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L’effacement du politique. La philosophie politique et la genèse de l’impuissance politique de l’Europe.

Architecte, urbaniste, diplômé en psychopathologie et en histoire Pierre Le Vigan est l’auteur de plusieurs livres et a participé à plusieurs ouvrages collectifs dont le Liber amicorum Alain de Benoist (2003 et 2014). Il vient de publier L’Effacement du politique / La philosophie politique et la genèse de l’impuissance de l’Europe.

Impuissance et inexistence de l’Union européenne

Le livre de Pierre Le Vigan est consacré au nihilisme qui sévit dans l’Union européenne à un tel point que toute référence à une identité autre qu’individuelle y est interdite ; or, comme l’écrit l’auteur, il ne peut y avoir de politique en l’absence d’identité collective. C’est sans doute la raison pour laquelle cette Union, qui se veut la seule patrie des droits de l’homme, est incapable d’avoir quelque politique que ce soit :

« Partons de la situation que nous connaissons, en Europe. Notre continent est sans existence politique, sans volonté, sans défense. Un embryon de gouvernement européen existe, mais en fait, ce sont des équipes de technocrates. Le pouvoir européen n’a pas de légitimité démocratique. Il n’a pas non plus acquis une légitimité par son efficacité. Il a beaucoup réglementé mais n’a guère construit. Il est de plus en plus contesté par les peuples (…) Le pouvoir européen prétend faire de l’économie, mais pas de politique. En conséquence, en politique internationale l’Europe n’existe pas. Elle agit, quand elle agit, en éclaireur de la superpuissance américaine. »

Et il ajoute : « Elle n’existe pas pour plusieurs raisons. Pour exister, il faut être porteur d’une certaine idée de soi. Or, l’Europe actuelle se veut d’abord universaliste. Sa seule identité serait d’être le réceptacle des identités des autres. » C’est le politique qui doit trancher.

 Pour Pierre Le Vigan, il n’y a pas d’essence de la culture européenne : « Il n’y a pas d’essence de la culture européenne. Il y a certes des traits communs à l’Europe : ce n’est pas une terre où l’islam ne s’est imposé autrement que par la force, lors des conquêtes de l’Empire ottoman, mais c’est aussi une terre où la christianisation ne s’est pas faite sans violence. L’Europe est une terre de grands philosophes, mais qui n’étaient en général d’accord sur rien. Ils n’ont en aucune façon développé une “philosophie européenne”, à moins d’appeler ainsi un champ de bataille intellectuelle. Il y a eu certes des créations littéraires spécifiques à l’Europe, telles celles d’Homère, mais sont-elles d’abord grecques ou d’abord européennes ? C’est là toute la question. N’est-il pas abusif (bien que séduisant) d’en faire l’emblème de l’Europe ?’ »

En effet, s’il est vrai qu’il n’y a pas plus proche d’un peuple européen qu’un autre peuple européen, il n’en reste pas moins vrai qu’il n’y a pas plus de culture européenne que de peuple européen. Les cultures des peuples européens se sont différenciées depuis fort longtemps (au moins depuis l’expansion des peuples indo-européens) mais elles ont conservé un air de famille parce qu’elles se sont influencées mutuellement quoique de manière inégale et partielle ; ce qui fait que les cultures européennes forment un patchwork assez harmonieux malgré l’existence de différences parfois importantes.

« Revenons à la définition de l’Europe par la “culture européenne”, c’est-à-dire à la thèse que les Européens sont tout d’abord des Européens, puis des Croates, des Finlandais, des Ecossais, des Danois, etc. Qu’est-ce qui caractérise cette culture européenne ? Nos “ancêtres” indo-européens ? Mais “indo-européen” désigne un groupe de langues bien plus qu’une race ou un groupe de peuples. Si l’appartenance au rameau (ethnique ou linguistique, qu’importe à ce stade) indo-européen est le critère, alors pourquoi ne pas intégrer à l’Europe Indiens, Sri-lankais (sauf les Tamouls), Afghans, Arméniens, et bien sûr Kurdes et Tziganes (Roms) ? Notons encore que l’un des principaux foyers des langues indo-européennes fut l’Anatolie, dans l’actuelle Turquie, ce qui décidément ne plaide pas pour une Turquie hors d’Europe. On se demande d’ailleurs pourquoi cette origine culturelle commune, puisqu’elle est censée exister et influer, ne produit pas une grande facilité d’intégration des Roms, authentiques indo-européens ? Tandis que nous constaterions d’incessantes difficultés d’intégration avec les Basques ou les Hongrois qui ne sont pas indo-européens ? A moins que ce critère d’indo-européanité n’ait finalement aucun sens actuel, et ne relève du simple plaisir de l’érudition. »

