La visite récente du pape Léon XIV au Liban a ravivé l’attention internationale sur le sort des chrétiens d’Orient. Dans un entretien accordé à The European Conservative, Amine Iskandar, président de l’Union Maronite, livre une analyse sans détour du déclin démographique, culturel et politique qui menace l’existence même du Liban chrétien. Pour lui, seule une réforme profonde des structures institutionnelles – en particulier le fédéralisme – permettrait de préserver une présence chrétienne libre et durable dans le pays du Cèdre.
Un héritage historique unique, aujourd’hui fragilisé
Iskandar rappelle que le Liban constitue depuis des siècles un refuge exceptionnel pour les chrétiens du Levant. Montagne protectrice, institutions éducatives, hôpitaux, universités : la construction maronite s’est faite autour d’un pouvoir religieux mais aussi militaire. Saint Jean Morun, au VIIᵉ siècle, posait déjà les bases d’une nation structurée pour résister : une Église, une armée, une continuité culturelle.
Cette dynamique, dit-il, a permis aux Maronites – comme aux Arméniens – de survivre là où d’autres communautés chrétiennes du Moyen-Orient se sont retrouvées désarmées et sans autonomie politique.
Pour Iskandar, l’accord de Taëf (1989) marque le tournant.
Réduction des pouvoirs des chrétiens, naturalisations massives de populations étrangères, montée en puissance du Hezbollah, effacement progressif de la mémoire collective. Il évoque même une forme de « génocide culturel » qui pousse les familles chrétiennes à l’exil.
La crise bancaire de 2019, puis l’explosion du port de Beyrouth en 2020, ont achevé d’asphyxier la classe moyenne chrétienne – piliers économiques, éducatifs et intellectuels du pays.
Résultat : une population chrétienne figée ou en recul, tandis que les flux migratoires syriens ont transformé l’équilibre démographique.
Une hémorragie démographique sans précédent
Les chiffres cités par Iskandar sont vertigineux. En 1975, les chrétiens représentaient près de deux millions des 3,5 millions d’habitants. Aujourd’hui, ils seraient moins de deux millions dans un Liban qui en compte sept. Plus de 80 % de la jeunesse chrétienne aurait quitté le pays depuis 2020.
Pendant ce temps, le nombre de réfugiés syriens dépasse désormais celui des chrétiens restants.
Pour l’activiste, le Liban pluraliste de tradition méditerranéenne n’existe déjà plus. Les églises survivent, mais la terre se vide.
Pourquoi le fédéralisme ?
Iskandar défend une refonte institutionnelle totale. Selon lui :
- le pouvoir central, corseté par le système Taëf, nourrit conflit et paralysie ;
- les ressources fiscales des régions chrétiennes profitent prioritairement aux zones dominées par Hezbollah et Amal ;
- seule une autonomie territoriale permettrait à chaque communauté de gérer son économie, son éducation, sa culture.
Il plaide donc pour un fédéralisme intégral, administratif, fiscal et politique :
« laisser prospérer chaque groupe selon sa culture, éviter l’affrontement permanent pour le contrôle de l’État ».
Iskandar accuse frontalement l’Europe et le Vatican d’encourager l’intégration des réfugiés au Liban pendant qu’ils facilitent, par ailleurs, la migration des jeunes chrétiens vers l’Occident. Résultat : le pays se déchristianise à grande vitesse.
Il appelle au contraire à un soutien économique ciblé aux familles locales, à la reconstruction des institutions chrétiennes, et à un appui diplomatique à un système fédéral.
« Chaque année compte », prévient-il. « Chaque année, mille familles quittent leur terre. »
L’entretien est clair : ce qui a permis aux chrétiens de survivre durant quinze siècles – institutions fortes, autonomie, capacité de défense – n’existe plus aujourd’hui. Le pari de « tenir encore un siècle comme avant » serait une illusion.
Sans changement structurel, dit Iskandar, le Liban chrétien aura disparu bien avant que l’histoire ne lui laisse une nouvelle chance.
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