Ilgar Mamedov, ancien conseiller du Parlement européen : «L’Europe se marginalise elle-même »

Diplomate de carrière, ancien conseiller de la commission des Affaires étrangères du Parlement européen et aujourd’hui chercheur au Quincy Institute, Ilgar Mamedov ne mâche pas ses mots. Dans un entretien accordé au European Conservative, ce spécialiste du Moyen-Orient fait le procès sans détour de la politique étrangère menée par Bruxelles depuis l’invasion de l’Ukraine. Selon lui, l’Union européenne n’est pas victime d’un simple « retour de bâton » géopolitique ; elle paie le prix lourd d’une suite d’erreurs stratégiques, d’illusions moralisantes et d’une gestion budgétaire qu’il juge « suicidaire ».

Multipolarité accélérée, Europe en perte de vitesse

Pour Ilgar Mamedov, la guerre déclenchée par la Russie en février 2022 a « turbochargé » un ordre mondial déjà fracturé. La Chine négocie désormais en position de force, l’Inde a multiplié par dix ses achats de pétrole russe, et le nouveau club des BRICS élargi représente 42 % du PIB mondial. Face à ce basculement, l’Union européenne « flotte », prisonnière d’un discours manichéen démocratie-contre-autocratie que ni Pékin ni New Delhi ne prennent au sérieux. « L’UE n’est pas encore hors jeu, note l’ex-diplomate, mais elle est en train de perdre le fil de l’histoire. »

Von der Leyen et Kallas, cible d’une critique au vitriol

Mamedov concentre ses attaques sur deux figures de la scène bruxelloise. D’abord Ursula von der Leyen, à qui il reproche un « régime de sanctions mal calibré » ayant provoqué une explosion des prix de l’énergie et accéléré la désindustrialisation allemande, sans pour autant faire vaciller l’économie russe. Ensuite Kaja Kallas, nouvelle haute représentante de l’UE, qu’il décrit comme une « fauconne pure et dure » déterminée à ouvrir plusieurs fronts à la fois : contre Moscou, Pékin et même Téhéran. « Cette rhétorique martiale, observe-t-il, repose toujours sur le parapluie militaire américain, alors même que Washington regarde déjà vers le Pacifique. »

Un plan de paix réaliste : neutralité ukrainienne et diplomatie franco-allemande

À ceux qui prônent une guerre « aussi longue qu’il le faudra », Ilgar Mamedov oppose une stratégie qu’il qualifie de réaliste. Sa feuille de route tient en trois points : accepter la perte de la Crimée – « Moscou n’y renoncera jamais » –, geler le front dans le Donbass et inscrire dans le marbre la neutralité de l’Ukraine. « Parler d’adhésion à l’OTAN est une impasse, tranche-t-il. Mieux vaut sécuriser le territoire restant et obtenir un cessez-le-feu durable. » Dans ce schéma, Paris et Berlin devraient reprendre langue avec Vladimir Poutine, tout en proposant un calendrier clair de levée des sanctions conditionné à la fin des hostilités.

Le réalisme vaut aussi pour l’addition financière. La Banque mondiale chiffre les besoins de reconstruction à plus de 500 milliards de dollars. « L’Europe croule déjà sous les dépenses militaires et sociales, souligne l’ex-conseiller. Dans ces conditions, ajouter 50 milliards par an pendant une décennie relève du vœu pieux. » Quant à une éventuelle adhésion de Kiev à l’UE, elle impliquerait une refonte totale du budget communautaire et se heurterait, en France notamment, à l’obstacle du référendum obligatoire.

Pour Ilgar Mamedov, l’ère où l’Occident pouvait étrangler un État par un simple embargo est révolue. La Russie a trouvé des débouchés en Asie, développe des circuits de paiement alternatifs et profite même de la bonne volonté d’un allié inattendu : la Turquie, pourtant membre de l’OTAN. « Les sanctions blessent Moscou, concède-t-il, mais elles ne l’abattent pas. Dans un monde multipolaire, il existe toujours un plan B. »

L’illusion d’une « autonomie stratégique » énergétique

Emmanuel Macron a beau marteler la nécessité d’une Europe souveraine, Bruxelles continue de quémander du gaz à l’Azerbaïdjan, au risque d’importer une énergie re-labellisée d’origine russe. « Troquer Poutine contre Aliyev, auteur d’un nettoyage ethnique au Haut-Karabakh, n’a rien d’une indépendance, c’est une fuite en avant », lâche Mamedov.

L’idée d’une force de maintien de la paix menée par Paris et Londres n’est à ses yeux qu’un ballon d’essai. « Sans l’aviation américaine en couverture, résume-t-il, Moscou frapperait. Et Washington n’a aucune envie de s’engager. »

Au final, l’ancien conseiller plaide pour un retour à une diplomatie de puissance, lucide et débarrassée des illusions morales : « Il faut transformer l’hostilité ouverte en concurrence gérable. Ce n’est pas capituler, c’est survivre. » Faute de quoi l’Europe, déjà fragilisée, « risque de se retrouver reléguée au rang de musée, tandis que l’Asie dictera les nouvelles règles du jeu ».

« Parler moins fort, penser plus froidement » : la recommandation d’Ilgar Mamedov résonne comme un avertissement. Dans un monde où le nombre des centres de gravité ne cesse de croître, l’Union européenne devra choisir entre le pragmatisme et l’irrélevance.

Crédit photos : DR

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3 réponses à “Ilgar Mamedov, ancien conseiller du Parlement européen : «L’Europe se marginalise elle-même »”

  1. Verdier dit :

    Bah oui, Ilgar Maledov a tout simplement les yeux en face des trous, définit les choses clairement, avec pragmatisme, sauf le rôle qu’il maintient et reconnaît à l’Europe…

    L’Europe d’aujourd’hui n’étant qu’une organisation putride, mafieuse, un outil tyrannique d’asservissement aux mains, en réalité, de nos faux-frères américains, qu’il faudrait démanteler, et quitter le plus vite possible, pour revenir à une Europe des nations indépendantes et fécondes, débarrassées de cette politique migratoire insensée, mortifère, qui nous est imposée à dessein, jusqu’à la disparition programmée des peuples autochtones qui la compose encore, à peine…

    Quel cauchemar de vivre cela. Jusqu’à quand ?

  2. guillemot dit :

    Le général de Gaulle , parlant de l’ONU , disait « le machin ». On pourrait en dire tout autant de la pseudo union européenne. Il faut en sortir le plus vite possible.

  3. JACQUES dit :

    L’UE est devenue une mafia qui ne reviendra pas en arrière. La quitter ou mourir, est le seul choix qui reste aux pays, encore un peu lucide.

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