Il n’y a pas non plus d’essence religieuse de l’Europe, car s’il est vrai que le christianisme a marqué profondément la culture européenne, il n’en est pas moins vrai qu’il a éclaté en plusieurs rameaux qui se sont très souvent opposés de manière très violente. De plus, le christianisme n’est plus une caractéristique propre aux Européens parce qu’il a été adopté par de nombreuses populations dans le reste du monde ; il est impossible de le considérer comme étant la base d’une identité européenne et ce, d’autant plus que la déchristianisation progresse très régulièrement sur notre continent.

« Cette religion par définition universelle a essaimé hors d’Europe, sachant au demeurant qu’elle n’est pas née en Europe, et dès lors on ne voit pas très bien comment une culture européenne pourrait se définir principalement par rapport au christianisme devenu largement non européen. »

Existe-t-il une essence géographique de l’Europe qui imposerait l’union de tous les peuples vivant dans le territoire bordé par l’Atlantique, la mer du Nord, l’océan Arctique, l’Oural, le Caucase, les détroits et la Méditerranée ? Si oui, il faut considérer alors qu’une partie de la Turquie est européenne et que la partie de la Russie située au-delà de l’Oural ne l’est pas ; ce qui n’est pas très pertinent.

De même, il est impossible de faire de la démocratie, de l’idéologie des droits de l’homme ou des Lumières des éléments d’une essence européenne, car dans ce cas il faudrait considérer que les Turcs inspirés par la Révolution française, les Australiens et les Africains du Sud qui vivent dans des pays démocratiques sont aussi des Européens.

Pierre Le Vigan conclut très justement en disant que l’Europe ne peut être qu’une construction politique alors que la création de la CEE, puis celle de l’UE, ont été conçues dès l’origine comme une sortie du politique :« On a en quelque sorte voulu faire l’Europe non seulement pour sortir des guerres intra-européennes (et on n’y est même pas arrivé – voir les Balkans) mais pour sortir du politique. On constate au contraire que si l’Europe se fait, elle se fera par la politique et ni par l’économie ni par la culture. »

Vers l’Empire ?

Pierre Le Vigan conclut son livre en plaidant pour la création d’un « Empire européen » mais la notion d’Empire présente l’inconvénient de manquer de précision et de recouvrir des réalités très différentes. De l’Empire romain à l’Empire américain en passant par l’Empire de Charlemagne, le Saint-Empire romain germanique, l’Empire des Habsbourg, le deuxième et le troisième Reich, l’Empire napoléonien, celui de Napoléon III et les empires coloniaux, il y en a pour tous les goûts. Pierre Le Vigan conclut son livre en écrivant : « L’Empire c’est le nom ancien, et, pour mieux dire, c’est le nom de toujours du principe fédératif (…) Il faut ouvrir la voie à autre chose : l’association entre nos patries, la coopération sans l’uniformité, la souveraineté commune. Cela porte un nom, et c’est l’idée d’Empire, et cela repose sur un principe, c’est la subsidiarité, et c’est donc la fédération des peuples d’Europe. »

Pierre Le Vigan ne précise pas ce qu’il entend par fédération ni d’ailleurs s’il pense à une fédération de tous les peuples (ce qui semble ambitieux) ou de certains d’entre eux seulement (ce qui serait plus raisonnable). Par ailleurs, que la notion d’empire et celle de fédération soient synonymes ne va pas de soi. Ainsi Olivier Beaud a écrit que ce sont des notions radicalement différentes parce que les empires ont toujours été coercitifs :  « Par là, elle se distingue de la notion d’empire, qui agrège des unités politiques par la force et non par un consentement mutuel. »

Olivier Beaud distingue aussi la fédération, dans laquelle les peuples ne se fusionnent pas, de l’Etat fédéral qui est un Etat unitaire (dans lequel il n’y a pas une pluralité de communautés souveraines) respectant le principe « althusien » selon lequel les décisions doivent être prises au niveau le plus « bas » possible. Pierre Le Vigan écrit que l’Empire devra reposer sur le principe de subsidiarité et que la souveraineté deviendra commune mais Althusius, qui est le grand penseur de la subsidiarité, considérait que dans ce qu’il a appelé la « consociatio symbiotica », chacune des communautés associées conserve son entière souveraineté et délègue, sous condition, une partie seulement de celle-ci tout en en demeurant la seule détentrice (elle ne la partage pas) ; en conséquence, elle conserve la possibilité de mettre un terme à cette délégation.

