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Nantes dans la traite atlantique et l’esclavage colonial : une nouvelle exposition doctrinaire du musée d’histoire de Nantes

La responsabilité collective et héréditaire des Nantais dans la traite transatlantique est une thématique obsessionnelle de la municipalité de Nantes depuis plus de trente ans. Elle y sacrifie une nouvelle fois avec une exposition organisée au château des ducs de Bretagne sous le titre « L’abîme – Nantes dans la traite atlantique et l’esclavage colonial, 1707-1830 ».

L’exposition est intéressante, au demeurant, et agréablement présentée. Mis en valeur dans un décor sobre, les objets présentés sont significatifs et de qualité. Du moins pour la plupart, car deux ou trois « fac-similés » douteux s’y sont glissés (un fac-similé est une reproduction à l’identique d’un objet original – mais nulle origine n’est indiquée ici). Les cartels sont rédigés assez clairement. Pourtant, les points critiquables ne manquent pas.

L’un est le mélange, hélas classique, entre le scientifique et le sentimental, qui ne font pas bon ménage. Le mot « abîme » est ici censé évoquer l’horreur morale de l’esclavage. La présentation en ligne de l’exposition s’ouvre néanmoins sur des considérations quantitatives : « Aujourd’hui encore, les historiens ne parviennent pas à se mettre d’accord sur le nombre de victimes de la traite atlantique. » Ce qui n’empêche pas le musée d’afficher une statistique précise dès l’entrée de l’exposition : les expéditions françaises ont transporté 1,3 millions d’Africains réduits en esclavage, et 43 % des expéditions de traite françaises partaient du port de Nantes. Selon le Mémorial de l’abolition de l’esclavage, réalisation de la municipalité Ayrault, les navires nantais ont transporté 450 000 captifs en un siècle et demi. Pour mettre ce chiffre en perspective, l’exposition aurait pu rappeler que selon l’organisation internationale du travail (OIT), 40 millions de personnes dans le monde étaient réduites en esclavage en 2016.

Noirs à Nantes

Plus originale est la découverte d’une population d’esclaves à Nantes. La traite présente une faiblesse du point de vue des militants de la repentance : les négriers, nantais et autres, intervenaient comme intermédiaires entre « producteurs » d’esclaves africains et « utilisateurs » américains. Éloignés dans le temps et dans l’espace, ces faits horribles agitent sans doute l’intellect des Nantais d’aujourd’hui mais ne tracassaient pas leur conscience morale autant que certains l’auraient voulu.

L’exposition, il faut le signaler, ne cherche pas à pipeauter comme d’autres ont pu le faire naguère : elle indique clairement, avec d’intéressants documents à l’appui, que les esclaves étaient achetés, clés en main oserait-on dire, à des rois indigènes. En revanche, elle s’aventure sur un terrain relativement neuf en présentant Nantes comme une destination pour les esclaves. La ville serait « une société où se côtoient, dans la violence la plus ordinaire, des personnes vivant en esclavage et leurs propriétaires ». Cette phrase à elle seule contient deux finasseries langagières. On écrit « vivant en esclavage » pour dissimuler le fait que l’immense majorité des personnes concernées n’étaient pas des esclaves. Et « violence ordinaire » pour désigner la condition, « ordinaire » en effet, des domestiques, blancs comme noirs.

Le séjour d’un Noir en métropole devait être déclaré à l’administration. On sait ainsi que 4 712 Noirs venant des colonies sont passés par Nantes en un siècle, de 1692 à 1793, ce qui est peu par rapport aux 450 000 personnes enlevées d’Afrique – ou par rapport à aujourd’hui. L’exposition, c’est l’un de ses aspects intéressants, leur consacre plusieurs petites notices biographiques. Mais chez Pierrot, Pauline, Catherine, etc., elle n’a rien trouvé de pire qu’une domestique engrossée par le fils de sa maîtresse ou une autre que son maître tente, en vain, d’empêcher d’entrer au couvent. Une « violence ordinaire » à laquelle bien des domestiques blanches étaient sûrement exposées de la même manière.

