Lors du congrès conservateur organisé en novembre à Bratislava, le Dr. Mészáros Árpád József, figure centrale de la politique familiale hongroise et stratège au sein de l’institut KINCS, a livré une analyse sans détour de l’urgence démographique qui frappe l’Europe centrale. Juriste spécialiste du droit social et des politiques familiales, il défend une approche fondée sur la souveraineté, l’investissement à long terme dans les familles et la continuité culturelle.
Pour lui, l’immigration massive ne peut ni corriger le vieillissement ni compenser l’effondrement des naissances ; elle en modifie la structure sans résoudre la cause. Dans cet entretien, il revient sur les succès revendiqués par Budapest — hausse des mariages, baisse des divorces, soutien fiscal aux mères — et insiste sur un principe : la démographie est devenue un enjeu géopolitique majeur. À ses yeux, seule une stratégie régionale enracinée dans les valeurs européennes traditionnelles permettra de contrer l’effacement civilisationnel et de restaurer la confiance des jeunes générations.
Breizh-info.com : De votre point de vue, quel est le principal défi démographique auquel l’Europe centrale est confrontée aujourd’hui ?
Dr. Mészáros Árpád József : Le principal défi démographique auquel l’Europe centrale est confrontée est d’ordre structurel. L’un des défis les plus importants est la baisse spectaculaire du nombre de femmes en âge de procréer. En Hongrie, par exemple, la population des femmes âgées de 20 à 39 ans a diminué de près d’un quart entre 2002 et 2022, et cette tendance est évidente dans toute la région. Nous ne pouvons ignorer cette réalité. Dans le même temps, les jeunes adultes sont confrontés à une instabilité sans précédent : guerre dans notre pays voisin, crises énergétiques et économiques, et conséquences psychologiques de la pandémie. Bien que l’inflation en Hongrie soit passée de 18 % à environ 4 % en 2025, il est difficile de lutter contre le sentiment d’incertitude. C’est dans ce contexte que les jeunes doivent décider de fonder une famille.
La crise démographique en Europe centrale n’est pas due à un manque de désir d’avoir des enfants. En Hongrie, comme le montre également l’étude KINCS, les jeunes souhaitent généralement avoir plus d’un enfant, au moins deux. Si cela ne se produit pas au niveau sociétal, c’est en raison de la diminution des cohortes de naissance, de l’augmentation du nombre de personnes sans enfant, du report de la fondation d’une famille et du climat géopolitique fragile. Notre tâche consiste à supprimer les obstacles, à rétablir la prévisibilité et à reconstruire la confiance afin que les jeunes se sentent suffisamment en sécurité pour avoir des enfants avant qu’il ne soit trop tard sur le plan biologique.
Breizh-info.com : La Hongrie est souvent décrite comme un « laboratoire de la politique favorable à la famille ». Quelles mesures concrètes ont eu le plus d’impact ?
Dr. Mészáros Árpád József : Il est très agréable d’entendre que l’exemple hongrois est reconnu de cette manière. La politique familiale de la Hongrie, le système de soutien aux familles, repose sur cinq piliers principaux : 1. Être parent doit être financièrement avantageux ; 2. Les familles doivent bénéficier d’une aide pour l’accession à la propriété ; 3. La politique familiale doit être axée sur les mères ; 4. Tous les aspects de la vie du pays doivent être rendus favorables aux familles ; 5. Les familles et les enfants doivent être protégés par la loi. Les familles, en particulier les mères, doivent bénéficier de tout le soutien nécessaire pour concilier vie professionnelle et vie privée.
C’est pourquoi notre politique familiale comprend plus de 30 mesures visant à aider les parents et les familles à atteindre ces objectifs. Plusieurs mesures se sont révélées particulièrement efficaces :
1) Stabilité financière :
- Le plus grand programme européen de réduction d’impôt pour les familles : l’abattement fiscal pour les familles a doublé et, d’ici 2029, jusqu’à un million de mères seront totalement exonérées de l’impôt sur le revenu des personnes physiques.
- Le programme « CSED100 » garantit aux mères le versement de 100 % de leur salaire antérieur pendant leur congé de maternité. À partir de 2025, ce revenu sera entièrement exonéré d’impôt sur le revenu, ce qui signifie que le revenu net sera supérieur au salaire net antérieur pendant six mois.
