La droite que Le Monde n’avait pas vue venir

Je lisais Le Monde au bar des Brisants, face au port de Lechiagat, entre deux averses d’octobre, un de ces jours où la mer a des reflets de fer. Sur petite terrasse, sous une vigne fatiguée et où les chaises de couleurs se résignaient à faire de la figuration sous la pluie, et je feuilletais sans curiosité apparente les pages politiques du grand quotidien parisien. Soudain, deux articles retinrent mon attention. Le premier signé Guillaume Sainteny, secrétaire général de la Fondation Jean-Jaurès, le second de Brice Teinturier, directeur général délégué d’IPSOS. Tous deux commentaient le baromètre annuel sur les affinités partisanes. Et pour la première fois, à ma grande surprise, Le Monde semblait s’incliner devant la réalité qu’il niait depuis quarante ans : la France s’est droitisée, non par accident, mais par maturation.

Le mot même de « droitisation », naguère brandi comme une injure, prend aujourd’hui la valeur d’un constat sociologique. Les Français ne se sentent plus « proches » des formations issues du progressisme, mais du Rassemblement national, ce parti qu’on leur a présenté si longtemps comme le paria de la République. Non seulement il est celui auquel ils se déclarent « le plus proche ou le moins éloigné », mais il devance de très loin toutes les autres formations. Ce n’est plus une protestation, c’est une conversion lente, souterraine, irrésistible.

Depuis 1983, la gauche morale, relayée par le clergé médiatique, n’a cessé de diaboliser ce qu’elle ne comprenait pas. Elle croyait pouvoir tenir le réel à distance par la conjuration verbale. Les « dérapages », les « relents », les « ambiguïtés » : toute une liturgie d’exorcismes qui, à force d’être récités, ont fini par ne plus rien conjurer. Les Français, eux, ont continué de vivre. Ils ont vu leurs usines fermer, leurs villes changer, leurs quartiers se transformer. Ils ont vu leurs enfants quitter les campagnes, les loyers s’envoler, l’école s’effondrer, la langue se corrompre. À force de prêcher contre le passé, on a fabriqué une nostalgie politique. Et voilà qu’elle devient majorité.

L’étude d’IPSOS et de la Fondation Jean-Jaurès, en dépit du ton compassé de ses auteurs, est un aveu. 26 % des Français se disent proches du Rassemblement national, quand Renaissance plafonne à 8 %, et LFI à 6 %. Les écologistes, naguère auréolés de vertu, ne séduisent plus que 5 % des sondés. Ce n’est pas seulement une érosion, c’est un effondrement. Les Français ont compris qu’entre l’écologie punitive et le socialisme islamisant, il n’y a pas d’avenir, seulement la ruine de la prospérité et la perte du pays.

Ce que ces chiffres révèlent, au-delà de toute contingence électorale, c’est le renversement du rapport symbolique entre droite et gauche. Pendant des décennies, l’une incarnait la raison, la science, la marche de l’Histoire ; l’autre, l’émotion, la fidélité, le doute. Or voilà que la situation s’est inversée. La droite est redevenue le lieu de la réalité, la gauche celui du fantasme. On ne gouverne pas un peuple avec des slogans, ni avec des injonctions morales. Le peuple, ce mot que les progressistes n’emploient plus qu’avec condescendance, est rentré dans l’Histoire par la porte qu’ils avaient laissée ouverte : celle de la colère.

Les sociologues du Monde s’étonnent de voir les sympathisants des Républicains si proches de ceux du RN sur l’autorité, l’immigration, l’école et même l’écologie. Qu’y a-t-il là d’étonnant ? C’est la conséquence logique d’un long travail de redéfinition du champ intellectuel mené depuis plus d’un demi-siècle. Car si la France s’est droitisée, c’est aussi parce que les idées de droite ont retrouvé, grâce à un patient effort de reconstruction, une cohérence métapolitique.

Il faut ici rappeler un nom que Le Monde feint d’ignorer : Alain de Benoist. Dès la fin des années 1960, la Nouvelle Droite, autour du GRECE et de la revue Éléments, entreprit de saper la domination intellectuelle du marxisme culturel et de l’universalisme abstrait. En substituant au progressisme linéaire une vision différentialiste du monde, elle a redonné une légitimité philosophique à l’idée de frontière, d’identité, de continuité historique. Ce n’était pas un programme électoral, mais une reconquête de la pensée. Et comme l’histoire le prouve souvent, la politique finit toujours par rejoindre la philosophie.

Ce patient travail, mené dans les marges, a préparé le terrain à la réconciliation du peuple avec son instinct de survie. Pendant que les éditorialistes prêchaient l’ouverture et la repentance, des hommes lisaient Spengler, Jünger, Carl Schmitt, Guillaume Faye. Ils comprenaient que la décadence n’est pas une fatalité, mais une invitation à renaître. Et cette renaissance, lente, organique, se manifeste aujourd’hui dans les urnes.

À ce mouvement souterrain, un nom moderne est venu donner visage et voix : Éric Zemmour. Sans lui, le débat public serait resté enfermé dans le piège moral où la gauche tenait la droite captive depuis Mitterrand. En osant parler de l’identité, de la démographie, de la civilisation, il a brisé le mur du silence. Il a réhabilité le droit des nations à se défendre, le droit des peuples à durer. Sa candidature de 2022, bien qu’infructueuse électoralement, fut décisive historiquement : elle a déplacé le centre de gravité du débat, et rendu impossible le retour à l’ancien ordre du discours.

