Bonne nouvelle : Pierre Corneille figurera au programme 2025 de l’agrégation de lettres modernes. Pas avec la tragédie chrétienne qu’est Polyeucte, bien sûr, ni même avec le drame héroïque qu’est Horace, mais — c’est mieux que rien — avec trois comédies : Le Menteur puis La Suite du Menteur et La Place Royale. Seconde bonne nouvelle, cette fois pour les agrégatifs : à la fois biographie et subtile analyse des œuvres du Rouennais, le Corneille de Brasillach vient d’être réédité par la très active Association des Amis de Robert Brasillach (1), avec une remarquable préface du professeur André Lanavère qui, normalien comme le poète de Fresnes, enseigna à la Sorbonne et à l’Institut catholique de Paris, un index glosé comprenant 600 entrées et la fantastique iconographie, très vivante, rassemblée par David Gattegno.
Brasillach et Neruda, deux destins, deux postérités
D’aucuns diront : « Encore Brasillach ! » A quoi l’on répondra : « Pourquoi, dans le monde en général et en France en particulier, tant d’avenues, de squares, de collèges toujours dédiés à Pablo Neruda, alors que ceux qui, le 6 février, veulent honorer la mémoire du Français exécuté il y a près de huit décennies, sont qualifiés de néo-nazis et se retrouvent au bloc? »
Après tout, les deux hommes étaient des poètes, comme le savent tous les professeurs d’espagnol qui doivent faire étudier à leurs élèves le médiocrissime Canto general du Chilien et tous deux connurent une fin tragique, l’un sous des balles françaises à la Libération en 1945, l’autre censément empoisonné en septembre 1973 par des sbires du général Pinochet, même si tout indique qu’il fut plutôt emporté par le cancer qui le taraudait depuis longtemps. Le parallèle s’arrête là : ancien sénateur communiste, Neruda fut honoré du Nobel de littérature en 1971, après avoir reçu le Prix Staline en 1953, et reste encensé par toute la gauche, ce qui est d’ailleurs surprenant en pleine vague féministe de #MeToo. Dans ses Mémoires intitulés J’avoue que j’ai vécu, cet ancien diplomate se vantait en effet d’avoir, alors consul à Ceylan, violé une intouchable, et, après avoir épousé en 1930 une Hollandaise, il s’empressa de l’abandonner sans ressources après qu’elle eut accouché d’un enfant hydrocéphale. Un parfait gentilhomme… sur les vilenies duquel il convient pourtant de jeter un voile pudique, compte tenu de sa haine vigilante contre le général Franco, ce qui lui continue à lui valoir une totale absolution.
Un génie dans son temps
Mais revenons à l’auteur du Cid, homme combien plus estimable et surtout lumineux.
Brasillach était à peine sorti de l’adolescence quand il écrivit Présence de Virgile. Il n’a pas encore abordé la trentaine quand, entre Comme le temps passe… et Les Sept Couleurs, ses chefs-d’œuvre, il publie en 1938 ce Corneille, où l’on retrouve les qualités de ces deux romans. Son don d’observation et de la narration, aiguisé par la pratique assidue du journalisme et sa passion pour le cinéma, est évident dans ce livre où se conjuguent harmonieusement exégèse et biographie. Il fait revivre le dramaturge, lui donne chair, nous promène avec lui des ruelles de Rouen aux théâtres de Paris, à la Cour comme dans les salons et l’intimité des comédiens. D’une plume alerte, l’auteur nous révèle les quartiers favoris du Normand, ses illusions perdues, ses amours entravées comme ses joies de père de famille (sept enfants), explore ses relations ambivalentes avec Richelieu, son amitié avec Molière, sa rivalité avec le jeune Racine qui finalement le détrône, l’élève des Jansénistes ayant triomphé dans le cœur du public de l’élève des Jésuites, et il arrive à des conclusions surprenantes.
Qui aurait cru ainsi que l’habit sombre du bourgeois rouennais, qualifié d’« écrivain fasciste » par certains lui reprochant encore son attachement à la monarchie sous la Fronde et le fanatisme de certains de ses héros, Rodrigue et Horace notamment, cachait (cf. page 204) des tendances anarchistes ? Que l’auteur flamboyant du Cid souffrait de mélancolie — on parlerait aujourd’hui de neurasthénie —, d’où ses départs soudains de Paris et ses longs retours au bercail ? Qui se souvient que celui dont le théâtre regorge « de pères et de mères criminels » et qui ressuscita le noble zoroastrien Suréna dans une pièce — l’une de ses meilleures, pourtant, mais dont l’insuccès scella sa retraite définitive car, écrit son biographe, « plus personne ne comprend ce qu’il portait encore de fort, de neuf, de sensible, d’amer et de génial » —, était un fervent catholique qui considérait sa traduction en alexandrins de L’Imitation de Jésus-Christ comme son œuvre maîtresse ?
A l’origine du livre, quatre conférences données à la demande de son amie trop tôt disparue Annie Jamet. Brasillach se prit au jeu, creusa dans sa mémoire (phénoménale), élargit son propos, exhuma des pièces oubliées pour en montrer les fulgurances, démontra que si Racine était fasciné par la Grèce, Corneille l’était par Rome, l’Espagne (Sertorius, où brille la célèbre apostrophe : « Rome n’est plus dans Rome, elle est toute où je suis. ») et même, plus étonnant, par l’Empire byzantin. Empire de bruit et de fureur dont la somptuosité, les convulsions et les basileus ne songeant qu’à s’entretuer (voir sa pièce Héraclius) convenaient à sa nature finalement romantique — avant la lettre — et à son génie shakespearien.
Publié par Fayard, ce Corneille qui donnait à celui-ci une nouvelle jeunesse connut un grand succès. Depuis 1938, le niveau culturel des Français a dramatiquement chuté, il est de mauvais goût de s’intéresser aux vieilles lunes, l’érudition d’ailleurs mal vue des nouveaux maîtres à penser est donc en hibernation, et les libraires ne survivent guère que grâce aux bandes dessinées et aux manuels de cuisine exotique ou de « développement personnel ». Mais nul besoin d’être un rat de bibliothèque ou un bas-bleu pour apprécier ce maitre livre où, de l’aveu même de Brasillach, le romanesque et la critique littéraire s’entremêlent : primesautier autant que savant et parsemé de sel attique, il se lit en effet comme un roman. Quel plaisir de s’amuser en s’instruisant ! Décidément, le « bonhomme Corneille », dont Alain Lanavère a raison de souligner dans sa préface « l’éternelle actualité », était un sacré bonhomme, qu’on gagne à mieux connaître. Et le fusillé du fort de Montrouge un très grand écrivain, dont il faut sans cesse redécouvrir toutes les facettes. Ou les sept couleurs si l’on préfère.
Camille Galic
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Corneille, par Robert Brasillach, éditions des Sept Couleurs, où, du même auteur, ont déjà paru Histoire de la guerre d’Espagne — qui en est à son troisième tirage — et Lettres à une provinciale. 376 pages, 30 € (+ 8 de port). Pour les membres de l’ARB, 22 € franco de port. Pour les lecteurs de la zone euro, chèque à l’ordre de M. Delcroix, BP 19, F-60240 Chaumont-en-Vexin. Site de l’association : https://www.robert-brasillach.fr/