Réseaux électriques…Les pylônes de la guerre future

Un grondement résonne au Moyen-Orient : les frappes israéliennes sur les installations nucléaires iraniennes déchirent le ciel. À des milliers de kilomètres, dans les états-majors européens, un autre frisson parcourt les esprits. Pas celui des missiles, mais d’une menace plus sourde : la guerre hybride, cette stratégie bien plus insidieuse qui se dessine. Son but ? Frapper les sociétés occidentales là où elles sont les plus vulnérables, leurs réseaux électriques.

En France, l’idée d’un sabotage coordonné, ciblant les artères vitales de notre système énergétique, n’est plus une fiction. Elle hante les esprits des stratèges. Car la guerre, aujourd’hui, ne se joue plus seulement sur les champs de bataille. Elle s’infiltre dans les hôpitaux, les usines, les foyers. Elle ne vient pas toujours de l’étranger. Elle peut surgir d’un entrepôt discret, d’un commando furtif, d’un explosif posé à l’aube au pied de dizaines pylônes par des équipes de saboteurs recrutés parmi les radicalisés des cités. C’est ce scénario qu’il faut oser regarder en face.

Un cauchemar électrique : cinquante pylônes à terre

Imaginez une soirée de janvier, glaciale et sans lune, vers 19 heures, la consommation électrique atteint un pic, poussant le réseau de RTE au maximum de ses capacités. Un tout petit rien peut dérégler la machine et provoquer un délestage majeur, régional ou même national. Soudain, au même moment, une cinquantaine de pylônes de lignes à haute tension s’effondrent, du Val-de-Marne aux contreforts des Pyrénées. Pas n’importe quels pylônes : ceux des lignes qui relient les centrales aux métropoles, ceux qui stabilisent les flux électriques sur des centaines de kilomètres. Dynamités avec précision, ils ne causent pas une simple panne locale. Ils déclenchent un chaos en cascade : des désynchronisations du réseau, des blackouts tournants, des équipements endommagés par des surtensions.
Les saboteurs n’ont pas besoin d’être des experts. Les plans du réseau peuvent se reconstituer sans mal sur Google Maps. Les charges explosives sont rudimentaires, quelques kilos de C4 ou d’explosifs artisanaux suffisent. Ce qui compte, c’est la coordination. Cinquante équipes légères, mobiles, de saboteurs francophones, nés de ce côté-ci de la Méditerranée, opérant sur notre sol avec aisance, peuvent paralyser une nation avec un investissement dérisoire. Dans une guerre non déclarée, c’est une stratégie d’une efficacité terrifiante.

Un pays à l’arrêt, une société à l’épreuve

Ce ne serait pas l’apocalypse. Ce serait pire : une paralysie brutale qui mettrait à nu notre dépendance à l’électricité comme ce fut le cas le 19 décembre 1978.
Les grandes villes, privées de courant, seraient paralysées faute de feux de circulation. Les trains s’arrêteraient, les métros se figeraient, les véhicules électriques stopperaient faute de pouvoir recharger. Les hôpitaux basculeraient en mode crise, s’appuyant sur leurs groupes électrogènes, à court de carburant en quelques jours. Les télécommunications vacilleraient, rendant les alertes et la coordination aléatoires. Les serveurs hébergeant les données sensibles, y compris celles de l’administration centrale ou des entreprises stratégiques, ne peuvent fonctionner de manière autonome que quelques jours au plus.

Mais le vrai danger ne serait pas technique. Il serait humain. Une population plongée dans le noir, sans informations claires faute de téléphones ou de télévisions (qui a encore une radio fonctionnant à piles ?), perdrait confiance dans la capacité de du gouvernement à gérer la crise. On se souvient des grèves de 1995, qui avaient paralysé le pays. Imaginez ce scénario sans lumière, sans transports, sans voix rassurante pour promettre un retour à la normale. Dans une France déjà fracturée, un tel choc pourrait attiser les tensions sociales, ouvrir la voie à la désinformation, voire à des troubles, notamment à de pillages massifs du fait de populations spécifiques.
C’est précisément l’objectif de la guerre hybride : saturer non seulement les infrastructures, mais aussi la résilience psychologique d’une société.

RTE : un géant performant, mais vulnérable

Le réseau électrique français, géré par RTE (Réseau de transport d’électricité), est un modèle d’efficacité. Avec ses 105 000 km de lignes haute tension et son mix énergétique dominé par le nucléaire, il est l’un des plus fiables d’Europe. Conçu pour absorber les aléas climatiques et équilibrer la production face à une demande croissante, il incarne l’excellence technique d’un monde interconnecté.
Mais ce monde est révolu. La guerre moderne ne respecte pas les logiques d’optimisation. Elle cible les points faibles des sociétés post-industrielles. Et le réseau électrique, malgré sa robustesse, n’est pas armé pour un sabotage massif.
Aucun plan n’existe pour encaisser la destruction simultanée de cinquante pylônes. Les transformateurs haute tension, ces colosses d’acier essentiels à la distribution, sont à la vois vulnérables, rares, coûteux et longs à remplacer — parfois des mois, voire des années. Aucun stock national de pylônes ou de transformateurs de secours n’est constitué. Aucune unité d’intervention spécialisée, comparable à un régiment du génie militaire, n’est prête à ériger des lignes provisoires en urgence. Aucun exercice d’ampleur ne simule une attaque coordonnée de cette échelle.
RTE excelle dans la gestion des tempêtes, des pics de consommation, de la transition énergétique. Mais face à la guerre, il est désarmé. Et dans un contexte géopolitique où les infrastructures critiques sont des cibles prioritaires, cette vulnérabilité est une menace stratégique.

