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La Russie veut que l’Ukraine soit une nation neutre

En Occident, les responsables gouvernementaux et les analystes politiques insistent sur le fait que la stratégie russe en Ukraine présuppose comme objectif l’occupation permanente, l’annexion ou la balkanisation du pays. Cependant, le cours des événements dans le conflit et les déclarations officielles du Kremlin semblent suggérer une direction totalement opposée, dans laquelle le but est uniquement de neutraliser la force militaire ukrainienne, faisant du pays un point impartial dans la géopolitique de l’Europe de l’Est.

Lorsque, au début de l’opération spéciale russe en Ukraine, le président Vladimir Poutine a déclaré que la mission visait à démilitariser l’Ukraine, les analystes ont commencé à interpréter ses paroles comme un signe d’agression constante. Pour les experts occidentaux, la Russie veut simplement éradiquer la puissance militaire ukrainienne afin de garder le pays faible et de le soumettre à une agression continue, qui pourrait aboutir soit à une occupation et une annexion, soit à une division, une partition et une balkanisation. En d’autres termes, selon l’interprétation occidentale, l’objectif russe de la démilitarisation serait de rendre possible l’anéantissement de l’État ukrainien.

Ces conclusions, cependant, semblent absolument fausses d’un point de vue purement réaliste. Récemment, le chef de la délégation russe dans les pourparlers diplomatiques avec l’Ukraine, Vladimir Medinsky, a affirmé que Kiev avait finalement montré une volonté apparente de démilitarisation. Comme il l’a indiqué, la seule exigence du gouvernement ukrainien serait le droit de maintenir ses propres forces armées régulières, comme le font actuellement les nations neutres d’Europe. Par la suite, le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, a déclaré que “cette option (le plan de démilitarisation) est celle qui est réellement discutée actuellement et qui peut être considérée comme un véritable compromis”.

Pour ces responsables russes – et d’autres – la démilitarisation est la principale condition de base pour parvenir à la paix, plus importante encore que la question de la fin des sanctions récemment appliquées contre Moscou. Selon M. Peskov, les sanctions, bien que sérieuses, restent limitées aux décisions souveraines des pays, et de nombreux États continuent de résister aux pressions américaines pour adopter de telles mesures : “Je ne ferai pas de commentaire [sur les sanctions]. En effet, le sujet des sanctions est abordé lors de ces négociations. Mais je ne voudrais pas donner de détails maintenant (…) Les Etats-Unis exercent une pression sans précédent sur de nombreux pays du monde ces jours-ci. La grande majorité des pays plient sous cette pression, mais il y a aussi des pays qui ne plient pas et adoptent leur position souveraine, plus équilibrée. Et ils déclarent ouvertement qu’ils considèrent toute pression sur eux-mêmes comme inacceptable”.

En fait, ces discours ne font que confirmer les déclarations précédentes du gouvernement russe affirmant que la neutralisation militaire de Kiev est l’objectif central de l’opération. Il est assez simple de comprendre pourquoi la Russie donne la priorité à l’engagement ukrainien en faveur de la démilitarisation sur un engagement occidental en faveur de la fin des sanctions : la décision d’adopter ou non des sanctions appartient à chaque État national, et de nombreux États refusent de le faire. Ce n’est pas quelque chose qui menace existentiellement la Russie, cela reconfigure simplement les routes commerciales et financières mondiales. D’un autre côté, l’existence d’un gouvernement militarisé à Kiev et la forte présence de l’OTAN à la frontière occidentale de la Russie sont des faits extrêmement dangereux pour l’existence même de la Russie en tant qu’État national, ce qui rend cette question prioritaire et supérieure à toute autre discussion.

Progressivement, l’Occident et le gouvernement ukrainien semblent commencer à comprendre que la démilitarisation, et non les sanctions, est le moyen le plus court et le plus efficace de rétablir la paix. Zelensky lui-même a récemment indiqué qu’il considère déjà comme improbable l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Bien qu’il n’y ait toujours pas de confirmation officielle sur l’éventuelle volonté ukrainienne de démilitarisation, cela semble être une voie inévitable, que Kiev devra emprunter à un moment donné. De toute évidence, ce n’est pas ce que la junte de Maidan souhaite réellement, mais c’est ce qui pourrait empêcher une nouvelle escalade de la violence dans la région.

