L’ONG Urgence Humanitaire multiplie les interventions au Cambodge ces derniers temps, un pays au cœur d’une crise frontalière ravivée entre Phnom Penh et Bangkok.
Face aux attaques visant les villages khmers, aux déplacements massifs de population et à la rupture du cessez-le-feu, l’ONG française a choisi de se déployer dans une zone où la pression militaire et la confusion politique alimentent un profond drame humain. Son responsable, Xavier, rencontré par Breizh-info, raconte des scènes de fuite, des camps débordés de déplacés, des pagodes transformées en refuges d’urgence et un pays dépassé par l’ampleur des évacuations. Il décrit aussi la lenteur des grandes organisations internationales, la désinformation amplifiée par l’IA, et la difficulté de rester neutre lorsque les lignes de front changent chaque semaine.
Malgré tout, ses équipes poursuivent leur mission : être au plus près des civils, dans une démarche directe et enracinée, fidèle à l’esprit initial de l’organisation. Nous l’avons interrogé pour en savoir plus sur un conflit méconnu chez nous.
Pour soutenir l’association, c’est ici, via sa page facebook, ou sur son site Internet.
Breizh-info.com : Dans quel contexte Urgence Humanitaire est intervenu en Asie du Sud-Est ces dernières semaines ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : Depuis 2022, Urgence Humanitaire intervient sur plusieurs continents pour soutenir les populations persécutées. En Asie du Sud-Est, l’organisation s’est mobilisée face aux tensions croissantes visant le peuple khmer, confronté depuis fin mai 2025 à une série de provocations et d’attaques dans les zones frontalières.
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui a motivé votre déploiement au Cambodge ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : Notre présence s’explique par la volonté de soutenir un peuple menacé sur sa propre terre. Le Cambodge, ancien protectorat français, porte encore les traces de son histoire coloniale : les frontières actuelles datent de 1907, lorsque Napoléon III, à la demande du roi Norodom Ier, intervint pour garantir la survie du royaume khmer alors pris en étau entre l’Empire d’Annam et le Royaume de Siam.
Cette stabilité fragile a été bousculée dès les années 1930, puis en 1940, lorsque la défaite française en métropole a permis aux forces thaïlandaises d’envahir le nord-ouest du Cambodge. Le Japon imposera plus tard un cessez-le-feu, avant la restitution des provinces de Battambang et Siem Reap en 1947.
Ces tensions anciennes réapparaissent aujourd’hui.
Breizh-info.com : Que constatez-vous dans les zones frontalières ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : Sur place, la situation est confuse et marquée par une volonté de la Thaïlande de reprendre le contrôle de plusieurs temples situés le long de la frontière, notamment Preah Vihear et Prasat Ta Khwai.
Et ce, malgré la décision de la Cour internationale de justice de 1962 reconnaissant la souveraineté cambodgienne.
Dans les villages frontaliers, les équipes d’Urgence Humanitaire ont constaté les dégâts causés par l’artillerie et l’aviation. Dès le mois de mai, les échanges de tirs ont forcé l’évacuation de milliers d’habitants vers des camps autour de Siem Reap.
Les incursions continuent et les soldats thaïlandais multiplient les provocations : tirs de lance-pierres, installation de barbelés, pressions diverses. Les villageois, souvent armés de simples bâtons, s’opposent comme ils peuvent.
Le cessez-le-feu négocié le 10 novembre a d’ailleurs été rompu par Bangkok.

Breizh-info.com : Les enfants semblent particulièrement touchés. Quelle est leur réalité ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : Plus de 130 000 personnes ont fui les combats. Les déplacés ont d’abord érigé des camps de fortune avant que l’État ne prenne le relais.
Dépourvu de capacités de transport à grande échelle, le Cambodge laisse aux habitants la responsabilité de leur propre évacuation : familles entassées dans des remorques tractées par des motoculteurs, trajets interminables de plusieurs jours.
Les camps sont majoritairement installés dans des pagodes bouddhistes, les seules structures capables d’accueillir des milliers de personnes. Certains sites dépassaient 13 000 déplacés.
Les conditions sanitaires — accès à l’eau, toilettes, hygiène — sont extrêmement précaires.

