Depuis des décennies, le projet européen avance sur une ligne de fracture mal assumée. D’un côté, une technocratie convaincue que l’avenir du continent passe par l’effacement progressif des nations – la France républicaine et universaliste ayant été parmi les premières à broyer les nations vivant en hexagone pour tenter de constituer une nation artificielle.
De l’autre, des peuples attachés à leurs langues, à leurs mémoires, à leurs territoires, qui perçoivent cette dynamique comme une dépossession. Ce malentendu structurel explique en grande partie l’essoufflement politique de l’Europe et l’hostilité croissante qu’elle suscite.
Les promoteurs d’une Europe abstraite, dignes fils de cette France dites « des lumières », ont fait de l’identité régionale, nationale un obstacle, un archaïsme à dépasser, voire une pathologie à corriger. À leurs yeux, l’attachement à une patrie, à une histoire particulière, à des traditions héritées, relèverait d’un réflexe irrationnel, incompatible avec un ordre continental fondé sur la seule rationalité économique et juridique. Cette vision, pourtant, se heurte au réel. Aucun ensemble politique durable ne peut se construire sans sentiment d’appartenance partagé. Et en Europe, ce sentiment passe d’abord par les nations.
À l’inverse, une partie des courants nationalistes se replient sur une logique défensive et fragmentée, refusant toute forme de construction commune au nom de la souveraineté, une souveraineté qu’ils refusent parfois pour les peuples qui vivent sur le même territoire (il suffit de voir le jacobinisme du RN vis à vis de nos régions, lui même qui dénonce la perte de souveraineté au niveau européen). Cette posture ignore cependant un fait central : dans un monde dominé par des blocs continentaux, des puissances démographiques et des acteurs économiques globaux, le petit État européen isolé n’a plus les moyens de peser. Ni militairement, ni économiquement, ni culturellement. Ce refus de penser l’échelle européenne affaiblit précisément ce que ces courants prétendent défendre.
La contradiction n’est pourtant pas insoluble. Elle repose sur une erreur de perspective : croire que nation et Europe seraient par nature antagonistes. L’histoire démontre l’inverse. Le continent européen s’est construit comme un espace singulier où des peuples enracinés, dotés de fortes identités historiques, ont coexisté, se sont affrontés parfois, mais ont aussi forgé un socle civilisationnel commun. C’est cette pluralité structurée qui fait l’Europe, non son effacement.
L’identité européenne repose sur deux piliers indissociables. Le premier est l’enracinement : un territoire, une mémoire collective, une continuité historique, des ethnies proches. Sans cela, il n’y a pas de peuple, seulement des individus atomisés. Le second est l’idée de liberté civique : la volonté de vivre en citoyens responsables, au sein d’une communauté politique consciente d’elle-même. Sans ce second pilier, l’enracinement dégénère en domination ou en autoritarisme. Ensemble, ils ont permis l’émergence d’un modèle européen original.
C’est cette articulation qui a rendu possibles les grandes constructions sociales, politiques et culturelles du continent. Les nations ont servi de matrice à la démocratie, à la séparation du religieux et du politique, à l’idée d’égalité civique, à la solidarité collective. Chaque peuple de notre civilisation a contribué, à sa manière, à cet héritage commun. Les grands événements nationaux européens n’ont jamais été de simples épisodes locaux : ils ont irradié bien au-delà de leurs frontières.
Les révolutions, les résistances, les luttes pour la liberté, mais aussi les grandes défenses civilisationnelles face aux menaces extérieures, constituent une mémoire partagée. De l’Europe médiévale aux combats contemporains à ses frontières orientales, le continent s’est forgé dans l’épreuve. Ces moments ne dissolvent pas les nations ; ils les relient.
Il en va de même pour les traditions populaires, religieuses ou mythologiques, souvent moquées par les élites modernes. Elles forment pourtant un tissu symbolique commun, décliné selon les peuples, mais reposant sur des archétypes semblables : le rapport au sacré, aux saisons, au bien et au mal, à la communauté. L’Europe n’est pas une page blanche, mais une superposition de couches culturelles païennes, romaines et chrétiennes, encore vivantes.
Les inquiétudes actuelles des Européens ne sont pas des fantasmes. Elles traduisent un sentiment diffus de perte : insécurité, délitement des normes, effacement des repères culturels, affaiblissement de la parole libre, fragilisation démocratique. Ce malaise est souvent disqualifié comme intolérance, alors qu’il exprime avant tout la peur de voir disparaître un mode de vie patiemment construit.
En niant cette angoisse, en méprisant l’attachement aux nations, une partie du camp européiste s’est coupée des peuples. Pire, en promouvant une vision hyper-individualiste de l’identité, réduite à l’auto-définition subjective, elle a vidé le projet européen de toute substance collective. Une Europe qui refuse aux peuples le droit d’aimer ce qu’ils sont ne peut susciter ni loyauté ni engagement.
À l’inverse, une Europe conçue comme outil de protection des nations retrouve un sens politique. Protection des cultures, des traditions, des espaces publics, de la sécurité, de la souveraineté civilisationnelle. Dans plusieurs pays situés aux marges du continent, cette évidence est déjà acquise : l’Europe y est perçue comme un rempart permettant aux nations de survivre, non de disparaître.
Le défi n’est donc pas de dépasser les nations, mais de les articuler dans un cadre de puissance commune. Cela implique des compromis, des renoncements partiels, une vision stratégique à long terme. Mais le coût de l’inaction serait bien plus élevé. Dans un monde qui se réorganise brutalement, le continent ne peut se permettre ni la fragmentation, ni l’utopie désincarnée.
L’avenir de l’Europe, dépend de sa capacité à redevenir une maison commune pour des peuples libres, enracinés et conscients de leur destin partagé. Ce n’est qu’en assumant cette réalité que l’idée européenne pourra retrouver une force politique, affective et historique. Non contre les nations, mais par elles.
YV
[cc] Article rédigé par la rédaction de breizh-info.com et relu et corrigé (orthographe, syntaxe) par une intelligence artificielle.
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