Le cas le plus courant semble être celui des « nègres à talent » amenés à Nantes pour apprendre un métier technique (tonnelier, perruquier…) utile aux colonies ; ils seraient généralement affranchis. « Leur jeunesse est souvent un élément révélateur des mentalités de l’époque, les propriétaires estimant les personnes jeunes particulièrement dociles », tient à commenter le musée. Pour émouvoir ses visiteurs, sans doute, car aujourd’hui comme à l’époque, c’est plutôt à des jeunes qu’on fait apprendre un métier !

Autre astuce langagière à propos d’Emmanuel Siphérion, un Noir déclaré libre mais décrit par un document administratif comme « appartenant à M. du Souchet », ce qui « jette le trouble sur le statut du jeune homme ». Le musée ignore-t-il vraiment que, dans le vocabulaire de l’époque, « appartenir » signifie « être domestique de quelqu’un » (Dictionnaire de l’Académie française, 4e édition, 1762), ou bien fait-il seulement semblant ?

Dates approximatives

La chronologie de l’exposition s’avère curieusement floue. On ne s’est pas soucié de justifier les dates butoirs qui lui sont assignées : 1707 et 1830. Certes, l’incontournable Répertoire de Mettas (1978) situe la première expédition nantaise de traite négrière en 1707. Les auteurs se réfèrent à cette date en se recopiant les uns les autres. Pourtant, différents travaux (Michon, Pétré-Grenouilleau…) ont fait état depuis lors d’expéditions antérieures. Au minimum, le musée aurait dû expliciter les raisons de son choix. De même pour 1830. Bizarrerie supplémentaire, l’exposition est découpée en périodes chronologiques dont l’une commence… en 1657, et non en 1707, tandis que l’autre s’achève… en 1848 et non en 1830 !

La première de ces périodes, 1657-1791, est intitulée « Nantes au temps des Indes galantes ». Or l’opéra-ballet de Rameau n’a été créé qu’en 1735 et a été représenté pour la dernière fois avant le 20e siècle dès 1773 ! Ce serait anecdotique si l’anachronisme était isolé. Mais il y en a d’autres. On lit par exemple : « En 1453, après la chute de Constantinople aux mains de la puissance ottomane, les Européens sont contraints de trouver de nouvelles routes commerciales afin d’accéder aux richesses de l’Inde et de l’Asie. […] En 1471, [les Portugais] prennent pied sur l’île de São Tomé ; ils atteignent le Congo en 1483. » Pas faux, mais Henri le Navigateur (prince portugais statufié à Nantes sur la place du Commerce) avait lancé dès 1420 les premières expéditions destinées à explorer la route océanique des Indes. L’exposition n’hésite d’ailleurs pas à se contredire elle-même : « 1415-1498 – à la recherche d’une nouvelle route maritime vers l’Asie », indique un autre visuel.

Les jeunes nantais, cibles d’une exposition orientée

L’esclavage a été – et reste, dans une partie du monde – une page noire de l’histoire de l’humanité, cela va de soi. Mais la situation des esclaves était en soi suffisamment pénible sans qu’il soit nécessaire de broder. On n’en est plus au temps où un conseiller municipal de Jean-Marc Ayrault assurait que des esclaves étaient jetés à la Loire dans le port de Nantes, c’est heureux. Mais les glissement de sens pratiqués par le musée de Nantes sont trop manifestes pour ne pas mettre la puce à l’oreille : la vocation de cette exposition est plus idéologique que pédagogique.

Elle sera visible du 16 octobre 2021 au 19 juin 2022. Hors saisons touristiques, donc. Et la rareté des explications en anglais confirme que le musée ne cherche pas à attirer les touristes étrangers. Pourquoi ? Sans doute parce que l’exposition est surtout composée d’objets et de documents exposés en temps normal dans les salles du musée d’histoire de Nantes.

Avec cette monstration de basse-saison, ce dernier évite d’appauvrir ses collections permanentes en période de grande fréquentation. Mais il peut se targuer d’une « nouveauté » qui revient finalement à isoler dans un local distinct ses salles consacrées à la traite transatlantique. Tout en immortalisant son message dans un catalogue édité aux frais de la collectivité.

À l’exposition historique est adjoint un volet contemporain ouvertement politique (« Qu’est-ce que le racisme ? », etc.). Ainsi, les scolaires amenés là par paquets de trente ne risqueront pas de s’égarer dans les salles du musée consacrées à des thèmes autres que l’esclavage ou de manquer la leçon de repentance. À moins que les « médiateurs » ne leur révèlent le dessous des cartes : on peut toujours rêver.