- Le gouvernement dépense désormais cinq fois plus pour les familles qu’en 2010 ; le budget 2026 alloue un montant sans précédent de 4 800 milliards de forints (5 % du PIB).
2) Aide au logement :
- Grâce au programme d’accession à la propriété, une famille sur deux avec des enfants a reçu une aide pour acheter un logement, et une sur trois a reçu une aide pour en rénover un, grâce à des mesures telles que la subvention pour le logement familial (CSOK) ou la subvention et/ou le prêt pour le logement rural, et le prêt pour la rénovation de logement.
- Le nouveau programme Home Start, qui propose un prêt fixe à 3 %, apporte un soutien supplémentaire aux jeunes couples qui souhaitent devenir propriétaires, ce qui est un facteur important dans une région où la propriété d’un logement est culturellement associée à la fondation d’une famille.
3) Équilibre entre vie professionnelle et vie privée :
- Le nombre de places en crèche a plus que doublé, passant de 32 000 à plus de 70 000, et les services de crèche se sont étendus de 326 à 1 253 municipalités.
- L’emploi des femmes est passé de 59 % à 77 %, ce qui représente la deuxième plus forte augmentation de l’UE.
- La flexibilité des conditions de travail et la disponibilité des services de garde d’enfants aident les mères à réintégrer plus rapidement le marché du travail.
4) Stabilité du mariage et de la famille :
De 2010 à 2024,
- le nombre de mariages a augmenté de 31 % ; les divorces ont atteint leur plus bas niveau en 60 ans ;
- 76 % des enfants naissent désormais dans le cadre du mariage ;
- le nombre d’avortements a diminué de moitié dans le cadre du mariage et de deux tiers en dehors du mariage.
Ensemble, ces mesures incarnent un principe simple : en Hongrie, fonder une famille apporte des avantages, et non des inconvénients.
Breizh-info.com : Pourquoi l’immigration à grande échelle n’est-elle pas une réponse durable au déclin démographique ?
Dr. Mészáros Árpád József : C’est parce qu’elle ne s’attaque pas aux causes profondes du déclin démographique, telles que les attentes culturelles, les grossesses tardives et l’insécurité économique. Les données statistiques provenant d’Europe occidentale montrent que l’immigration à grande échelle peut modifier la composition des naissances plutôt que le taux de fécondité. L’analyse des données d’Eurostat nous apprend qu’en France, par exemple, un nouveau-né sur quatre a une mère née à l’étranger, et seulement un tiers environ des bébés ont des parents nés en France. La Hongrie estime que le renouveau démographique doit venir de l’intérieur, du renforcement de nos propres familles, de nos communautés et de la continuité culturelle. Les migrations à grande échelle comportent des risques importants. Par exemple : tensions sociales et sociétés parallèles, défis d’intégration à long terme, érosion de la cohésion culturelle et vulnérabilités géopolitiques. L’histoire de l’Europe centrale nous enseigne une leçon claire : la politique démographique doit renforcer la souveraineté, et non la diluer.
Breizh-info.com : Comment la politique familiale renforce-t-elle la souveraineté nationale ?
Dr. Mészáros Árpád József : Une nation incapable de se reproduire devient dépendante d’acteurs extérieurs, tant sur le plan économique et politique que culturel, ce qui affaiblit sa souveraineté. Le gouvernement hongrois est fermement convaincu que des familles solides renforcent la stabilité et l’autonomie de la main-d’œuvre, réduisent la dépendance vis-à-vis des flux démographiques externes et contribuent à une plus grande résilience nationale et à une meilleure solidarité intergénérationnelle. Un pays qui investit dans ses familles est mieux à même de protéger son identité. La politique familiale n’est pas seulement une question de politique sociale, c’est aussi une question de souveraineté nationale et de stratégie géopolitique.
Breizh-info.com : Comment évaluez-vous la tension entre les politiques familiales nationales et les agendas idéologiques au niveau de l’UE ?
