Alors que l’Union européenne se présente comme un acteur majeur de la défense de la démocratie et des droits fondamentaux, sa relation avec le Pakistan soulève de plus en plus de critiques. En refusant de rendre public un rapport clé sur les élections législatives pakistanaises de 2024, Bruxelles alimente les soupçons de complaisance envers un régime accusé d’autoritarisme, de persécutions religieuses et de répression de la presse.
Un rapport électoral européen tenu secret
Le Service européen pour l’action extérieure (SEAE), organe diplomatique de l’Union européenne, a de nouveau refusé, le 21 novembre, de publier son rapport de mission d’experts électoraux (Election Expert Mission, EEM) concernant les élections générales pakistanaises de 2024. Motif invoqué : l’absence de consentement explicite du gouvernement pakistanais.
Cette décision intervient alors même qu’une mission européenne se trouvait au Pakistan pour évaluer le respect par le pays des critères du régime commercial préférentiel GSP+, qui conditionne des avantages douaniers au respect de conventions internationales, notamment en matière de droits humains, de libertés fondamentales et de bonne gouvernance.
Ce refus de transparence contraste avec les conclusions sévères d’autres observateurs internationaux. Le rapport du Commonwealth Observer Group estime que les élections de 2024 n’ont été ni libres ni équitables, dénonçant une influence déterminante de l’armée pakistanaise et l’exclusion de facto d’un grand parti d’opposition, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI) de l’ancien Premier ministre emprisonné Imran Khan.
Le GSP+ au cœur des critiques
Depuis 2014, le Pakistan bénéficie largement du régime GSP+, qui permet l’accès préférentiel au marché européen, avec des droits de douane réduits voire nuls sur près des deux tiers des catégories de produits. L’Union européenne est aujourd’hui le deuxième partenaire commercial du Pakistan, représentant plus de 12 % de son commerce total.
En contrepartie, Islamabad est censé appliquer 27 conventions internationales des Nations unies relatives aux droits humains, aux droits du travail, à l’environnement et à la gouvernance. Or, de nombreuses ONG et organisations internationales estiment que le Pakistan viole systématiquement ces engagements.
Lois sur le blasphème et persécutions des minorités
Parmi les sujets les plus sensibles figurent les lois sur le blasphème, introduites en 1986 et renforcées ces dernières années. Elles prévoient la peine de mort et sont régulièrement utilisées contre les minorités religieuses, en particulier les chrétiens et les hindous.
Bien que les chrétiens ne représentent qu’environ 1,8 % de la population pakistanaise, ils font l’objet d’environ un quart des accusations de blasphème. Ces accusations débouchent fréquemment sur des violences collectives. En 2024, un chrétien de 73 ans, Lazar (Nazir) Masih, a été lynché après une fausse accusation d’avoir brûlé le Coran.
En août 2023, à Jaranwala, des émeutes ont conduit à l’incendie ou à la destruction de 26 églises et de plus de 200 maisons chrétiennes, forçant des centaines de familles à fuir. Les enquêtes sur les abus de ces lois ont depuis été suspendues, sous la pression de groupes islamistes radicaux.
Selon l’ONG Open Doors, les chrétiens au Pakistan subissent une discrimination institutionnalisée. Des emplois considérés comme dégradants leur sont réservés, notamment dans le nettoyage ou les briqueteries. Les femmes et les jeunes filles issues des minorités sont particulièrement vulnérables, exposées au travail forcé, aux violences sexuelles, aux mariages précoces et aux conversions forcées à l’islam.
Des rapports internationaux soulignent également un phénomène de conversions imposées à des mineures chrétiennes et hindoues, souvent accompagnées d’enlèvements et de mariages forcés, en particulier dans les provinces du Sindh et du Pendjab.
Une liberté de la presse gravement menacée
La situation de la presse est tout aussi préoccupante. Le Pakistan figure parmi les pires pays en matière de liberté des journalistes. Arrestations arbitraires, intimidations, assassinats et poursuites judiciaires sont régulièrement documentés.
Fin novembre, le journaliste Sohrab Barkat a été interpellé à l’aéroport d’Islamabad alors qu’il se rendait à une conférence des Nations unies. D’autres affaires, comme l’assassinat du journaliste Arshad Sharif au Kenya ou les menaces visant des chercheurs et militants pakistanais à l’étranger, illustrent l’ampleur de la répression, y compris hors des frontières nationales.
Malgré les alertes répétées d’organisations internationales, de rapporteurs de l’ONU et de commissions américaines sur la liberté religieuse, l’Union européenne maintient ses relations privilégiées avec le Pakistan. Arrestations arbitraires, disparitions forcées au Baloutchistan, attaques de drones contre des civils, lynchages et violences communautaires continuent pourtant d’être signalés.
Pour de nombreux défenseurs des droits humains, le silence de Bruxelles et le refus de publier le rapport sur les élections de 2024 posent une question centrale : l’Union européenne sacrifie-t-elle ses principes affichés sur l’autel des intérêts géopolitiques et commerciaux ?
Illustration : DR
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