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Ukraine, ce que j’ai vu. Témoignage de retour d’un voyage humanitaire

De retour d’Ukraine, j’aimerais livrer un témoignage et quelques réflexions qui sortent un peu des poncifs distillés par les propagandistes de tous bords. Je ne prétends pas avoir une opinion définitive ni détenir la vérité après un court voyage, mais j’aimerais vous dire ce que j’ai vu et entendu, et vous permettre d’affiner votre opinion sur le sujet. Je précise qu’étant allé dans des zones russophones au début de la guerre en 2014, j’ai tenté comme j’ai pu d’avoir un regard neutre sur tous les événements.

( NDLR : propos écrits avant les révélations du massacre de Boutcha, dont l’avenir déterminera les responsables avec certitude )

Avec l’association Urgence Humanitaire qui œuvre là-bas, nous nous sommes rendus à Lviv, puis à Kiev, afin d’apporter des médicaments, des compresses, des bandages, des couches et de l’aide aux ukrainiens. À l’heure où je vous parle, un deuxième convoi est en route vers l’Ukraine, tandis que le directeur des opérations d’Urgence Humanitaire est resté sur place et continue entre Lviv et Kiev à travailler en partenariat avec des organismes locaux.

Lviv est une ville européenne, profondément européenne. Catholique comme 8 ou 10% de la population ukrainienne. Avec ses immeubles colorés, son architecture rappelle un peu Cracovie, ou l’Autriche, ou certaines villes de l’extrême Nord de l’Italie (du moins telles que je me les imagine). La population y a un type un peu moins slave que plus à l’Est. Pour toutes ces raisons, Lviv n’est pas représentative du reste de l’Ukraine, moins européenne et majoritairement orthodoxe. Plutôt épargnée par la guerre, Lviv résonne cependant plusieurs fois par jour (et par nuit!) du bruit des sirènes antiaériennes. Mais exceptés des bombardements stratégiques en périphérie et ce concert de sirènes, la ville vit comme si de rien n’était, quoique certains bâtiments (les églises en particuliers) aient été protégés partiellement contre les éclats d’obus en cas d’attaque.

Après deux jours passés à Lviv, où nous avons visité et effectué différentes distributions (médicaments, bandages etc), ainsi que des interviews, nous sommes partis à Kiev, de nuit. Le pays est parsemé de checkpoints, tenus parfois par des garçons de 17 ans ou des vieillards, dont certains portent un fusil de chasse pour seule arme ; cet esprit de résistance fait relativiser la propagande qui voudrait que les ukrainiens soient des russes victimes d’une oligarchie mondialiste les maintenant séparés de la Mère Patrie d’outre-Dniepr. Ils sont bien victimes d’une oligarchie mondialiste, mais tout autant de l’impérialisme russe qui fait semblant de confondre le Donbass devenu historiquement russophone par la force et le reste du pays.

Notre arrivée à Kiev nous a unanimement laissé coi sur un point ; nous sommes loin de la ville ultra bombardée décrite par les médias occidentaux. Évidemment, nous n’avons vu qu’une partie de la capitale ukrainienne ; mais pour être allé à Damas ou à Stepanakert, je puis vous dire que Kiev est relativement épargnée, dans le centre-ville du moins. Nous entendîmes cependant plusieurs vagues de bombardements en banlieue tandis que nous apportions des couches pour enfant et du matériel dans un hôpital militaire. D’après des témoignages recueillis sur place, les alentours de Kiev ont été durement touchés par l’artillerie russe et beaucoup d’immeubles sont soufflés. Dans le centre-ville, peu de gens circulent à pied comme à Lviv ; on se déplace majoritairement en voiture, et vite. Autre signe qui ne trompe pas ; les restaurants sont fermés, et nous ne trouverons rien à manger. Après quelques interviews, et des discussions intéressantes, nous sommes repartis vers Lviv où nous sommes arrivés dans la nuit. Le lendemain, nous avons passé une partie de la journée à faire le point, préparer la suite de la mission pour ceux qui restaient sur place, et visiter un peu. Suite à quoi je suis reparti vers la France.

Voilà, succinctement, le récit factuel de mon voyage. Ceci ne me permet évidemment pas de maîtriser toutes les données du problème, mais j’aimerais à présent tordre le cou une bonne fois pour toutes à quelques arnaques atlantistes ou moscovites qui pullulent en France.

