L’Odyssée à l’épreuve du cinéma : traduire Homère sans trahir l’épopée

Alors que Christopher Nolan s’apprête à porter L’Odyssée à l’écran dans une superproduction très attendue, une question essentielle se pose, bien au-delà du casting prestigieux ou des effets visuels annoncés : comment rendre Homère intelligible sans le vider de sa substance épique ? Et surtout, quelle langue peut encore porter, près de trois millénaires plus tard, la puissance fondatrice de ce texte européen majeur.

Car L’Odyssée n’est pas seulement un récit d’aventures. C’est un poème fondateur, un chant de la mémoire, du retour, de l’identité, de la fidélité et de l’épreuve. Or, toute adaptation – et toute traduction – engage une vision du monde. Traduire Homère, ce n’est pas seulement transposer des mots : c’est choisir ce que l’on fait de l’épopée elle-même.

Le défi de l’épopée en langue moderne

Le cinéma, par nature, dispose d’armes puissantes : images, musique, rythme, spectaculaire. Mais il lui manque une chose essentielle : la densité du verbe. Chez Homère, le sublime ne tient pas seulement aux exploits d’Ulysse, mais à la cadence du récit, à la répétition, à l’élan oral, à cette musique du langage qui porte l’auditeur autant que le sens.

Tout dépendra donc du texte sur lequel Nolan s’appuiera. Et c’est là que la question des traductions devient centrale.

Trois visions de Homère, trois mondes

Depuis des décennies, le monde anglophone oscille entre deux pôles : la fidélité érudite et la modernisation radicale. La traduction de Richmond Lattimore, longtemps dominante dans les universités, privilégie la rigueur philologique. Elle colle au grec, respecte les structures, mais produit un anglais souvent rigide, solennel, presque administratif. Le texte est exact, mais la poésie peine à respirer.

À l’inverse, la version d’Emily Wilson, souvent citée comme possible source du film, assume une rupture nette : langue contemporaine, syntaxe fluide, vocabulaire psychologique. L’ouverture – « Tell me about a complicated man » – frappe par sa clarté, mais aussi par sa banalité. Ulysse devient un personnage presque sociologique, analysable, domestiqué. L’épopée perd alors sa verticalité, sa gravité, son étrangeté fondatrice.

Michael Solot : faire entendre l’épopée

C’est dans cet entre-deux que s’inscrit la traduction de Michael Solot, publiée en 2025. Son approche refuse à la fois l’archaïsme figé et la modernisation plate. Solot ne cherche pas à imiter mécaniquement l’hexamètre grec – impossible en anglais – mais à retrouver le mouvement, la houle du vers, la respiration du chant.

Son Ulysse n’est ni un concept abstrait, ni un héros désacralisé. C’est un homme façonné par l’épreuve, la ruse, la douleur et la fidélité. Le langage reste élevé sans être compassé, incarné sans être trivial. Le rythme, fondé sur les accents et non sur un carcan métrique, redonne au texte une oralité vivante, proche de ce qu’a pu être la récitation homérique. Là où Wilson raconte une histoire claire, Solot fait entendre un chant. Là où Lattimore conserve un monument, Solot rend un texte habitable.

Ce débat n’est pas technique. Il est profondément civilisationnel.

L’Europe est née de récits comme L’Odyssée. De récits qui parlent du retour au foyer, de la fidélité à la terre, de la mémoire des morts, de la transmission. Réduire Homère à une narration efficace ou à une grille psychologique moderne, c’est l’arracher à ce qu’il est : une matrice culturelle. À l’inverse, redonner chair à l’épopée, c’est rappeler que les Anciens ne nous parlent pas depuis un musée, mais depuis un temps encore vivant en nous.

Le pari de Nolan

Si le film de Christopher Nolan parvient à être autre chose qu’un spectacle impressionnant – s’il devient réellement épique – ce sera parce qu’il aura su s’adosser à une langue capable de porter le sublime sans l’aplatir. Car l’épopée ne supporte ni la tiédeur ni la neutralisation.

Lire Homère aujourd’hui, ce n’est pas chercher le confort du présent. C’est accepter l’étrangeté, la grandeur, parfois la dureté d’un monde qui nous a précédés et nous a faits. À ce titre, la traduction de Michael Solot apparaît comme bien plus qu’une nouveauté éditoriale : une tentative rare de réconciliation entre modernité linguistique et fidélité spirituelle.

Avant de juger l’Odyssée de Nolan, peut-être faut-il donc relire celle de Homère. Et entendre, à nouveau, la voix du chant.

Illustration : DR
[cc] Article relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par ChatGPT.
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