Dr. Mészáros Árpád József : Un fossé croissant apparaît entre les identités constitutionnelles nationales et les ambitions idéologiques supranationales. Des questions telles que la migration, le genre et les nouveaux modèles familiaux sont devenues des champs de bataille dans la politique de l’UE. En tant que juriste, je tiens à souligner que la politique familiale relève de la compétence nationale. Elle doit refléter les fondements culturels, constitutionnels et historiques de chaque État. L’uniformité dans des domaines aussi sensibles n’est ni réaliste ni démocratique. La position de la Hongrie est claire : les parents ont le droit prioritaire d’éduquer leurs enfants. Le référendum hongrois de 2022, au cours duquel 3,7 millions de citoyens ont rejeté l’idéologie du genre, a démontré un consensus social écrasant. L’Europe doit retrouver le pluralisme en acceptant que différentes nations aient des points de vue différents. Dans le même temps, nous devons défendre nos valeurs dans toutes les instances européennes.
Breizh-info.com : Le taux de fécondité de la Hongrie est passé de 1,23 à 1,59 en 2023. Quels enseignements la Slovaquie et la Pologne peuvent-elles en tirer ?
Dr. Mészáros Árpád József : Chaque pays a sa propre situation démographique, de sorte que les solutions peuvent également être uniques. Cependant, certains enseignements généraux peuvent être tirés : Premièrement, nous pensons qu’un renversement démographique nécessite 10 à 15 ans de mesures stables et prévisibles. Depuis 2010, la Hongrie a élargi ses mesures de politique familiale à plus de 30 et les adapte lorsque cela est nécessaire. Deuxièmement, le système fiscal d’un pays doit récompenser le mariage et l’éducation des enfants, et ne doit pas traiter les individus et les familles de manière neutre. Troisièmement, nous avons observé que la question du logement est particulièrement importante en Hongrie. En Europe centrale, les jeunes fondent rarement une famille sans avoir un logement sûr. Les aider à acheter leur première maison pourrait influencer leur décision d’avoir des enfants. Enfin, le renouveau démographique ne consiste pas à forcer les gens à avoir des enfants, mais à supprimer les obstacles afin qu’ils puissent avoir autant d’enfants qu’ils le souhaitent, et à offrir aux mères le choix de rester à la maison avec leurs jeunes enfants aussi longtemps qu’elles le souhaitent ou de retourner au travail quand elles le souhaitent.
Breizh-info.com : Comment voyez-vous la relation entre l’anthropologie chrétienne et une politique démographique durable ?
Dr. Mészáros Árpád József : Dans l’anthropologie chrétienne, les êtres humains ne sont pas des individus isolés, mais des êtres créés pour vivre en relation avec les autres. Cette vision souligne que l’épanouissement humain repose sur la loyauté, l’appartenance à une communauté et la continuité entre les générations successives. En d’autres termes, il s’agit de solidarité intergénérationnelle. Ce sont précisément ces qualités qui font défaut aux sociétés modernes et dont elles ont désespérément besoin. L’anthropologie chrétienne n’est donc pas une idéologie, mais plutôt une position fondamentale basée sur le concept d’humanité. Elle affirme que la famille est une communauté naturelle dans laquelle l’amour et le sacrifice de soi ne sont pas des fardeaux, mais l’aspect le plus profond de l’existence humaine. Cette vision implique également qu’une politique démographique durable ne peut se limiter à un soutien financier. En fait, elle fonctionne lorsqu’une société valorise la maternité et la paternité, reconnaît la famille comme une communauté naturelle, renforce l’engagement conjugal et respecte la dignité humaine à tous les stades. Ces principes sont profondément enracinés dans la culture d’Europe centrale, bien au-delà de la pratique religieuse. Ils offrent une alternative centrée sur l’humain à l’individualisme, à l’atomisation et à la fragmentation sociale. Par conséquent, le lien entre l’anthropologie chrétienne et une population durable est indéniable.
Breizh-info.com : Une stratégie démographique commune à l’Europe centrale est-elle en train d’émerger ?
