Rechercher
Fermer ce champ de recherche.

Le dernier espadon : Blake et Mortimer contre l’IRA

La série Blake et Mortimer, créée par Edgar P. Jacobs, est l’une des plus connues de l’histoire de la bande dessinée. Dans le nouvel album, Le dernier espadon, qui se déroule juste après Le Secret de l’Espadon, Blake et Mortimer tentent de déjouer un complot de l’IRA…

Deux ans se sont écoulés depuis la victoire contre le tyran Basam Damdu, empereur de « l’Empire Jaune », qui avait déclenché la troisième guerre mondiale. Le Royaume-Uni se retirant de certaines anciennes colonies, la base secrète des Espadons, située au Pakistan, doit être détruite. A Londres, le capitaine Francis Blake dîne avec son ami, le professeur Philip Mortimer. Il lui confie une mission de la plus haute importance : se rendre au Pakistan pour modifier le code d’activation des Espadons, afin de permettre leur transfert jusqu’à Scaw-Fell, en Angleterre. Blake doit partir pour l’Ulster, l’IRA préparant un complot contre l’Angleterre. Des nostalgiques du IIIème Reich s’associent à des membres de l’IRA, l’Armée républicaine irlandaise, pour préparer un attentat contre la famille royale d’Angleterre. Leur objectif : voler l’Espadon, avion à réaction submersible, supersonique, armé de missiles nucléaires, et faire exploser le palais de Buckingham !

Ce dernier tome de la série Blake et Mortimer, intitulé Le dernier espadon, se déroule en janvier 1948. Jean Van Hamme imagine une suite à l’album inaugural de la série, Le Secret de l’Espadon, lequel décrivait une grande guerre contre « l’Empire jaune », qu’il avait lu à l’âge de 7 ans, dans le journal Tintin. Il est publié dès le premier numéro du Journal Tintin, du 26 septembre 1946 au 8 septembre 1949, puis édité entre 1950 et 1953. A la tête de « l’Empire jaune », établi au Tibet, l’empereur Basam-Damdu a conquis le monde. Francis Blake et Philip Mortimer rejoignent alors une base secrète britannique avec les plans de l’Espadon, une arme révolutionnaire. Mais ils sont traqués par le colonel Olrik. Partie d’une base secrète camouflée au Makran, près du détroit d’Ormuz, une escadrille d’Espadons s’envole pour terrasser Basam-Damdu. Dans Le Bâton de Plutarque, Yves Sente avait en 2014 déjà scénarisé un prequel au Le Secret de l’Espadon. Puis en 2018 et 2019, dans les deux tomes de La Vallée des Immortels, il commençait son récit par la chute de l’Empire Jaune.

Edgar P. Jacobs (1904-1987), après avoir entamé une prometteuse carrière de chanteur d’opéra, se tourne vers le dessin. Il réalise sa première bande dessinée, Le Rayon U, déjà un récit mêlant aventures et science-fiction, en reprenant les codes graphiques et les thèmes de Flash Gordon. De 1944 à 1946, il devient le principal collaborateur d’Hergé pour les aventures de Tintin. Mais face au refus de co-signer les albums de Tintin, Jacobs lance sa propre série. Le Secret de l’Espadon est la première aventure de cette prestigieuse série qu’il scénarise et dessine. Perfectionniste et méticuleux, frappé par la guerre qui vient de s’achever avec le bombardement atomique d’Hiroshima, Jacobs imagine un récit d’anticipation destinée non plus aux enfants, mais aux adolescents et aux adultes.

Comme souvent dans le monde de la bande dessinée, le succès est dû au charisme des héros. Le capitaine Francis Blake, un ancien pilote de la Royal Air Force, est devenu directeur du MI5, le service britannique de contre-espionnage. Patriote, incarnation du flegme britannique, il est toujours maître de ses réactions. Son ami, le professeur Philip Mortimer, écossais roux, spécialiste en physique nucléaire, est le plus éminent scientifique du Royaume-Uni. Jovial et plein d’humour, fumant la pipe, son impulsivité peut l’amener à ne pas voir le danger. Ces deux héros se retrouvent très souvent confrontés à leur ennemi juré, le colonel Olrik, homme d’action fourbe et raffiné. En raison de ses compétences, il est souvent employé par des puissances étrangères.