Commençons par le côté OTAN, même si je pense que la plupart des lecteurs de Breizh-Info ne sont dupes de rien :

  • Il est absurde de penser que Poutine est un être irrationnel et assoiffé de sang ; il a très clairement été incité à agir par les différentes humiliations subies par la Russie depuis le début des années 2000. On sait depuis le traité de Versailles à quel point le légitime désir de revanche peut unir un peuple et le pousser à de grands cataclysmes historiques. Nous y sommes, et le coupable n’est pas toujours l’agresseur. En l’occurrence l’actuel coupable a des raisons rationnelles.
  • Les soldats russes semblent se tenir plutôt correctement, et à Kiev et Lviv au moins, les bombardements semblent ciblés. Ceci ne signifie pas que les civils ne sont jamais victimes collatérales de cette guerre, ni qu’aucune exaction n’a été commise de part et d’autres à l’égards de gens désarmés ; simplement que l’invocation perpétuelle des “crimes de guerre russes” est une farce ; la guerre EST une succession de crimes, plus ou moins encadrés par les armées belligérantes et les conventions internationales.
  • Les militaires avec lesquels j’ai discuté m’indiquent n’avoir jamais croisé les “régiments Wagner” dont nous bassine BHL avec sa tessiture canine. D’après un responsable politique ukrainien, cette fable est agitée par l’Occident pour faire pleurer dans les chaumières, et n’est pas démentie par Moscou pour entretenir un climat de terreur. Quoiqu’il en soit, on se demande en quoi la présence de ces mercenaires rendrait de facto la guerre plus terrible.
  • D’après un député centriste ukrainien, les pertes russes annoncées par les médias occidentaux sont à prendre avec des pincettes (tous les chiffres en général, d’ailleurs…)
  • Enfin, nos médias si prompts à voir des nazis partout ferment volontairement les yeux (ou minimisent) l’omniprésence des groupes nationalistes (ou plus) dans l’appareil défensif ukrainien. Cet aveuglement volontaire cache un loup quelque part.

Mais en termes de propagande, les russes ne sont pas en reste. Dans son meeting de mars, Poutine a annoncé être en lutte “contre l’empire du mensonge”. Venant d’un ancien du KGB nostalgique de l’URSS, ceci a de quoi faire sourire. Pourtant, cette rhétorique a profondément infusé dans les milieux patriotes et militants français.

Avant de rentrer dans le détail, notons que mystérieusement aucun pays voisin des russes n’est neutre vis-à-vis de l’ex puissance soviétique ; tous détestent la Russie, sauf quand ils sont sous sa domination directe… Pourquoi ?

  • L’Ukraine n’existe pas, c’est le berceau de la Russie” ; les réseaux sociaux pullulent de spécialistes du monde slave pour justifier l’invasion Russe. Les Francs viennent du Nord et de l’Est, et le père de Clovis est enterré en Belgique ; faut-il pour autant considérer la Wallonie comme absolument française et l’envahir ? Non. Pourtant, ils parlent français à 100% tandis que l’Ukraine ne compte que 20% de russophones.
  • L’Ukraine est un repère de mondialistes corrompus”. L’Ukraine est en effet le jouet des mondialistes. Mais la France est dirigée par l’un des pires d’entre eux, Emmanuel Macron ; faudrait-il pour autant applaudir à un bombardement de nos villes et à l’invasion de notre pays ? Par ailleurs, en une semaine je n’ai pas croisé un seul ukrainien favorable à l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN. Pas un seul. Zelensky lui-même semble avoir abandonné cette idée… Concernant la corruption, dans les guides touristiques d’avant 2014, et donc datant de l’époque où l’Ukraine était hors du champs d’influence américain, il était recommandé aux gens visitant Odessa de ne pas aller à la plage avec leur passeport, sous peine de le voir confisqué contre rançon par des policiers. En terme de corruption, voilà qui donne une idée de l’Ukraine sous influence russe…
  •  “Tant pis pour les ukrainiens sincères et les nationalistes ukrainiens. Il faut soutenir Poutine contre l’OTAN en ne pensant qu’à l’intérêt de la France ; c’est la Realpolitik”. En quoi une victoire de Poutine sur toute l’Ukraine affaiblirait-elle l’OTAN chez nous ? Pour le moment, cette guerre n’a fait que dégrader nos conditions de vie et redonner de la vigueur et des prétextes à l’atlantisme qui sévit chez nous ; il suffit de voir la remontada de Macron dans les sondages ! À moins que la Russie n’envahisse toute l’Europe évidemment. Mais si l’Europe allemande avait déjà du mal à fonctionner, imaginez l’Europe russe… Sans compter que l’exemple arménien montre bien que la “protection russe” n’est pas toujours une partie de plaisir.
  •  “Cette guerre est celle de la Tradition et de la chrétienté contre la décadence occidentale” ; c’est au fond l’argument qui porte le plus au sein des droites françaises. Il est inepte. Si la Russie est moins “avancée” en terme de putréfaction LGBT, elle nous précède très loin sur la GPA (légalisée depuis presque 30 ans) et l’avortement. L’avortement a en effet fortement baissé depuis 2010, mais il reste à 48,5 pour 1000 femmes, contre 15 pour 1000 en France. Plus du triple. Par ailleurs la lutte contre l’avortement est pénalisée en Russie, comme le montre cet article (https://www.breizh-info.com/2022/03/15/181607/tatiana-kungurova-opposante-russe-en-exil-la-russie-cest-le-totalitarisme-lunion-sovietique-dans-un-nouveau-format-interview/)