Leçons d’ailleurs : des alertes ignorées

D’autres pays ont déjà affronté des attaques contre leurs réseaux électriques, et leurs expériences devraient nous alerter. En 2013, la sous-station de Metcalf, en Californie, a été visée par une attaque physique : des tireurs ont endommagé 17 transformateurs, mettant en lumière la fragilité des infrastructures critiques. En Ukraine, les cyberattaques de 2015 et 2016, combinées à des sabotages physiques, ont plongé des régions entières dans le noir, révélant la puissance des stratégies hybrides. Plus récemment, les attaques russes contre le réseau électrique ukrainien se sont révélées d’une brutale efficacité.
Plus près de nous, les sabotages de 2024 en France , visant des lignes télécoms et des voies ferrées, ont montré que des opérations coordonnées, même limitées, peuvent perturber le pays. Ces incidents, bien que moins graves, sont des signaux d’alarme : la menace est réelle, et elle se prépare dans l’ombre.

Pourtant, la France semble hésiter à tirer les leçons de ces précédents. Alors que des pays comme les États-Unis ou Israël investissent dans des stocks d’équipements d’urgence et des protocoles de crise, notre approche reste fragmentée, centrée sur la gestion civile plutôt que sur la défense stratégique.

Une doctrine pour survivre

Face à cette menace, il ne s’agit pas seulement de renforcer des câbles ou d’installer des caméras. Il s’agit de repenser l’électricité comme un enjeu de souveraineté. Le réseau n’est pas un simple service public : c’est le système nerveux du pays. Protéger ce système exige une doctrine, claire et assumée, qui place la résilience énergétique au cœur de la sécurité nationale.

Voici ce qu’elle pourrait inclure :

Un stock national de pylônes de secours

Il est urgent de constituer un arsenal d’urgence : 200 pylônes modulaires, légers, standardisés, stockés dans une quinzaine d’entrepôts régionaux. Conçus en aluminium ou en composites, ces pylônes en treillis ou tubulaires pourraient être assemblés en 24 heures par des équipes entraînées, à l’aide de grues mobiles et de fondations temporaires (plots préfabriqués ou ancrages vissés). Inspirés des tours d’urgence comme celles de Lindsey Emergency Restoration Systems aux États-Unis, ils permettraient de rétablir les flux vitaux en attendant des reconstructions permanentes. Coût estimé : 15 à 20 millions d’euros. Une goutte d’eau face aux milliards investis dans les smart grids qu’aiment tant les écologistes.

Protéger les transformateurs

Les transformateurs haute tension, véritables cœurs battants du réseau électrique, sont des cibles critiques face à des attaques de petits commandos armés ou des tirs de balles blindées. Leur vulnérabilité réside dans leur taille imposante, leur emplacement souvent isolé et leur rôle irremplaçable dans la régulation des flux électriques : un seul transformateur détruit peut priver une région entière d’électricité pendant des mois, le temps de sa fabrication et de son remplacement. Protéger ces équipements exige des mesures concrètes : enceintes fortifiées en béton ou acier balistique, capteurs de détection d’intrusion, drones de surveillance, et patrouilles régulières par des forces de sécurité. Sans ces précautions, un commando équipé d’armes automatiques ou de charges explosives pourrait, en quelques minutes, infliger des dommages stratégiques, plongeant des millions de Français dans le chaos et révélant une faille béante dans notre résilience énergétique.
Les transformateurs haute tension de secours, véritables talons d’Achille du réseau, doivent être prépositionnés dans des sites sécurisés. Des contrats industriels avec des fabricants européens (comme Siemens ou Schneider Electric) garantiraient un réapprovisionnement plus rapide en cas de crise. Des unités mobiles de transformateurs, transportables par camion ou hélicoptère, pourraient être déployées pour contourner les nœuds endommagés.

Des unités d’intervention spécialisées

RTE doit former des équipes d’élite, capables d’opérer en conditions dégradées, comme le ferait le génie militaire. Ces unités, équipées de drones, d’outils d’assemblage rapide et de véhicules tout-terrain, pourraient réparer ou contourner les dégâts en quelques heures. Des exercices réguliers, simulant des sabotages massifs, seraient indispensables pour roder leur coordination avec les forces de l’ordre et l’armée.

