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Après la sidération, quelques questions soulevées par la crise des sous-marins australiens.

Face à la Chine, et au détriment de la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie ont conclu une nouvelle alliance stratégique dans l’Indo-Pacifique. Naval Group a été victime de ce pacte dénommé AUKUS (Australia, United Kingdom, United States) car cette alliance prévoit l’annulation du contrat du siècle et son remplacement par la livraison à Canberra d’une flotte de sous-marins.

Le nouveau contrat prévoit que les sous-marins ne soient plus à propulsion conventionnelle mais nucléaire. Par ailleurs, ils ne seront plus produits à Adélaïde, en coopération Franco-Australienne, mais dans le Connecticut aux Etats-Unis, par l’entreprise Electric Boat, filiale de General Dynamics une des principales entreprises du complexe militaro-industriel américain (cinquième plus grosse entreprise mondiale de vente d’armes). C’est en effet dans ce chantier qu’en 2014, le premier sous-marin nucléaire de la classe Virginia a été mis en service. Ironie de l’histoire, c’est le premier sous-marin américain a avoir été conçu par ordinateur sur le logiciel français CATIA de Dassault Systèmes.

Rappel historique : Dans les années 70, l’Australie s’était déjà fournie en sous-marins chez les anglais. 6 sous-marins de la classe Oberon furent construits en Ecosse, mais les systèmes d’armement embarqués furent américains. Ces sous-marins réputés très discrets pour l’époque étaient inspirés des U-boot capturés aux allemands en 1945. Dans les années 90, c’est la classe Collins qui remplace les Oberon. Dès 1985, le gouvernement Hawke avait décidé que les bâtiments seraient construits entièrement à Adélaïde par les suédois SAAB. Ce défi engendra de nombreux retards, dépassements budgétaires et problèmes techniques. Il fallut de nombreuses modifications pendant les 20 premières années pour améliorer l’acoustique, la sécurité et les performances de ces sous-marins. En décembre 2016, l’Australie annonce qu’elle a sélectionné le Français Naval Group pour lui fournir 8 sous-marins à propulsion classique. Le partenariat stratégique est signé en 2019 pour un montant de 50 milliards de dollars courant (détail qui se révélera important).

Le 16 septembre dernier, Scott Morrison annonce avec Boris Johnson et Joe Biden le lancement du partenariat AUKUS. Le 28 septembre, deux commissions de l’Assemblée nationale, celle de la Défense et celle des Affaires économiques, ont auditionné à huis clos le PDG de Naval Group. Comment l’État français a-t-il pu être tenu à l’écart des problèmes techniques, financiers et politiques, posés par un contrat aussi stratégique ? « Il faut éclairer ce triple désastre, économique, militaire et politique qui représente une humiliation publique de la France » a précisé la responsable du RN.

Est-ce le début d’une nouvelle prolifération nucléaire ?

Cet accord permettra à l’Australie de devenir, grâce à des technologies américaines, le cinquième pays au monde à disposer de sous-marins à propulsion nucléaire navale (si l’on met à part le SNA indien INS Arihant, qui est loin d’égaler ses concurrents). Bien que maitrisant cette technologie, le français Naval Group s’était toujours interdit de la proposer à l’export. Un accord tacite qui vole en éclat sous les coups de l’administration de Joe Biden. Maintenant que la boite de Pandore est ouverte, la France proposera-t-elle demain son SNA au Canada ? (À la fin des années 1980, le gouvernement canadien, désireux de contrôler le Passage du Nord-Ouest avait envisagé d’acquérir 12 sous-marins nucléaires d’attaque français de la classe Rubis), au Brésil ? (son programme SNBR essuie des retards), à l’Inde ? (qui loue aujourd’hui des SNA russes et a du retard technologique sur son propre SNA), à l’Argentine ? (qui tente d’acquérir cette technologie depuis sa défaite aux Malouines), au Pays-Bas ? (En février 1970, le ministre de la Défense déclare que son gouvernement s’intéresse au projet de construction de la classe Rubis). Sans comparer le contexte avec celui de la guerre froide, une nouvelle course à l’armement va-t-elle émerger autour des mers du sud ? Et si oui, quel rôle la France veut-elle y jouer ?

Le programme avait -il du retard et des surcoûts ? Les américains et les anglais ont-ils une avance technologique sur la France ? Sommes-nous en déclin technologique ?

Pierre Eric Pommellet a rappelé qu’aucune dérive calendaire ou budgétaire ne pouvait être imputée à Naval Group. Pour preuve, l’ensemble de la 1ère phase du contrat (2016-2021) a été validée par le gouvernement australien le mois dernier. Cependant, la presse Australienne est parvenue à étriller la réputation du ministère de la Défense Australien dans sa gestion de ce méga-contrat, en omettant volontairement que le budget initial avait été estimé en dollar constant, c’est à dire prenant en compte l’inflation du dollar australien (particulièrement en cette période post Covid, à titre d’exemple 1 once d’or converti en dollar australien a pris +38% depuis 2019). De plus, le nombre de sous-marins prévu a également augmenté, passant de 8 prévus initialement à 12 dans les dernières demandes du gouvernement australien. Deux éléments facilement explicables pour étayer l’augmentation du budget de 80%. Si la France est en déclin, ce n’est peut-être pas dans le domaine de la construction navale mais surtout dans le domaine de la guerre de l’information. Même la presse française a relayé ces dernières semaines de fausses informations en provenance d’Australie, tandis que la voix du PDG de Naval Group avait plus de mal à se faire entendre.

https://www.ege.fr/infoguerre/naval-group-vulnerable-face-une-guerre-de-linformation-sur-laugmentation-des-couts-des-sous-marins-australiens

Face à cette nouvelle déconvenue diplomatique, la France est-elle encore une nation de 1er plan ?

