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Quand l’Orient était rouge…

En ce temps-là, Gildas se nommait encore Leprêtre et Levaï était Narboni. Le premier préparait propédeutique à la Catho d’Angers et le second donnait des leçons, entre autres, à la “cellule coco” de la rue de l’Arbre Sec, fédération “coco”, section de Paris Ier (j’ai des témoins). Je vous parle d’années-lumière en arrière. Le parti communiste était dirigé par “Maurice” mais Staline avait déjà mangé son chapeau. La reine Jeannette (Vermeersch) veillait à ce que les militantes ne portent pas ce sous-produit de l’impérialisme américain, le “djinn”, et conservent dans leurs “entrailles” (c’est dans le “Je Vous Salue Marie”) le fruit de la copulation hebdomadaire. Aux élections législatives les “cocos” atteignaient entre 22 % et 25 %… et le gouvernement se renouvelait. La démocratie chrétienne “faisait” des manières avec une floppée de micro-partis pour atteindre le seuil réglementaire d’une majorité vacillante dont les grands hommes étaient Queuille ou Ramadier, Le Troquer ou Paul Reynaud – des génies pathétiques que guettaient dans l’ombre ces requins alcoolisés : Jules Moch ou Georges Bidault. Mitterrand sautait les haies et Chaban-Delmas cavalait en montant les escaliers. On n’avait le droit de voter qu’à 21 ans… ce qui parait aux accidents. Un “has been” se consolait à l’écart, à Colombey, en tutoyant les hautes collines de Lorraine et commentant amèrement le sordide spectacle offert aux bons chrétiens.

En ce temps-là, l’Orient était rouge. Comme l’avait dit ce bon Churchill (alors 80 ans : “no sport”, cigare et whisky à volonté, il vivra jusqu’à 90 !), le continent était divisé par une ligne proprement appelée “rideau de fer ” – terme plus approprié à ces régimes de boutiquiers. Le “rideau” isolait la moitié de l’Allemagne, l’ancien Empire austro-hongrois, le royaume de Pologne, les petits États baltes et circonvenait la Grèce, aux limites de la Bulgarie, après qu’une guerre civile l’eut ensanglantée.

En ce temps-là, la Bulgarie, le pays des roses, était rouge – les roses, en plus du pain réservé par la Kremlinologie aux prolétaires et assimilés. La Bulgarie avait donné des héros. Georgi Dimitrov en était un, surtout célèbre pour sa défense obstinée face à ses minables accusateurs nazis de 1933 (“Il ne reste qu’un homme en Allemagne, et cet homme est un Bulgare !”). Ce qui fit qu’à la “libération”, Dimitrov se trouva prendre, de très courtes années, le pouvoir à Sofia. Il fut forcément aidé par la présence de l’Armée rouge qui occupa le terrain pendant 40 ans. Dimitrov mourut empoisonné en 1949 – ce qui ne nous rajeunit pas…

En ce temps-là, la Bulgarie “socialiste” devint fabrique de parapluies (“bulgares”, oeuf corse), ancêtres des armes létales utilisées récemment en Angleterre. Elle était dirigée par le BKP (alias parti communiste bulgare), une dépendance du KGB soviétique. La différence n’était apparente qu’aux crédules benêts de “l’Ouest”. Sinon… La grande figure d’une époque, qui va de la “libération” (1944) à 1989, restera pour l’éternité Todor Jivkov (un paysan se faisant passer pour ouvrier qui, en réalité, était policier). Heureux choix pour le soviétisme ambiant. Un comité central bas de front encouragea ainsi une migration de cerveaux vers l’Ouest comme on le vit bientôt à Saint-Germain-des-Prés. Les “cocos” – qu’ils fussent de stricte obédience ou bien “maos”- furent friands de la gente féminine, les exemples ne manquent pas. Le policier Todor Jivkov y vit une opportunité. Il glissa quelques agent(e)s bien tournées dans le lot. Cela permit ainsi quelques exercices de parapluie à l’arrêt d’un bus londonien et dans le métro parisien, comme ce fut le cas pour Markov ou Kostov…

En ce temps-là, la Bulgarie “socialiste” réussit un exploit au-delà des espérances. Inspiré par l’état des lieux, le perspicace Jivkov fut gagné par la “bulgarisation forcée” à partir d’un processus de “régénération nationale”, principe développé notamment par sa fille, Lyudmila Jivkova. Il s’agissait d’assimiler par la force la population musulmane de la Bulgarie… ou de l’expulser vers sa “base” : la Turquie. C’était s’attaquer à des siècles d’histoire que l’indépendance de 1912 n’avait pas éteint : vivaient en Bulgarie environ 10% de “Turcs”. Jivkov mettait en pratique ce précepte bien connu de tous les tyrans : “Si le peuple ne te plaît pas, change le peuple”. Il y adjoignit, in petto, ces autres minorités que sont les Roms et les Tatars… lambeaux amenés par les Ottomans ou reliefs d’occupants antérieurs à la “prise de Constantinople” (encore un mythe… avant 1453, les Turcs avaient mis la main sur tout le sud des bouches du Danube). Jivkov inventa l’origine “thrace” de la nation. D’où naquit la peuplade originelle des “Bulkh” [nous avons bien des “Gaulois”comme ancêtres, inutile de se formaliser… tss!]. Ces “Bulkh” étaient censés venir du Pamir qui, comme chacun sait, est un pays montagneux de l’Asie centrale. Bref, les Bulgares assistèrent (ils ne l’approuvèrent pas tous) à “l’unification définitive de la nation bulgare par l’éradication de la présence turco-musulmane dans ce pays majoritairement chrétien”.

Bref, c’est dans ce climat délétère qu’une jeune femme s’interroge aujourd’hui. Et cela donne un film comme rarement. Quelque chose qui ressemble à du Jean Rouch ou du Jean Epstein. Rien moins. Quelque chose de très émouvant, de déchirant pour les vieux écornifleurs comme votre serviteur. La jeune femme a trente ans, est franco-bulgare, et se nomme Bojina Panayotova. Son quelque chose a pour titre “Je vois rouge” et a été diffusé sur Arte à pas d’heure. On peut le saisir en “replay” (n’hésitez surtout pas) sur le site de la chaîne jusqu’en décembre. La semaine dernière, Télérama l’a expédié par-dessus la jambe (c’est normal, c’est anti-bobo). Pour vous dire, Bojina se confie ainsi : ” Après vingt-cinq ans passés en France, je retourne en Bulgarie avec un soupçon vertigineux : et si ma famille avait collaboré à la police politique du régime communiste ? Je convaincs mes parents de faire une requête auprès de la commission spéciale qui a récemment ouvert les dossiers de la police secrète. Au bout du voyage, les surprises bousculent ma démarche et provoquent un tremblement de terre dans la famille.”

Le “tremblement de terre” concerne une vieille tante, le père de Bojina qui est un peintre réfugié en France depuis longtemps (les parents sont séparés), et surtout la mère, une interprète professeur en université qui, française aujourd’hui, “bénéficie” à son insu (explique-t-elle) d’une fiche dans les “archives”. Ça se passe très mal, au début… entre la mère et la fille. Le père entre en hystérie… Bojina passe son permis de conduire et la parole du moniteur s’avère soudain apaisante. Ce film est programmé en salle en mars 2019… mais n’attendez pas !

 MORASSE

Crédit photos : DR – En couverture : Monument Buzludzha construit par le régime communiste bulgare, aujourd’hui en ruine.
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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