Zemmour, en quelque sorte, a servi de chien de garde du réel. Là où d’autres cherchaient à arrondir les angles, à lisser la parole, il a maintenu l’exigence. Par sa seule existence politique, il empêche le Rassemblement national de dériver vers une fade « droite sociale » sans colonne vertébrale. Il rappelle à chacun, y compris à Marine Le Pen, que l’identité précède l’économie, que la France ne se sauvera ni par les primes ni par les slogans, mais par la restauration de son âme. En cela, il joue pour la droite ce que Bernanos fut jadis pour la foi : un veilleur, parfois excessif, mais indispensable.

On pourrait dire, pour paraphraser Moeller van den Bruck, que les Français cherchent leur « Troisième Parti » : ni celui des capitaux, ni celui des sermons, mais celui de la continuité historique. Ce n’est pas un hasard si la génération montante, désabusée par la morale écologique et l’agitation communautaire, regarde du côté du RN. Elle ne cherche pas la gloire, mais la stabilité, pas la réforme, mais la protection.

Les auteurs du Monde notent d’ailleurs, non sans un certain embarras, que la proportion de Français se plaçant « à droite » ou « très à droite » atteint désormais 41 %, contre 18 % « à gauche » ou « très à gauche ». La gauche, pour la première fois depuis un demi-siècle, devient minoritaire dans la perception qu’ont les Français d’eux-mêmes. Cette mutation ne s’explique ni par les médias, ni par les réseaux sociaux : elle vient du réel. On ne peut pas éternellement dire à un peuple qu’il n’a pas vu ce qu’il voit, qu’il ne doit pas ressentir ce qu’il ressent, qu’il doit aimer ce qui le menace.

Ainsi, l’écologie politique est devenue l’un des principaux repoussoirs du pays. Non parce que les Français se moqueraient du climat, mais parce qu’ils y voient un instrument de contrôle, de taxation, de culpabilisation. Quant à LFI, elle incarne désormais, dans l’imaginaire collectif, non la justice sociale mais la désagrégation nationale. D’un côté, la répression verte du mode de vie ; de l’autre, la soumission rouge à l’islam politique.

Face à cela, le Rassemblement national est apparu, sans doute malgré lui, comme le dernier refuge d’un ordre possible. Non pas la nostalgie, mais la normalité. C’est ce qu’auraient dû comprendre plus tôt les stratèges de la bourgeoisie macronienne : le peuple ne rêve pas d’utopie, il demande qu’on lui fiche la paix.

Au fond, ce double article du Monde marque un tournant discret. La classe médiatique, qui vivait jusque-là dans une bulle morale, découvre, stupéfaite, que la France qu’elle prétendait éclairer s’est éloignée d’elle. Que le pays réel, celui des salaires modestes, des factures d’électricité, des repas de famille, des petits commerces, ne lui ressemble plus. Que les lecteurs du Monde, vieillissants et métropolitains, ne sont plus représentatifs de la nation.

Le verbe « constater » est, chez eux, une forme d’abdication. Ils n’expliquent plus, ils notent. Le monde réel leur a échappé, comme la marée qui se retire sans bruit. L’évidence finit toujours par dissoudre les dogmes. L’histoire, elle aussi, a son reflux.

Et c’est peut-être cela, le véritable événement politique de notre temps : que le peuple français, lassé d’être sermonné, retrouve dans la droite, fût-elle dite extrême, la simple dignité d’exister.

Balbino Katz, chroniqueur des vents et des marées

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5 réponses à “La droite que Le Monde n’avait pas vue venir”

  1. Pierre dit :

    À dire vrai, si c’est roquets ne disent plus que le RN est une menace à proprement parler, c’est qu’il ne l’est plus, autrement dit qu’il a été asseptisé. Tout le reste n’est qu’habillage d’intellectuels pour faire passer la pilule de la dédiabolisation dans les cercles où les réflexes pavloviens de ceux qui servent d’élite tiennent lieu de raison!

  2. Francois Unger dit :

    Cher Monsieur,
    Merci pour cette réflexion lucide, bien exprimée et qui a le mérite d’éviter les caricatures habituelles du discours politique. Même si je suis loin du magnifique pays Bigouden, je connais son éloignement géographique qui lisse l’esprit de révolte des citoyens et le relativise plus qu’ailleurs. Votre prise de position est d’autant plus remarquable : en fait il faut être de la périphérie pour voir correctement le centre. Bravo !
    Je prendrai bien un café avec vous à Léchiagat ou l’Ile Tudy même si je dois faire 800 kms pour cela. Avec plaisir. Vous avez mon mail… donnez moi rendez vous !

  3. Balbino Katz dit :

    Avec plaisir cher François.

  4. guillemot dit :

    C’est face à la catastrophe imminente que le peuple se réveille lorsqu’il prend conscience de sa mort annoncée.Hypnotisé , il n’a pas voulu écouter les voix qui la prophétisaient . Espérons qu’il ne soit pas trop tard.

  5. lg dit :

    Bravo ! et c’est joliment écrit.

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