Château des ducs de Bretagne, bâtiment du Harnachement
du 16 octobre 2021 au 22 juin 2022, TLJ  de 10h00 à 18h00, sauf lundi et 1er janvier
Tarif plein : 8 €. Tarif réduit : 5 €. Gratuit : moins de 18 ans, demandeurs d’emploi, etc.
Passe sanitaire obligatoire à partir de 12 ans, masque à partir de 11 ans.

Crédit photo : BI
[cc] Breizh-info.com, 2021, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine.

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5 réponses à “Nantes dans la traite atlantique et l’esclavage colonial : une nouvelle exposition doctrinaire du musée d’histoire de Nantes”

  1. MICHEL MARAVAL dit :

    Il reste aussi à montrer la mentalité des contemporains de cette époque. Le contrat d’engagure aboli à la Révolution, permettait d’acheter des enfants dans les campagnes. Ainsi, l’Olonnois avait été vendu par ses parents et Oexmelin s’était vendu pour partir aux Antilles.
    La survivance de cette pratique a perduré jusqu’au XX siècle et Roselyne Bachelot rapporte la vente de sa grand’mère comme domestique dans son livre “Corentine”.
    Par ailleurs, les esclaves rapportés à Nantes devaient être libérés sous l’Ancien Régime comme l’avait imposé la Royauté.
    Enfin, il faut parler aussi des esclaves affranchis célèbres comme le Chevalier de Saint Georges, plus célèbre que Mozart à la cour de Louis XVI et qui participa à Valmy comme général. Il est notamment à l’origine de la découverte de la trahison de Dumouriez.

    • Pschitt dit :

      Clairement, il a existé de nombreux types de contrat liant une personne à une autre avec des degrés divers de sujétion. Mais dès qu’on dit contrat, on suppose volonté de s’engager (certes théorique dans bien des cas), alors que l’esclave n’a pas le choix. De plus, l’esclave est juridiquement un meuble qui peut être revendu ; ce n’est pas le cas de l’engagé (là encore en principe). Et les engagements étaient normalement à durée déterminée, souvent trois ou six ans dans la domesticité, l’armée, la marine… L’engagement était une avance sur gages ou sur solde qui dédommageait la famille de la perte d’une paire de bras. Mais on imagine que dans la pratique, les situations devaient différer les unes des autres selon le degré d’humanité des maîtres.
      Les Etats fédérés américains ont reproché aux confédérés de pratiquer l’esclavage. Mais le développement de la Nouvelle-Angleterre a été assuré en grande partie par des immigrants britanniques réduits pratiquement en servitude parce qu’ils s’étaient engagé à travailler X années pour rembourser leur traversée. Tout comme nos migrants actuels, qui remboursent leur passeur (ou leur famille, qui a payé leur passeur) en pédalant comme des damnés pour livrer des repas.

  2. Les nantais sont bien informés que quelques richissimes familles d’amateurs ont bénéficié du commerce triangulaire.
    Mais combien de nantais savent que des dizaines de milliers de Vendéens ont été décapités, fusillés, noyés dans leur ville qui a également été un précurseur des camps de concentration, puisque les hangars de marchandise du quai de la fosse enfermaient des milliers de prisonniers dont beaucoup sont morts du typhus.
    Si les nantais aiment se flageller, cette page de leur histoire mérite d’être connue.

    • Il y aurait beaucoup à écrire sur les riches bourgeois nantais et leur dévotion à la révolution, curieusement aucun historien de renom ne s’y est risqué.
      Je rappelle toutefois que le général en chef des Vendéens qui ont attaqué Nantes en juin 1793, était un modeste paysan des Mauges, Jacques Cathelineau et que les principaux chefs républicains défendant Nantes étaient le général Canclaux ci-devant marquis et le maire M. Baco de la Chapelle, riche bourgeois.
      Parmi les généraux républicains qui traquaient les Vendéens, on trouve un certain Biron ci-devant duc de Lauzun et l’un des dix hommes les plus fortunés du royaume, notamment grâce à ses biens en Louisiane et à Saint Domingue.

  3. patphil dit :

    en quoi suis je responsable de la traite négrière ou celle des blanches ?
    ils veulent nous culpabiliser ! je ne suis pas perméable à ce genre de faits

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