Une stratégie nationale pilotée par le SGDSN
La résilience énergétique doit être intégrée aux scenarii de guerre hybride, au même titre que la cybersécurité ou la protection des ports. Le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) pourrait coordonner une téquipe de travail dédiée réunissant RTE, les ministères de l’Intérieur, de la Défense et de l’Énergie, ainsi que des acteurs privés. Cette stratégie inclurait des partenariats européens via ENTSO-E pour mutualiser les ressources en cas de crise transfrontalière.

Une rupture culturelle

Il faut abandonner le paradigme de l’optimisation économique pour adopter celui de la survie. Cela signifie accepter des investissements non rentables à court terme, mais vitaux pour la continuité du fonctionnement du pays. Cela implique aussi de sensibiliser la population à la menace, sans céder à l’alarmisme, pour préparer les esprits à une éventuelle crise.

Le coût de l’inaction

Les chiffres donnent le vertige. Moderniser le réseau pour la transition énergétique coûtera à RTE plus de 100 milliards d’euros d’ici 2040. À côté, les mesures proposées ici sont dérisoires : 15 à 20 millions pour un stock de pylônes, 50 à 100 millions pour des transformateurs de secours, quelques dizaines de millions pour former et équiper des unités d’intervention. C’est moins que le budget d’un seul régiment de l’armée de terre.
Mais le véritable coût serait celui de l’inaction. Une crise électrique prolongée, avec des villes plongées dans le noir et des usines à l’arrêt, pourrait engloutir des milliards en pertes économiques, sans compter les dégâts sociaux et politiques. En 2022, une panne de quelques heures à Toronto a coûté 100 millions de dollars à l’économie locale. Imaginez l’impact d’un blackout hexagonal de plusieurs semaines.

Le temps presse

En juin 2025, le monde a basculé dans une ère de conflictualité diffuse. Les tensions géopolitiques, amplifiées par le conflit au Moyen-Orient, rappellent que nul pays n’est à l’abri d’une guerre qui ne dit pas son nom. La France, avec son réseau électrique performant mais vulnérable, est une cible idéale pour des acteurs cherchant à maximiser leur impact avec un minimum de moyens.
L’électrification croissante de notre société, véhicules électriques, data centers, défense numérique, rend cette menace encore plus pressante. Nous n’avons plus le luxe d’attendre le premier sabotage pour agir. La question n’est pas de savoir si nous sommes vulnérables, mais si nous continuerons à faire comme si nous ne l’étions pas.
Il est temps de protéger le système nerveux de la société. Il est temps de construire une doctrine pour que, lorsque la guerre hybride s’en prendra aux pylônes, le pays reste debout.

Trystan Mordrel

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2025 dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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5 réponses à “Réseaux électriques…Les pylônes de la guerre future”

  1. creoff dit :

    Fallait-il l’écrire et le publier? ou bien cette situation fragile est-elle déjà trop connue?

  2. Amen dit :

    Ils pourraient saboter les éoliennes. Dans ce cas ils nous rendraient bien service.

  3. Ronan dit :

    A noter que Smart grids = réseaux intelligents ; nous voilà donc prévenus grâce à cet article ; voilà ce que c’est de nous avoir rendu dépendant des réseaux d’électricité sans nous avoir conseillé des mesures alternatives comme les chargeurs, bougies ou autres ou tout simplement des lignes électriques sous terre ; préparons nous à de drôles de guerres lâches et de terreur ( pour nous inculquer la peur de tout ? ).Donc il nous faudrait voter en 2027 pour un président français courageux, consensuel et rassurant qui ne prône pas des guerres inutiles comme aujourd’hui hélas (Ukraine, Moyen Orient… ) où les décisions de l’ONU ne sont pas respectées et où les victimes sont souvent hélas des civils. Qui va s’y mettre et renverser « la table » comme du temps du Général De Gaulle ?

  4. marco dit :

    Et ,pour rappel ,,une ville sans electricité = pas d ascenceurs ,,d eau a l etage = pas de toilettes ,,,d eau pour la cuisine ,,A la campagne ,,toilettes seches ,,puit ,,bois pour le chauffage(pardon les escrolos ),plantes comestibles ,etc ,j ai essayé de lire l article mais n ai pas vu le scenario ville « morte « ,Guerilla de Laurent Obertone ,Comme commenté sur la mairie de nantes ,,popu en aura pour ses veautes ,,,

  5. Poulbot dit :

    Il ni y a pas que le réseau électrique qui est en danger , mais également les gazoducs et oléoducs qui parcours le sous sol de ce pays .
    Les deux faits divers qui viennent de ce passer avec le dynamitage des deux pylônes HT et celui du gazoduc ( le gaz ne s’enflamme pas spontanément en gaz de fuite , il y a 45 ans la résidence pavillonnaire ou j’habitais a connu des fuites de gaz du a la rupture de la vanne extérieur devant les pavillons, de nuit et aucune flamme n’a vue le jour , on évacue la zone pour allez prévenir les pompiers qui coupe le secteur et tout le monde retourne ce coucher, la le changement de la vanne est faite le lendemain.)
    Il y a une cinquième colonne qui est en place en France et fait des test en utilisant les petites frappes de quartier ou les mouvements d’extrêmes gauches qui sautent sur l’occasion pour ce faire la mains au maniement d’explosif.

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