Dr. Mészáros Árpád József : Je suis optimiste, j’aimerais donc croire qu’elle est effectivement en train d’émerger. Un consensus régional clair se dégage des conférences et des dialogues politiques, notamment des récentes discussions qui ont eu lieu à Bratislava en novembre 2025. Ce consensus porte sur des valeurs telles que i) le soutien au mariage et aux familles stables ; ii) un scepticisme sain à l’égard de l’immigration massive ; iii) l’engagement en faveur de la continuité culturelle et iv) la prise de conscience de la démographie comme atout géopolitique. Alors que l’Europe occidentale dépend de plus en plus du remplacement externe de sa population, l’Europe centrale poursuit son renouveau de l’intérieur. Ces deux modèles divergent, et l’Europe centrale a de plus en plus confiance en sa propre approche.
Breizh-info.com : Vous soulignez souvent l’importance de la paternité. Qu’est-ce qui a changé ?
Dr. Mészáros Árpád József : Les recherches sur la paternité en Hongrie montrent un changement culturel important : les jeunes pères sont plus présents et plus engagés émotionnellement et jouent un rôle actif dans l’éducation des enfants. La société reconnaît de plus en plus le rôle irremplaçable des pères dans la santé mentale et le développement des enfants. Nos recherches montrent que les Hongrois ont généralement des relations positives avec leur père, ce qui est une force culturelle. Le discours public célèbre la paternité, s’éloignant du stéréotype du père distant ou purement matérialiste. Les décideurs politiques conservateurs devraient promouvoir l’idée d’une paternité responsable, aimante et profondément impliquée, non pas comme une alternative à la maternité, mais comme un complément à celle-ci.
Breizh-info.com : Les détracteurs affirment que les politiques favorables à la famille sont coûteuses. Que répondez-vous à cela ?
Dr. Mészáros Árpád József : C’est vrai. Elles sont coûteuses. Cependant, les conséquences d’un effondrement démographique seraient bien plus coûteuses. Les conséquences économiques de la baisse du taux de natalité, telles que la diminution de la main-d’œuvre, l’insoutenabilité des systèmes de retraite et l’augmentation des coûts des soins de santé, ainsi qu’une crise culturelle et identitaire, dépassent de loin le coût ou le prix du soutien aux familles. Mais s’agit-il vraiment d’un coût ? À partir de 2026, la Hongrie investira environ 5 % de son PIB dans les familles, ce qui est l’un des pourcentages les plus élevés d’Europe. Il ne s’agit pas seulement d’une « dépense », mais d’un investissement dans l’avenir à long terme de notre nation, dans nos familles qui sont les éléments constitutifs les plus importants de notre société. Si les taux de fécondité étaient restés à leur niveau le plus bas de 2011, la Hongrie compterait aujourd’hui 220 000 enfants de moins. Avec moins de 10 millions d’habitants, aucune société ne peut absorber une telle perte démographique sans subir de graves conséquences économiques et sociales. Enfin, nous ne considérons pas les enfants et les familles comme un coût, mais comme la seule source de croissance future. C’est pourquoi l’acronyme du nom de notre institut, KINCS, signifie « trésor » en hongrois.
Breizh-info.com : Les institutions européennes peuvent-elles respecter les modèles nationaux de famille et d’identité ?
Dr. Mészáros Árpád József : Elles le peuvent si elles reviennent au principe de subsidiarité. La force de l’Europe réside dans sa diversité. Les cultures familiales des régions nordiques, méridionales, occidentales et centrales diffèrent profondément. Les tentatives d’imposer des programmes idéologiques uniformes sapent la confiance et creusent les divisions. La Hongrie continuera à défendre : son identité constitutionnelle, son modèle pro-familial, sa vision des droits parentaux et son approche culturelle de l’éducation des enfants. Une Europe pluraliste doit laisser une place aux nations qui choisissent une voie conservatrice centrée sur la famille.
Breizh-info.com : Quel message adresseriez-vous aux jeunes Européens inquiets pour l’avenir de leur civilisation ?
Dr. Mészáros Árpád József : Je leur dirais de ne pas se laisser décourager. L’Europe a survécu à des crises bien plus graves que celle à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui. Ce qui l’a toujours soutenue, ce sont les familles qui croient en l’avenir. Votre mariage, vos enfants et votre engagement ne sont pas seulement des choix privés, mais des actes de courage civique. Une civilisation perdure lorsque ses jeunes choisissent la vie plutôt que la peur.
Propos recueillis par YV
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