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Irlande. Polémique autour d’une possible célébration officielle en hommage à la police irlandaise (RIC) et aux Black and Tans [MAJ : report]

MAJ du 8 janvier 2020 : Le ministre de la Justice Charlie Flanagan a déclaré qu’il ne croit pas que l’événement puisse se dérouler comme prévu « dans une atmosphère qui répond aux objectifs et aux principes directeurs du programme commémoratif global ». Le Gouvernement a donc reporté une manifestation qui devait commémorer la Royal Irish Constabulary et la Dublin Metropolitan Police, suite à un tollé. L’événement, un service pour ceux qui ont servi dans ces organisations, devait avoir lieu le vendredi 17 janvier au château de Dublin, mais il a été reporté. Un véritable camouflet pour le gouvernement irlandais.

Une polémique a lieu actuellement en Irlande à propos d’une commémoration d’État à venir en l’honneur des membres de la Royal Irish Constabulary (RIC) et de la Dublin Metropolitan Police (DMP) qui ont été tués pendant la guerre d’indépendance de l’Irlande. Les commémorations doivent avoir lieu au château de Dublin le vendredi 17 janvier, mais plusieurs personnalités politiques de haut niveau de différents partis, y compris un certain nombre de maires, ne seront pas présents.

Pour les héritiers de la lutte d’indépendance de l’Irlande, il ne s’agirait en effet ni plus ni moins que de commémorer les Black and Tans, ces militaires engagés par le gouvernement britannique à partir de 1920 pour aider la Police royale irlandaise (RIC) et l’armée britannique à lutter contre les indépendantistes de l’Armée républicaine irlandaise (IRA). Ils ont été dissous en 1922, après la fin de la guerre d’indépendance irlandaise.

Boycott de maires, du Sinn Féin, de membres du Fianna Fail

Pour Charlie Flanagan, ministre de la Justice, la polémique n’a pas lieu d’être, mais néanmoins, une ribambelle de personnalités politiques ont indiqué qu’elles boycotteraient purement et simplement la cérémonie.

Le maire de Clare, membre du Fianna Fail, Cathal Crowe, a déclaré qu’il n’assisterait pas à la commémoration au château de Dublin parce qu’il estimait qu’il s’agissait d’une « trahison » de ceux qui ont combattu pour la liberté de l’Irlande. « Je n’ai pas de rancune envers les hommes qui ont servi dans la division RIC de Clare – beaucoup d’entre eux étaient des gens honnêtes qui étaient guidés par leurs principes civiques et respectueux des lois. Je pense cependant qu’il est mal de célébrer et de faire l’éloge (je considère que “commémorer” est un verbe à connotation positive) d’une organisation qui était le bras armé de l’État britannique en Irlande. Le RIC a rejoint l’armée et les auxiliaires (Black & Tans) dans des groupes de recherche et des raids qui ont abouti à ce que les habitants de notre pays soient tués / torturés ou à ce que leurs maisons soient incendiées ».

S’exprimant en début de semaine, le ministre de la Justice a lui déclaré que l’événement était « une reconnaissance de l’importance historique de la DPM et de la RIC. Ce n’est en aucun cas une commémoration des Black and Tans ou des auxiliaires ». Il a ajouté que la police irlandaise (RIC) se trouvait « du mauvais côté de l’histoire » et a déclaré qu’il fallait noter que la grande majorité des Irlandais qui ont servi comme officiers de l’armée ou de la police « l’ont fait avec honneur et intégrité ».

M. Flanagan, qui défend sa commémoration, poursuit : « C’est pourquoi il est décevant de voir certains élus et représentants de partis politique abandonner les principes de compréhension mutuelle et de réconciliation pour tenter de faire les gros titres. Cette attitude, combinée à une déformation de la nature de la commémoration, est malvenue et représente un pas en arrière ».

Il a déclaré que l’histoire irlandaise est complexe, ce qui est d’autant plus frappant que de nombreuses personnes font des recherches sur leurs antécédents familiaux et découvrent souvent des ancêtres qui ont pour certains servi dans l’armée ou la police, d’autres qui ont joué un rôle dans la lutte pour une république irlandaise ou pour le Home Rule.

