien, au Rwanda…

Breizh-info.com : À une course à la mémoire en fin de compte…

Jean-Clément Martin : Oui, et puis certainement aussi, à une déformation des jugements.

Breizh-info.com : À une forme d’anachronisme ?

Jean-Clément Martin : Non, cela ne me dérange pas. Les mots que nous employons aujourd’hui sont des mots que les gens n’employaient pas il y a 200 ans. L’anachronisme en histoire est normal, il faut juste le contrôler. Mais il faut éviter de plaquer sur une question des problématiques qui ne correspondent pas au contexte. Quand on parle de génocide, on veut dire organisation importante de l’État, mise en cause de la Révolution comme matrice des totalitarismes, on part sur d’autres pistes qui ne correspondent pas, me semble-t-il, à la réalité de ce qu’il s’est passé au 18e siècle. La notion de génocide — et je ne suis pas le seul à le dire d’autres historiens le disent aussi — n’ajoute pas suffisamment de choses à la description des faits pour qu’on l’utilise, c’est quand même un piège.

Breizh-info.com : Vous avez parlé d’un nouveau cycle à venir sur la Vendée et son étude. Qui sont les jeunes historiens qui viennent à la suite des Brégeon, Secher, et de vous même, dans l’étude de ces Guerres de Vendée ? Je ne dis pas que vous êtes un ancêtre (rires)…

Jean-Clément Martin : bonne question. Je vois avec plaisir au niveau universitaire un certain nombre de gens qui se sont engagés dans cette voie-là. Aurélien Lignereux, actuellement à Grenoble et qui a enseigné à Angers, a fait un excellent livre sur 1814-1815 dans l’Ouest. Un livre sur la résistance des Vendéens et des chouans au retour de Napoléon.

Il y a aussi Anne Rolland, qui enseigne à Angers et qui a publié plusieurs livres sur la Vendée, qui vient de faire paraitre un excellent livre sur les traités de paix de 1794. Il y a des étudiants qui sont en train de faire des choses, de travailler, à Paris, mais pas seulement, sur la guerre de Vendée. Dans une dizaine d’années, il y aura de bons travaux. J’avais peur il y a quelques années d’être bien seul, mais ce n’est pas le cas.

Le développement des histoires de la Contre-révolution est très intéressant. À Lyon, il y a un directeur de recherche au CNRS qui a travaillé et édité un certain nombre d’ouvrages sur la contre-révolution dans toute l’Europe, et on a maintenant de très bons travaux, en Italie, en Espagne, et qu’on retrouve dans le dictionnaire de la Contre-révolution que j’ai publié maintenant il y a 10 ans chez Perrin.

Breizh-info.com : Sur la Vendée, beaucoup de choses ont été écrites. Très peu ont été filmées. Comment expliquez-vous l’absence d’intérêt pour les guerres de Vendée du cinéma grand public — les films sortis sur la question étant confidentiels ?

Jean-Clément Martin : La Vendée a été un symbole depuis 1793. Un symbole pour les républicains, et un symbole pour les contre-révolutionnaires. L’exécution des deux chefs, la signification religieuse métaphysique tellement grande, fait qu’il est difficile d’utiliser la Vendée à des vocations romanesques. C’est ça qui bloque me semble-t-il. Peut-on traiter Charette comme n’importe quel chef chouan ? Non. Je ne parle même pas de Cathelineau bien sûr. On a une importante symbolique qui rend l’utilisation des acteurs de la guerre de Vendée difficilement romanesques. Chez les chouans au contraire, on fait un peu ce qu’on veut ! Il suffit de penser au 93 de Victor Hugo, qui dit que c’est la Vendée alors qu’il parle de la Bretagne, et qui raconte une histoire totalement inventée, ce qui ne choque personne.

Cette confusion là Vendée/Chouannerie a permis que l’on puisse inventer, à partir de la Chouannerie, inventer tout ce qu’on voulait et notamment des films (cf le film de Philippe de Broca, chouans, de 1988, complètement inventé avec le départ dans un ULM à vapeur…).

Il y a quelque chose qui interdit en quelque sorte qu’on utilise la guerre de Vendée avec la liberté que l’on peut avoir vis à vis de la Chouannerie qui n’a pas cette importante symbolique et politique. Et qui a été aussi une révolte où tout a été mêlé, entre idéalistes, voleurs de diligence…Quelque part, cela dure toujours. On butte sur cette reconnaissance d’une Vendée au cœur de l’histoire de France.

La Vendée de la mémoire 1800-2018 — Jean-Clément Martin — Perrin — 24€

Propos recueillis par YV

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