Enfin, à peine intervenu en Arménie en brandissant la Chrétienté, Poutine s’est empressé de signer un accord militaire avec l’Azerbaïdjan. L’Azerbaïdjan qui continue de tuer des arméniens tous les jours sans que les casques bleus russes n’interviennent réellement…
– “Il faut dénazifier l’Ukraine” ; il ne me semble pas que le problème en Europe soit le nazisme. Si le national-socialisme a une bonne cote auprès de nombreux nationalistes ukrainiens, c’est simplement parce que certains ont vu en Hitler un sauveur après la famine organisée par Staline en Ukraine, qui fit 6 millions de morts, et que Poutine refuse de reconnaître. Poutine fait d’ailleurs enfermer des historiens qui travaillent sur les crimes du communisme stalinien. En organisant un “congrès mondial antifasciste” auquel il convie le régime chinois (mélange de communisme et de technico-capitalisme sauvage) et l’Azerbaïdjan, Vladimir Poutine montre bien que le ciment idéologique de la Russie moderne reste la Grande Guerre Patriotique menée par Staline et qui a abouti à l’invasion de la moitié de l’Europe. Ce faisant, on voit mal en quoi la domination russe serait préférable à la domination américaine.

Le but n’est pas ici de plaider pour une croisade anti-russe ; je suis pour un monde multipolaire, et j’apprécie aussi bien la civilisation russe que certains aspects de Vladimir Poutine qui est un patriote sincère et un chef d’Etat talentueux. Mais il est temps que les patriotes européens prennent conscience que leur salut, s’il doit advenir, adviendra d’eux-mêmes, et non d’hypothétiques sauveurs étrangers. La Russie lutte pour ses intérêts et n’a aucunement l’intention d’en finir avec le mondialisme ; comme les USA, elle voit l’Europe comme un terrain de jeu pour provoquer l’ennemi. Comme naguère les pays européens s’affrontaient dans les colonies…

Jean-Eudes Gannat

Photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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5 réponses à “Ukraine, ce que j’ai vu. Témoignage de retour d’un voyage humanitaire”

  1. costaz guy dit :

    Taquiner l’ Ours qui dort n’ a jamais été profitable à qui que ce soit !
    Pas plus que ne l’ avait été à Cuba pour Staline de menacer les Yankees
    avec leurs fusées qui avaient été retirées précipitament pour éviter de
    raser New-York…

  2. Olivier D dit :

    Félicitons Jean Eudes G pour sa vraie action humanitaire et pour son analyse sensée de la situation en Ukraine. Il ne développe pas le gloubi-glouba d’idée erronées de la presse main stream occidentale!

  3. Pschitt dit :

    Un peu de recul et de pondération, ça fait du bien. Cependant, comparer la désintégration de l’URSS et le Traité de Versailles n’est pas prendre du recul, c’est comparer des pommes et des oranges. Voire des pommes et des bicyclettes. L’une est une implosion interne d’un régime et d’une idéologie à bout de souffle, l’autre un “accord” léonin imposé à un pays vaincu militairement. L’Ukraine n’a pas été “arrachée” à la Russie, c’était déjà un Etat membre de l’ONU. La faute à Lénine et Staline, peut-être, comme l’a expliqué Poutine dans son discours du 21 février dernier, mais il n’est pas possible de faire abstraction du 20e siècle ! L’Holodomor a fait naître un sentiment national anti-communiste devenu anti-russe, et la guerre actuelle ravive ce sentiment pour un siècle. Et puis, dire “l’Ukraine est historiquement russe” est largement faux. L’Ukraine occidentale est en partie polonaise et en partie hongroise. Quant à la Crimée, elle a fait partie plus longtemps de l’empire ottoman que de l’empire russe…

  4. emile 2 dit :

    contentez vous de faire du reportage humanitaire et réouvrez les livres d’histoire , car il y a de très grosses lacunes …..

  5. Hodabalou dit :

    Juste occupé vous de ce que vous faites peut être le mieux….l’humanitaire. Ce que vous essayez de raconter contient trop raccourcis..et comprendre l’essence de ce conflit ou l’expliquer n’est pas ce quelque chose que vous pourriez faire après un ou deux voyages humanitaires

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