Dans un rapport publié ce mois-ci, la Cour des comptes pointe les nombreuses contradictions et lacunes de la politique gouvernementale encadrant l’instruction en famille (IEF). Devenue une cible du ministère de l’Éducation nationale après l’assassinat de Samuel Paty en 2020, l’IEF est, selon les magistrats financiers, soumise à un traitement disproportionné, inefficace et juridiquement discutable, sans que les objectifs affichés de contrôle aient été atteints.
Une politique fondée sur des présupposés sécuritaires contestés
Depuis 2021, l’instruction en famille ne relève plus d’un simple régime déclaratif, mais d’un régime d’autorisation préalable, instauré par la loi « séparatisme ». Cette restriction drastique a été présentée par le gouvernement comme une mesure de lutte contre l’endoctrinement religieux et les dérives communautaristes.
Or, la Cour des comptes souligne l’absence de données objectives justifiant un tel durcissement. Aucune étude solide ne permet d’affirmer que l’IEF constitue un terreau propice à la radicalisation. Les cas problématiques sont rarissimes, et le rapport évoque un « recours marginal » à l’IEF dans des logiques d’embrigadement.
Une mise en œuvre administrative lourde, floue et inégalitaire
Le régime d’autorisation mis en place s’appuie sur quatre motifs (santé, handicap, pratique sportive ou artistique intensive, itinérance, ou encore « situation propre à l’enfant »). En pratique, la majorité des demandes repose sur cette dernière catégorie, particulièrement floue.
La Cour dénonce des pratiques très hétérogènes d’un rectorat à l’autre, avec des taux d’acceptation variant de 40 à 90 %, sans justification claire. Des familles similaires peuvent recevoir des réponses opposées selon leur académie, remettant en cause le principe d’égalité devant la loi.
L’administration peine à gérer les dossiers, souvent à la limite du surmenage, et les contrôles pédagogiques ne sont pas toujours effectués dans les temps. Les recours des familles sont longs, complexes, et peu transparents.
Des effets pervers sur les enfants et les familles
La politique actuelle fragilise inutilement des familles investies dans une démarche pédagogique sérieuse. Certaines sont contraintes de remettre leurs enfants à l’école contre leur gré, alors même que ces enfants y ont parfois connu l’échec, le harcèlement ou des troubles non pris en compte par l’institution scolaire.
Les contrôles montrent pourtant que les enfants instruits en famille réussissent majoritairement les évaluationspédagogiques imposées par l’État. Le rapport de la Cour s’inquiète d’une politique qui « pénalise de manière injustifiée » un mode d’instruction légal, au nom d’un risque plus fantasmé que réel.
Un appel à une politique plus équilibrée et fondée sur les faits
En conclusion, la Cour des comptes recommande un réexamen de la législation sur l’instruction en famille, pour assurer un meilleur équilibre entre liberté des familles, contrôle de l’État et efficacité administrative. Elle suggère notamment :
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de clarifier les critères d’autorisation pour éviter les inégalités territoriales ;
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de renforcer l’harmonisation des pratiques entre rectorats ;
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de réévaluer l’opportunité du régime d’autorisation, à la lumière des données disponibles ;
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et de mieux accompagner les familles dans leurs démarches, plutôt que de les décourager ou de les stigmatiser.
Ce rapport jette une lumière crue sur une tendance lourde du pouvoir actuel : s’attaquer à la liberté éducative au nom de la sécurité, quitte à viser des familles qui n’ont jamais posé de problème. Pour beaucoup d’entre elles, l’instruction en famille est un choix de bon sens, d’adaptation, parfois de survie, et non un repli sectaire.
Dans une société française de plus en plus centralisée, technocratique et méfiante vis-à-vis des marges, l’IEF devient un révélateur du raidissement idéologique de l’État, prompt à punir les libertés individuelles dès lors qu’elles s’écartent du cadre scolaire unique.
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