« Beaucoup de familles irlandaises partagent cette histoire complexe et ces faits doivent être explorés et reconnus car tous les fils de notre histoire, au sein des familles et de la nation, font de nous ce que nous sommes aujourd’hui en tant que peuple. » M. Flanagan s’est dit heureux d’appuyer la recommandation du Groupe consultatif d’experts sur la commémoration du centenaire, qui souhaite que la place du RIC et du DMP dans l’histoire soit rappelée.

De nombreux maires appellent au boycott pur et simple de la commémoration, ainsi que des partis politiques comme le Sinn Féin. « Je pense que commémorer ces armes de la domination britannique en Irlande qui ont agi en opposition aux objectifs de l’indépendance irlandaise est une erreur » déclare l’un d’entre eux, estimant que le gouvernement faisait une grave erreur. Idem pour le maire de Sligo, Tom MacSharry (Fianna Fáil) : « Je ne souhaite pas être associé à un événement qui commémorerait indirectement les actions des Black et des Tans ».

La dirigeante du Sinn Féin, Mary Lou McDonald, a de son coté demandé au gouvernement d’annuler l’événement. « La Royal Irish Constabulary et la Dublin Metropolitan Police n’étaient pas de simples forces de police – comme semble le penser le ministre de la Justice – mais elles avaient un rôle spécifique à jouer dans le maintien de ce qui était souvent la loi martiale et la suppression de la volonté du peuple irlandais d’autodétermination et d’indépendance nationale. Dans aucun autre État, ceux qui ont facilité la suppression de la liberté nationale ne seraient commémorés par l’État et je demande au gouvernement d’annuler cette commémoration d’État » a-t-elle indiqué.

Dans un communiqué, le Republican Sinn Féin (dissident du Sinn Féin) appelle à des manifestations pour protester : « Des monuments commémoratifs parsèment les bords de route dans tout le pays en souvenir de ceux qui ont été brutalement assassinés de leurs mains. Cork et Ballybrigan ont été brûlés par les Black and Tans. Pendant l’Holocauste irlandais, c’est le RIC qui a aidé à réaliser les expulsions et a défendu la nourriture qui était expédiée hors d’Irlande chaque semaine. Il n’est pas surprenant que Drew Harris soit présent. Il est aussi coupable de crimes contre le peuple irlandais que n’importe quel ancien membre du RIC. Harris est impliqué dans la collusion et la dissimulation du meurtre de civils irlandais innocents aux mains des escadrons de la mort pro britanniques. Sa loyauté va à la Couronne britannique. Nous appelons tout le monde à venir montrer au gouvernement de l’État du comté de Twenty-Six votre opposition à cette commémoration. Aucune nation qui se respecte ne commémorerait ceux qui les ont occupés. Je ne vois aucune commémoration à Londres pour les bombardiers de la Luftwaffe qui l’ont bombardée, à juste titre. Le seul moment où nous devrions commémorer les terroristes britanniques tels que le RIC ou les Black and Tans est lorsque nous nous souvenons des opérations réussies menées par les révolutionnaires irlandais ».

Le Premier ministe Leo Varadkar a lui déclaré que ce boycott était « dommage » tout en expliquant que les membres irlandais des deux forces de police devraient être commémorés de la même manière que les soldats irlandais sont commémorés pour leur rôle dans les combats avec l’armée britannique pendant la Première Guerre mondiale. Le Premier ministre a rappelé que 10 ou 15 ans en arrière, il était très controversé de commémorer la mort de soldats irlandais pendant la Première Guerre mondiale, car certains pensaient qu’on ne devait pas se souvenir d’eux parce qu’ils avaient combattu pour les Britanniques.

« Cela a changé », a-t-il dit, avant d’ajouter : « Maintenant nous acceptons tous, ou presque tous, qu’il est juste et approprié de se souvenir des Irlandais, des soldats, qui sont morts pendant la Première Guerre mondiale et je pense que la même chose s’applique vraiment aux policiers ».

Les Black and Tans, terreur de l’Irlande et des Irlandais ?

Les Black and Tans (Noirs et Fauves en français) doivent leur nom en référence à un chien de chasse originaire de Limerick qui ne rate jamais sa proie. Cette milice s’est formée peu après la Première Guerre mondiale, lorsque Londres peine à régler « le problème irlandais ».