Pendant huit ans, Moscou a refusé d’intervenir militairement dans le conflit du Donbass, mais la militarisation extrême de Kiev et la menace d’une nouvelle escalade ont conduit Moscou à soutenir la souveraineté des républiques et à lancer l’opération spéciale. En d’autres termes, auparavant, la Russie prévoyait de maintenir l’intégrité territoriale de Kiev à condition de respecter les accords de Minsk – ces plans ayant échoué, l’attitude a changé, et la priorité est passée du respect de l’intégrité territoriale ukrainienne à la prévention militaire de l’agression contre des républiques souveraines. Auparavant, la méthode diplomatique servait à tenter de garantir juridiquement la fin de la violence dans le Donbass ; désormais, la coercition physique des opérations militaires sert à neutraliser toute possibilité que cette violence se produise. La Russie a simplement poussé l’affaire à l’extrême et utilise désormais les moyens les plus radicaux pour protéger le Donbass.

C’est pourquoi il n’est pas approprié de parler de plans d’annexion ou de balkanisation. Il est nécessaire de mentionner que l’occupation permanente de l’Ukraine serait une erreur stratégique car elle engendrerait des coûts énormes dans les plans de défense, nuirait à l’image internationale de Moscou et pousserait les forces russes à s’occuper des conflits internes du pays. Dans le même sens, annexer ou balkaniser le pays semble illogique, car cela augmenterait encore les tensions frontalières russes (si la Russie annexait toute l’Ukraine, elle se retrouverait face à la Pologne, qui est membre de l’OTAN, par exemple). En fait, si la Russie veut éloigner les troupes de l’OTAN de ses frontières et réduire la violence à l’encontre de la population russe ethnique, promouvoir une occupation qui nuit à son image et accroît la russophobie ou une annexion qui augmente encore les contacts avec l’OTAN semblent des moyens vraiment anti-stratégiques.

La Russie continue de vouloir ce qu’elle a toujours voulu : Une Ukraine éloignée de l’OTAN et respectant le Donbass. Ce qui a changé, c’est uniquement la stratégie pour atteindre cet objectif, qui est passée d’une méthode diplomatique à une méthode militaire. Actuellement, ce qui est prévu au Kremlin est de faire de l’Ukraine une nation neutre, une sorte d'”Autriche orientale”, avec des forces armées régulières à caractère purement symbolique et à faible potentiel offensif. Ainsi, Kiev jouera un rôle très important dans la géopolitique régionale, en distançant la Russie et l’Occident, en empêchant les frictions entre les deux environnements stratégiques. En outre, le Donbass sera protégé par la souveraineté des républiques et la paix sera enfin rétablie.

Lucas Leiroz (Infobrics, traduction breizh-info.com)

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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3 réponses à “La Russie veut que l’Ukraine soit une nation neutre”

  1. Personne, nulle part, n’émet cette idée toute simple : Poutine veut s’emparer du “grenier à blé” de l’ex-URSS qu’est l’Ukraine. L’Ukraine est un des premiers producteurs mondiaux de blé : “En 2018, l’Ukraine était le 5e producteur mondial de maïs, le 8e producteur de blé, le premier producteur de tournesol, le troisième producteur de sarrasin. Au global, dans le monde, 12% des exportations de céréales viennent d’Ukraine”. Tout ça vendu au plus offrant partout dans le monde, pas à la Russie qui croule sous les dettes et une économie défaillante.

  2. Les fleuves qui traversent l’Ukraine doivent aussi être neutralisés à la même façon que le Rhin, qui traverse quatre pays la Suisse, la France, l’Allemagne et les Pays Bas. La circulation des navires (y compris de guerre) sur ce fleuve (le Rhin) obéit à des accords précis entre les nations concernées.

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