Longtemps tolérés par la société japonaise, parfois même perçus comme un mal nécessaire, les yakuzas occupent une place singulière dans l’histoire moderne du Japon. Le documentaire Yakuza, réalisé par Michaël Prazan, propose une plongée rare et saisissante au cœur de cet univers clanique, codifié et aujourd’hui sur le déclin. Nourrie de témoignages exclusifs, d’archives et d’analyses, cette enquête en deux volets retrace à la fois les origines profondes de la mafia japonaise et les raisons de sa chute progressive.

Aux origines d’un ordre parallèle

Le premier volet revient sur la genèse et l’identité des yakuzas, dont les racines remontent à la fin du VIIIᵉ siècle. À l’époque, le pouvoir impérial s’appuie sur des marginaux pour encadrer les jeux de dés et d’argent. De ces figures rejetées par la société naissent peu à peu des organisations structurées, offrant à leurs membres issus des couches les plus pauvres et discriminées un moyen d’ascension sociale.

Le terme yakuza, signifiant « 8-9-3 » — une main perdante au jeu — dit déjà beaucoup de cette origine marginale. Pourtant, au fil des siècles, ces groupes développent un code d’honneur strict, le ninkyôdô, la « voie chevaleresque », transmis de génération en génération. Leur monde est régi par des rites précis, une hiérarchie rigide et une loyauté absolue envers le clan.

Le documentaire donne la parole à plusieurs figures emblématiques. Takeshi Ichiyama, chef respecté sur le territoire de Kochi, expose avec fierté son tatouage intégral, symbole de fidélité et de sacrifice. À Tokyo, Akira Asakura évoque avec émotion le sakazuki, ce rituel solennel du partage de la coupe de saké qui scelle l’allégeance à l’oyabun, le parrain.

Traditionnellement, les yakuzas proscrivent le vol ordinaire, les agressions sexuelles et revendiquent une forme d’ordre moral. Leurs revenus proviennent cependant de multiples trafics — y compris la drogue, pourtant interdite par leur propre code — ainsi que de la collecte de « taxes de protection » dans les quartiers de divertissement comme Kabukichô. Présents sur tout le territoire japonais, ils sont organisés en vingt-trois grandes structures, dont la plus puissante, le Yamaguchi-gumi, fondée à Kobe en 1915.

Longtemps acceptés par les autorités comme un rempart contre une violence plus diffuse, les yakuzas finiront néanmoins par perdre ce crédit, notamment à travers des guerres internes sanglantes qui ensanglantent le pays.

L’âge d’or, puis la chute

Le second volet s’attarde sur la période de toute-puissance des yakuzas, durant les années 1980. Alors que le Japon connaît une prospérité économique sans précédent, les organisations criminelles s’imposent comme des acteurs centraux de la vie économique. Elles investissent les entreprises légales, contrôlent les travaux publics, l’immobilier, le sport, le divertissement, et étendent leurs activités jusqu’à l’étranger, notamment à Hawaii.

Mais en 1990, l’effondrement du yen plonge durablement le pays dans la crise. Le chômage explose, les scandales se multiplient et révèlent l’implication profonde des yakuzas dans la finance, la politique et les grandes entreprises. De nombreux responsables politiques, financés par le crime organisé, sont contraints à la démission. Le Parti libéral-démocrate, fondé en 1955 avec le soutien des yakuzas et des États-Unis, est particulièrement touché.

La pression internationale s’intensifie lorsque le FBI met au jour l’infiltration des yakuzas à Hawaii. Sous l’impulsion de Washington, le gouvernement japonais durcit sa position. À partir de 2011, les préfectures adoptent des ordonnances restreignant sévèrement les activités des clans, avant que le Parlement ne généralise ces mesures d’« exclusion du crime organisé » en 2012.

Si les effectifs yakuzas diminuent, le documentaire montre que ce déclin profite à des groupes plus violents et moins structurés : les hangure, symboles d’un crime sans code ni tradition.

Un monde crépusculaire

Face à la caméra de Michaël Prazan, yakuzas actifs ou repentis se livrent avec une sincérité rare, souvent à visage découvert, malgré les risques. Ils racontent leur vie clanique, défendent leurs valeurs et témoignent d’un monde en train de disparaître. Le journaliste Jake Adelstein, auteur de Tokyo Vice, apporte un éclairage précieux sur les mécanismes qui ont conduit ces organisations au bord du gouffre.

Plus qu’un documentaire sur la mafia, Yakuza est le récit d’un ordre ancien qui vacille, révélateur d’un Japon longtemps gangrené par la corruption et aujourd’hui confronté à une criminalité plus diffuse, plus brutale.

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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