Alors, fédération, empire, confédération, état fédéral ou alliance interétatique ? Il y a là un sujet pour un ouvrage passionnant.

 Bruno Guillard

Pierre Le Vigan, L’Effacement du politique / La philosophie politique et la genèse de l’impuissance de l’Europe, préface d’Eric Maulin, éditions La Barque d’Or, 164 pages.

Source : Polémia

 Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2014, dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine.

 

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2 réponses à “L’effacement du politique. La philosophie politique et la genèse de l’impuissance politique de l’Europe.”

  1. kervidiern dit :

    Pierre Le Vigan a écrit aussi :

    « Le politique est une instance, il lui faut une substance. » (…) « Dans l’Europe actuelle l’unique a été privilégié sur le commun (ainsi pour la monnaie). Pire : l’uniformité de l’unique a tué le commun. »
    « Faut-il choisir le retour à nos vieilles nations contre l’Europe ? Cela ne parait pas durablement possible. Qui peut penser que nos nations soient vraiment à l’échelle des grands empires du monde : USA, Chine, Inde, Brésil…? Faut-il alors construire une nation européenne, l’équivalent de nos vieilles nations mais à l’échelle de l’Europe ? Interrogeons-nous. Si le volontarisme est nécessaire, est-il toujours suffisant ? Peut-on, en quelques décennies, refaire le processus de construction des nations qui s’est étalé sur plusieurs siècles ? Il faut donc sans doute faire une Europe politique, mais pas comme une « super nation ». Comme autre chose. Et c’est là qu’il faut certainement recourir à l’idée d’Empire. La repenser comme notre nouvelle chose commune. Faire revivre une idée à la fois très ancienne et très neuve ? »

    C’est toute la complexité de la situation de l’Europe aujourd’hui…

    • GUILLARD dit :

      Effectivement, es nations ne peuvent être créées à volonté; la création d’une nation est un processus lent dont les conditions de cristallisation ne se présentent que très rarement. Dans la situation présente, les conditions qui pourraient permettre la formation d’une nation européenne ne sont absolument pas réunies. Rappelons qu’il n’y a que 3% d’Européens qui ne se sentent qu’Européens et que les sentiments nationaux ne font que se renforcer (voir Eurobaromètre).
      L’alliance des peuples européens, ou de certains d’entre eux, est sans aucun doute nécessaire pour faire face aux défis auxquels nous sommes confrontés mais compte tenu du fait que la construction d’une super-nation est impossible, il nous faut construire une organisation qui soit compatible avec les sentiments nationaux. L’utilisation du mot ”empire” ne me semble pas très judicieuse parce que c’est un mot qui recouvre des réalités très différentes mais toujours coercitives comme l’a fait remarquer Olivier Beaud dans sa ”Théorie de la fédération”. De plus, la notion d’empire n’a pas bonne presse et est associée à l’autoritarisme à la dictature et à la domination de certains peuples par un peuple plus puissant. Il serait préférable de forger un nouveau concept.
      Il serait très certainement possible de construire une alliance souple des peuples européens autour de projets auxquels pourraient participer les états qui le souhaitent (organisation de défense collective, projets industriels, projets de recherche et développement, monnaie commune…) sous réserve de l’accord préalable de leurs peuples. Mais une telle alliance doit avoir pour but de préserver les libertés et l’indépendance des peuples européens tout en les dotant de la puissance économique, militaire et techno-scientifique, ce que ne fait pas l’Union Européenne et ce dont ne veulent pas les élites actuelles. L’alliance européenne ne pourra se faire, à court terme, qu’entre un petit nombre d’états (par exemple, il n’est pas possible de créer une organisation de défense indépendante de l’OTAN avec la Pologne, le Royaume-Uni et les pays baltes). En fait, l’alliance qui serait la plus prometteuse serait celle de l’Allemagne, de la Russie et de la France, que pourraient rejoindre d’autres états, telle l’Italie; mais, pour le moment les conditions d’une telle alliance ne sont pas réunies.

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