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Langue bretonne : Diwan a besoin d’une révision constitutionnelle

Rien n’est facile pour Diwan, aussi bien sur la plan juridique que sur celui des ressources. Rappelons que pour l’année scolaire 2023-2024, Diwan compte 1 196 élèves en maternelle, 1 584 dans le primaire, 942 dans les collèges et 292 en lycée, soit un total de 4014 (Le Peuple breton, novembre 2023). Certes à l’enseignement immersif pratiqué par Diwan, il faut ajouter l’enseignement bilingue présent dans l’enseignement public (10 552 élèves) et dans l’enseignement catholique (5 457 élèves). Bien entendu, il ne faut pas compter sur l’Education nationale pour améliorer la situation, d’autant plus que la Constitution demeure ambiguë sur cette question ; en effet d’un côté l’article 2 dispose que « La langue de la République est le français », tandis que de l’autre l’article 75-1 indique que « Les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France ».

Si Diwan a été créé il y a cinquante ans, l’association se trouve toujours confrontée à des difficultés politiques et juridiques. C’est ce que rappelle son président Yann Uguen : « On voit bien qu’en France, c’est l’appareil d’Etat qui fait la nation, la langue française doit faire la nation. On est encore sur ces principes-là. On l’a bien vu pendant les débats sur la loi Molac. C’était une avancée pour la généralisation de l’immersion et sur d’autres sujets. Elle a été censurée par le Conseil constitutionnel. Cette loi a été votée par la majorité du Sénat et de l’Assemblée, donc par les élus. Et le Conseil constitutionnel l’a censurée. Cela prend du temps, mais, à un moment ou à un autre, il faudra assumer cela : il y a eu un vote des élus du peuple, le Sénat et l’Assemblée, et la Constitution ne s’adapte pas. Il faut faire évoluer les choses. Il faut trouver l’opportunité et entrer dans le train de la réforme constitutionnelle avant la fin du mandat du Président ; ça va être l’enjeu des mois à venir. » (Bretons, avril 2024)

Pour toutes les questions concernant les régions, l’obstacle principal s’appelle Conseil constitutionnel. On peut citer l’exemple de la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse qui fut censurée le 9 mai 1991 – notons que le président du CC s’appelait alors Robert Badinter… Effectivement elle portait atteinte à l’unité du peuple français car « la Nation forme un ensemble homogène composé de citoyens abstraits et interchangeables ». Ce principe posé, nous trouvons un commentaire susceptible de répondre aux interrogations de Yann Uguen dans l’ouvrage « Les grandes décisions du Conseil constitutionnel » (20e édition, septembre 2022, Dalloz) « Dans la décision n° 99-412  DC du 15 juin 1999, le Conseil constitutionnel juge que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires compte des clauses contraires à la Constitution, en ce qu’elles confèrent des droits spécifiques  à des “groupes“ de locuteurs de langues régionales ou minoritaires à l’intérieur de “territoires“ dans lesquels les langues sont pratiquées, “portant ainsi atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français“. Comme le rappelle fermement cette décision, les principes constitutionnels “s’opposent à ce que soient reconnus des droits collectifs à quelque groupe que ce soit, défini par une communauté d’origine, de culture, de langue ou de croyances“.

L’« enseignement immersif » n’est pas pour demain

S’agissant de l’enseignement des langues régionales, la décision n° 2021-818 DC du 21 mai 2021 (Loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion) valide les dispositions relatives à la prise en charge financière par les communes de la scolarisation d’enfants suivant des enseignements de langue régionale mais censure celles relatives à l“ enseignement immersif“ de ces langues et à l’utilisation de  signes diacritiques dans les actes de l’état-civil. Le Conseil constitutionnel rappelle que, aux termes de l’article 2 de la Constitution “la langue de la République est le français“, mais cette disposition n’interdit pas à l’Etat et aux collectivités territoriales, pour concourir à la protection et à la promotion des langues régionales, d’apporter leur aide aux associations ayant cet objet. »

Si, depuis la décision du 16 juillet 1971 relative à la liberté d’association, le Conseil constitutionnel s’est imposé comme co-législateur, pouvant neutraliser les décisions du pouvoir exécutif et du pouvoir législatif, cette situation nous ramène au règne des Parlements de l’Ancien régime. « La Révolution réagit énergiquement contre cette hégémonie. La séparation des sphères judiciaires , d’une part, législative et administrative, d’autre part, est proclamée par la loi des 16 au 24 août 1790 sur l’organisation judiciaire, et plus particulièrement par ses articles 10 (« Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif, ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du Corps législatif, sanctionnés par le Roi, à peine de forfaiture ») et 13 (« Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que de soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions »). Elle l’est tout aussi clairement par le décret du 16 fructidor an III (« Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient »). On trouve ce rappel historique dans l’ouvrage de Jean-Eric Schoettl « La démocratie au péril des prétoires – De l’état de droit au gouvernement des juges » (Gallimard, mars 2022)

 « Entrer dans le train de la réforme constitutionnelle » exigera donc ardeur, circonstances favorables et rapport de force permettant de remettre le Conseil constitutionnel à sa place. Encore faut-il que Yann Uguen possède des alliés puissants et bien introduits dans les lieux de pouvoir.

Bernard Morvan

Illustration : DR
[cc] Breizh-info.com, 2024, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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3 réponses à “Langue bretonne : Diwan a besoin d’une révision constitutionnelle”

  1. kan al louarn dit :

    Je ne parle pas la langue bretonne à mon grand regret, étant né à une époque où elle était mal vue par des jacobins qui considéraient les nationaux français interchangeables, quelle que soit leur région d’origine.
    Par contre je peux un peu la comprendre et quoiqu’en pense ou que répète le conseil constitutionnel, rien ne m’empêchera de me considérer Breton avant tout. Il n’y a pas qu’en Seine St Denis qu’il existe des Français de papier !

  2. NEVEU dit :

    La Monarchie s’accommodait des langues régionales sans problèmes, le nivellement était déjà une obsession chez les guignols sanguinaires. Le roi Henri VI d’Angleterre se serait plaint de croiser des Français qui ne s’exprimaient pas en français. En 1914 70% des conscrits ne s’expriment pas en français et un large partie d’entre eux ne le comprennent pas!

  3. Lacuzon dit :

    Hep brezhoneg, ket eus Breizh!

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