Très vite, les Black and Tans comptent plus de 16 000 hommes et sont envoyés en Irlande pour prêter main forte à la Police Royale Irlandaise (Royal Irish Constabulary ou RIC), et ainsi écraser les révoltes indépendantistes irlandaises. Selon les historiens irlandais du XXe siècle, ils usent d’une terrible violence, et se comportent comme une véritable armée d’occupation. Ils assassinent, battent, torturent, violent, incendient, et pillent la population irlandaise. Le chef d’œuvre Le vent se lève de Ken Loach témoigne d’ailleurs de cette époque et de ces récits d’historiens.

https://www.youtube.com/watch?v=681r4jC4apk

Leurs agissements sont si choquants, que l’opinion internationale ne tarde pas à se faire entendre, condamnant lourdement leurs actions, ainsi que les agissements de l’Angleterre.

« Lorsque le Traité de Londres du 21 décembre 1921, met fin à l’occupation britannique au sein de l’État Libre d’Irlande, les Black and Tans sont finalement dissous. On note cependant de nombreux problèmes de réintégration au sein de la société britannique : certains d’entre eux sombrent alors dans la criminalité, tandis que d’autres se suicident quelques années plus tard » peut-on lire sur le site Guide Irlande.

Les Black and Tans, de nouveaux apports historiques depuis 2011

Si cette vision de l’histoire et des atrocités commises par les Black and Tans a été largement diffusée à l’international, et par les universitaires irlandais au cours du XXe siècle, d’autres regards, d’autres études, contemporaines, ont apporté quelques corrections. Et notamment un livre de 2011 de l’historien canadien David Leeson, The Black and Tans ; British Police and Auxiliaries in the Irish War of Independence 1920-21, publié par Oxford University Press. « Nous avons été induits en erreur par les livres d’histoire irlandais pendant près d’un siècle » commente un journaliste d’Irish Central.

« Il semble que l’histoire des Black and Tans n’était pas toute noire ou toute blanche » indique John Spain, un journaliste de The Independent qui a chroniqué le livre : « Ils ripostèrent à l’IRA par des représailles parfois cruelles, en assassinant, brûlant et terrorisant. Mais étaient-ils pires que l’IRA ? »

« David Leeson a, pour son ouvrage, effectué des recherches approfondies dans les archives et a mis au jour de nouvelles preuves qui révèlent un certain nombre de faits gênants. Pour commencer, même si la plupart des Black et des Tans étaient d’anciens militaires, beaucoup étaient aussi des Irlandais et très peu d’entre eux avaient un casier judiciaire. Ils n’étaient donc pas les repris de justice britanniques décrits par les historiens irlandais d’il y a quelques décennies. Leeson montre également que les jeunes anciens combattants britanniques et irlandais avaient vu les horreurs de la Première Guerre mondiale et étaient en fait moins susceptibles de commettre des atrocités en Irlande que certaines des recrues plus âgées. La différence entre les Black and Tans et les Auxiliaires est que les Tans, bien qu’ils soient entrés dans l’histoire populaire comme étant des tueurs impitoyables, ont surtout servi de renfort à la RIC dans un rôle de police, tandis que les Auxiliaires ont plutôt opéré sur une base de recherche et de destruction pour s’attaquer à l’IRA. Les atrocités qui ont été commises étaient plus souvent le fait des auxiliaires que des Tans. Et, comme le montre le livre, le comportement de certaines des unités de l’IRA n’était pas meilleur et leurs victimes étaient généralement des Irlandais ».

Dans un autre livre sur cette période, intitulé 1920-1922 The Outrages et rédigé par Pearse Lawlor (Mercier Press), le pire groupe répressif n’est pas constitué par les Black and Tans mais par l’Ulster Special Constabulary. Lawlor parle des nombreuses atrocités qu’ils ont commises, comme d’ailleurs l’IRA à l’époque, en citant notamment le meurtre brutal d’un ecclésiastique protestant de 80 ans, à Cavan.

« Presque toutes les révolutions naissent dans le sang, et le combat des Irlandais n’était pas différent » explique un journaliste d’Irish Central. « Ce qui est intéressant, c’est de voir comment, à mesure que l’histoire se déroule, les faits et les vérités jusqu’alors fermement ancrés sont remis en question et réexaminés. Il semble que nous en soyons à ce stade avec la guerre d’indépendance irlandaise. Il n’y a pas d’enfants de chœur dans la guerre que nous connaissons. Ces livres ne font que rendre ce fait encore plus clair ».

En Irlande également, les blessures du passé sont loin d’être refermées, et les conflits mémoriels sont toujours aussi ardents…

YV

Crédit photos : DR
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