Edgar P. Jacobs se distingue par sa volonté de concilier l’exactitude réaliste et la science-fiction, rendant ainsi celle-ci vraisemblable. L’intérêt de cette série provient de ce mélange de réalisme et de science-fiction ou d’ésotérisme, notamment dans Le Mystère de la Grande Pyramide, La Marque jaune, L’Énigme de l’Atlantide et Le Piège diabolique.

Dans cette série, Edgar P. Jacobs prône la civilisation, c’est-à-dire, à ses yeux, le conservatisme britannique. Si cette série semble parfois teintée de pessimisme, c’est en raison de la crainte de la disparition de cette civilisation. Il oppose ainsi la civilisation, gardienne de la Tradition, à la barbarie, représentée par l’empire totalitaire asiatique de Basam Damdu (Le Secret de l’Espadon), ou encore par le peuple “barbare” en lutte contre les Atlantes (L’Énigme de l’Atlantide)… Il dénonce fréquemment l’utilisation de la science à des fins amorales : la guerre nucléaire, la manipulation du climat…

Cette prestigieuse série ne s’est pas arrêtée avec la mort d’Edgar P. Jacobs. Mais malgré la volonté de reproduire le style de Jacobs, tant d’un point de vue graphique que scénaristique, les nouveaux albums sont souvent décevants. Seuls sont dignes d’Edgar P. Jacobs La Machination Voronov et L’Affaire Francis Blake.

Ce nouveau tome fait-il parti des réussites ou des déceptions ?

Le scénariste Jean Van Hamme, créateur des célèbres séries Thorgal (en 1977), XIII (en 1984) et Largo Winch (en 1990), connaît bien le monde de Blake et Mortimer. Premier scénariste à avoir repris les aventures de Blake et Mortimer, avec L’Affaire Francis Blake (en 1996), il récidive avec L’Étrange Rendez-vous en 2001, puis La Malédiction des trente deniers en 2009-2010.

Dans ce nouvel album, il s’interroge sur la responsabilité des scientifiques devant l’Humanité. Edgar P. Jacobs aurait sans doute pu dire la même chose. Mais le conservateur Jacobs n’aurait sans doute pas créé une case pour dénoncer l’homophobie de deux clients du Centaur Club, ceux-ci imaginant une relation homosexuelle entre Blake et Mortimer ! L’intérêt résulte plutôt des liens qui ont pu exister entre l’IRA et le IIIème Reich. Jean Van Hamme considère qu’il n’y a « aucune communion idéologique » entre l’IRA et le IIIème Reich, mais que « l’IRA s’allie aux nazis, en application du concept classique, l’ennemi de mon ennemi est mon ami » (entretien dans Casemate, nov. 2021). On peut toutefois regretter une présentation caricaturale du conflit entre les membres des services secrets britanniques et les membres de l’IRA, les premiers restant des gentlemen, les seconds étant de purs assassins. Enfin, jamais Edgar P. Jacobs n’aurait imaginé le capitaine Francis Blake demander à sa secrétaire d’avoir une relation avec un espion ennemi pour le manipuler…

Les néerlandais Teun Berserik et Peter Van Dongen, qui avaient précédemment dessiné deux tomes de la série avec La Vallée des immortels, maîtrisent la ligne claire, style d’Edgard P. Jacobs. Le graphisme et la mise en couleur sont magnifiques. On apprécie particulièrement la superbe couverture, présentant un Espadon émergeant de la Tamise à proximité de Tower Bridge.

Conjointement à cette parution, Le Secret de l’Espadon est également réédité, sous la forme de deux tomes, reprenant notamment les 18 premières planches initialement parues dans le journal Tintin, avant qu’elles ne soient remaniées par Jacobs pour la parution en album.

Kristol Séhec.

Blake & Mortimer – Tome 28 – Le Dernier Espadon, 64 pages, 15,95 euros. Editions Blake et Mortimer.

Illustrations : DR
[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

Cet article vous a plu, intrigué, ou révolté ?

PARTAGEZ L'ARTICLE POUR SOUTENIR BREIZH INFO

Les commentaires sont fermés.

ARTICLES EN LIEN OU SIMILAIRES

Culture, Culture & Patrimoine, Le Mag'

Huit heures à Berlin, Blake et Mortimer contre les communistes

Découvrir l'article

PARTICIPEZ AU COMBAT POUR LA RÉINFORMATION !

Faites un don et soutenez la diversité journalistique.

Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur Breizh Info. Si vous continuez à utiliser le site, nous supposerons que vous êtes d'accord.

Clicky