Breizh-info.com : Quels sont aujourd’hui les besoins les plus urgents ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : Près de 90 % des déplacés ont pu rentrer dans leurs villages, mais 10 % demeurent dans les camps, les zones d’origine étant toujours instables. Une nouvelle vague d’évacuation reste possible.
Lors des combats les plus intenses, tout déplacement proche de la frontière était interdit. L’action humanitaire se concentrait alors sur la distribution de nourriture dans les camps.
Après le premier cessez-le-feu de juillet, les équipes ont enfin pu pénétrer dans les villages touchés et apporter un soutien médical aux côtés des autorités locales.
Breizh-info.com : Comment rester neutre dans un contexte aussi sensible ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : La neutralité est difficile à maintenir quand les lignes de front se déplacent. Elle repose sur un principe simple : aider uniquement les civils, écouter les déplacés, rester au plus près des besoins réels.
Face à la propagande omniprésente — accentuée par les vidéos générées par l’IA — il faut contrôler chaque information. Dans chaque guerre, les belligérants tentent d’influencer l’opinion publique.

Breizh-info.com : Les grandes organisations internationales sont présentes. Quel est l’apport spécifique d’une ONG française comme la vôtre ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : Les grandes organisations — ONU, Croix-Rouge, ASEAN — n’interviennent que dans les grands camps administrés par l’État. Les plus petites structures, nombreuses, restent sans soutien international.
Lourdes, bureaucratiques, ces institutions peuvent mettre des semaines à déployer une mission. Nous, avec nos moyens modestes, pouvons charger un pick-up et intervenir dans l’heure, même avec des informations encore fragmentaires.
Notre force : l’expérience du terrain (Arménie, Ukraine, Liban…) et une réactivité que peu d’organisations peuvent égaler.
Breizh-info.com : La “fatigue humanitaire” rend-elle la mobilisation plus difficile ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : Une lassitude s’installe effectivement chez les Français : l’attention médiatique est monopolisée par l’Ukraine et Gaza, reléguant d’autres crises au silence.
Mais une partie des donateurs reste sensible au sort de ces populations oubliées.
Breizh-info.com : S’agit-il d’un conflit territorial ou d’un drame humain qui se répète ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : Le cœur du problème est territorial. Tant que la question des temples ne sera pas résolue, les tensions persisteront. Malgré les décisions de La Haye et les efforts de médiation régionale, la volonté thaïlandaise de récupérer ces sites continue d’alimenter le conflit.
Breizh-info.com : Les habitants que vous rencontrez croient-ils encore au retour à la normale ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : La plupart n’ont connu que la guerre. Nous avons rencontré une femme de 105 ans, doyenne d’un camp, qui racontait la colonisation, le régime des Khmers rouges, la fuite permanente.
La lassitude était palpable. Elle est décédée dans ce même camp, épuisée par une vie entière de déplacements forcés.
Oplus_0
Breizh-info.com : Qu’est-ce qui motive encore vos équipes à partir, parfois au péril de leur vie ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : Notre engagement tient à la proximité avec les populations sinistrées. Être là où les gens souffrent, partager leur quotidien, leur apporter matériel et soutien moral.
À Avdiivka, par exemple, nous avons vu des soignants vivre dans des maisons abandonnées, cuisinant eux-mêmes avec les moyens du bord. Le simple fait d’apporter du café ou quelques barres de céréales redonnait un peu d’espoir.
Breizh-info.com : Quel message souhaitez-vous adresser aux lecteurs français — et bretons — susceptibles de vous soutenir ?
Xavier (Urgence Humanitaire) : Nous voulons avant tout donner de la visibilité à nos actions.
Il existe sur le terrain une diversité d’ONG, dont certaines défendent une vision enracinée des identités et la volonté pour ces peuples de vivre en paix sur leur terre. Soutenir Urgence Humanitaire, c’est soutenir cette approche directe, réactive et profondément humaine. Je tiens à remercier Airavata, ONG qui lutte pour la préservation des éléphants dans la province de Ratanakiri au Cambodge et qui a été très active dans l’aide aux déplacés.
Propos recueillis par YV
Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
Breizh-info.com, 2025, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine