Opéras régionaux : un gouffre culturel mal piloté, selon la Cour des comptes

Un rapport publié le 17 juin 2025 par la Cour des comptes pointe du doigt les dérives financières, les déséquilibres territoriaux et l’inefficience de la politique culturelle en matière d’opéra en région. Si la France dispose d’un réseau riche de maisons d’opéra régionales, l’État et les collectivités locales peinent à coordonner leurs efforts, entraînant gaspillage d’argent public, gouvernance brouillonne et fractures territoriales croissantes.

Une politique de l’opéra « en déséquilibre »

Le rapport s’appuie sur l’analyse de 14 maisons d’opéra en régions, toutes labellisées « opéras nationaux » ou « scènes lyriques ». On y apprend que la politique culturelle de l’opéra souffre d’un manque de vision stratégique globale. L’État finance à hauteur de 102 millions d’euros ces établissements, via les DRAC (Directions régionales des affaires culturelles), auxquels s’ajoutent plus de 135 millions d’euros de subventions des collectivités territoriales. Pourtant, la coordination entre ces acteurs demeure lacunaire, voire inexistante.

Le déséquilibre territorial est criant : certaines régions, comme la Bretagne, n’abritent aucun opéra labellisé, tandis que d’autres concentrent les moyens et les structures (Normandie, Hauts-de-France, Auvergne-Rhône-Alpes). Cette inégalité remet en cause l’égalité d’accès à la culture, pourtant affichée comme priorité républicaine.

Une gouvernance floue, aux responsabilités diluées

Le rapport dénonce la complexité et la confusion qui règnent dans la gouvernance des maisons d’opéra. Le ministère de la Culture affirme pourtant en être le pilote. En réalité, les collectivités territoriales en assurent la gestion quotidienne, souvent sans ligne directrice commune. Résultat : des projets culturels peu lisibles, des stratégies divergentes et une absence de contrôle effectif sur l’efficacité de l’action publique.

Autre grief : la non-reconnaissance du statut de « service public » pour les opéras, pourtant lourdement subventionnés. Cela prive ces établissements de toute véritable évaluation d’impact ou d’exigence de résultat. Le soutien public devient ainsi une sorte de rente artistique, peu conditionnée à des obligations de diffusion ou d’ouverture.

Coûts démesurés, fréquentation en berne

Si les dépenses explosent, la fréquentation, elle, reste en retrait. Les maisons d’opéra peinent à remplir leurs salles, malgré une programmation diversifiée. Le public demeure principalement âgé, urbain et aisé — loin de la promesse d’une culture accessible à tous.

La Cour constate par ailleurs que les maisons d’opéra ont peu développé de solutions pour élargir leur audience, que ce soit par la diffusion numérique, les tournées hors des grandes villes, ou des actions de médiation réellement efficaces. Le rapport suggère que trop peu d’efforts sont faits pour toucher les jeunes, les classes populaires ou les zones rurales.

Quelle place pour les artistes et les territoires ?

La Cour met en lumière une autre fragilité : la faiblesse des compagnies artistiques locales dans la création lyrique. Trop souvent, les maisons d’opéra préfèrent faire appel à des productions extérieures coûteuses, au détriment de la scène locale. Le lien avec les territoires reste donc fragile, malgré les discours officiels sur l’ancrage régional.

Par ailleurs, les enjeux patrimoniaux sont peu pris en compte : plusieurs bâtiments historiques sont mal entretenus, et le patrimoine architectural de ces lieux n’est pas valorisé.

Des recommandations fermes mais timides

Face à ces constats sévères, la Cour des comptes formule plusieurs recommandations :

  • une meilleure coordination entre l’État et les collectivités,
  • une évaluation plus stricte de l’utilité publique des subventions,
  • une clarification des missions des maisons d’opéra,
  • une plus grande transparence dans les budgets et les objectifs.

Mais le rapport reste prudent sur les remises en cause fondamentales, comme celle de la pertinence de maintenir autant de structures coûteuses, ou sur l’idéologie du « tout subvention » dans un contexte de crise budgétaire.

Derrière ces constats techniques, se dessine une fracture plus large : celle entre une culture élitiste, urbaine, ultra-subventionnée, et les besoins culturels réels des Français. À l’heure où des centaines de festivals locaux ou de petites structures peinent à survivre, la concentration de moyens sur des opéras fréquentés par une minorité soulève des questions.

La Cour des comptes aura eu le mérite de le rappeler : on ne saurait défendre la culture en la figeant dans des bastions coûteux et mal répartis, coupés du réel et de la diversité des aspirations populaires.

Crédit photo  : DR
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