Dans le dossier des sous-marins australiens, la France jouait carte sur table avec l’Australie et ses alliés. Les américains avaient d’ailleurs récupéré un tiers du contrat (les armements, la filiale australienne de Lockheed Martin en charge du système de combat) et des ateliers étaient menés conjointement avec le Commonwealth of Australia, en charge de coordonner le projet. Quelle stupeur, le 16 septembre, lorsque l’ensemble des interlocuteurs de Naval Group et du gouvernement français a découvert en direct la décision du 1er ministre australien. Aucune consultation. La France a été traitée ces derniers mois comme un ennemi par les anglo-saxons. Pas comme un prédateur physique évidemment, mais comme un concurrent et une proie dans cette guerre économique qui fait rage. Il semble que nos dirigeants ne veulent pas voir cette rivalité.

Cet aveuglement est-il volontaire ? La DGSE a-t-elle rempli sa mission d’alerte ?

Quel rôle a donc joué la DGSE ? Pour rappel, le Code de la Défense précise que la mission de cette institution est « de rechercher et d’exploiter les renseignements intéressant la sécurité de la France ». Lors de l’audition à l’Assemblée Nationale du 28 septembre, Bernard Emié (DGSE) a expliqué ingénument que nous avions été aveugles sur ce dossier car la France s’interdit d’espionner ses alliés. Cela fait plusieurs siècles que les français ont appris que les anglo-saxons n’ont pas d’amis, mais des intérêts. Il ne semble pas que cette leçon ait été enseignée à l’ENA ou à Science Po. En effet, le 22 septembre, suite à un entretien téléphonique, Macron et Biden annoncent des « engagements pour rétablir la confiance ». Le lendemain, Jean-Yves le Drian s’est entretenu avec Anthony Blinken, le chef de la diplomatie américaine. Les premières réactions vives du ministre des Affaires Etrangères font place aux communiqués les plus plats parlant de « processus de consultations approfondies entre les deux pays visant à restaurer la confiance ». Sans soutien diplomatique de l’UE, la France ressort seule et humiliée.

Face à cette soumission et cet aveuglement, la France a-t-elle les moyens de défendre ses entreprises à l’export ?

Les entreprises de défense et d’autres secteurs stratégiques n’ont jamais été aussi tributaires de forces et d’aléas politiques qui les dépassent. A part les premières rodomontades du ministre des Affaires Etrangères, les réactions sont restées molles, consensuelles, soumises. Même la DGSE semble s’interdire de protéger nos fleurons industriels face aux appétits de nos alliés anglo-saxons. C’est pourtant l’intérêt direct des français qui est menacé : on pense naturellement à l’emploi mais également à notre sécurité et notre imposition. En effet, la balance commerciale des programmes de défense dépend de plus en plus de notre capacité à exporter nos savoir-faire. Une entreprise qui ne parvient pas à se défendre et à exporter, cela signifie que les contribuables français supportent seuls les coûts de conception et développement de notre outil de défense. A budget constant, cela signifie que des choix drastiques devront être faits dans nos prochains programmes. Les candidats de la prochaine présidentielle s’attelleront-t-ils à ce sujet épineux ? Diplomatie, défense, technologie, information, l’électorat français est-il apte à comprendre les enjeux complexes qui se dessinent pour notre pays et nos industries ?

Christian Le Gall

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

 

 

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3 réponses à “Après la sidération, quelques questions soulevées par la crise des sous-marins australiens.”

  1. En Australie les opposants au nucléaire (écolos ?) l’avaient emporté d’où l’achat de sous-marins à propulsion classique à la France mais à moindre rayon d’action et à croisières de moins longue durée. Puis le raisonnement stratégique l’a sans doute emporté vu la “menace” chinoise d’où le revirement au profit de sous-marins nucléaires d’attaque bien plus efficaces. Enfin les USA qui nous font la guerre économique et industrielle ont raflé le marché sans état d’âme.
    Moralité : 1/ nous n’avons pas été vigilants 2/ au final l’AUSTRALIE a fait un meilleur choix pour sa défense : pourquoi acheter des bicyclettes alors qu’il existe des motos ? 3/ l’argument écolo de la prolifération du nucléaire serait valable s’il s’agissait de sous-marins lanceurs d’engins ce qui n’est pas le cas. En Europe personne ne hurle à la prolifération du nucléaire à propos de nos SNLE ni du Charles-De-Gaulle.

  2. Bert dit :

    Ceci dit, la France n’a pas non plus respecté le contrat signé avec la Russie lorsqu’elle a refusé de livrer les Frégates qui étaient bloquées à Saint Nazaire….revendues à l’Egypte ! Alors, il ne faut pas couiner si le boomerang lui revient dans la figure !

  3. papilou dit :

    Si au moins ces sous marins pouvaient servir à nous protéger des épidémies venant de Chine. Mais le meilleur moyen de défense contre la Chine est de retrouver notre industrie et nos outils de productions que l’on a donné à l’empire du milieu parce que l’esclavage y était encore autorisé.
    Plus d’argent, plus de guerre.

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