« Personne ne s’interroge vraiment sur ce qui pousse aujourd’hui des milliers de jeunes à s’effondrer dans les drogues. ». Interview et chemin de vie d’un Toxicomane lucide

Cannabis, cocaïne, héroïne, crack : en Bretagne, les drogues illicites se banalisent à une vitesse alarmante, et les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon le dernier rapport de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), plus d’un Breton sur deux (52,3 %) a déjà expérimenté le cannabis, ce qui place la région en deuxième position nationale. Chez les jeunes de 17 ans, ce taux grimpe à 36,4 %, un record. Pire encore : ils sont aussi les plus nombreux à tester des drogues dites « festives » comme la MDMA, la cocaïne ou la kétamine. En parallèle, les urgences hospitalières bretonnes voient exploser les passages liés à la consommation de cocaïne : multipliés par huit entre 2010 et 2022.

À Rennes, la situation devient critique. Le quartier du Blosne est aujourd’hui ravagé par la vente quotidienne de crack, attirant entre 50 et 80 consommateurs par jour selon les forces de l’ordre. Des trafics bien organisés, qui livrent désormais à domicile via messagerie chiffrée, ciblant étudiants, marginaux, mais aussi jeunes adultes en perte de repères. La consommation s’étend, les overdoses se multiplient, et la dépendance broie des vies en silence.

Dans ce contexte d’aveuglement collectif et d’impuissance publique, Breizh-info.com donne la parole à ceux que l’on entend rarement : les survivants. Ceux qui ont plongé, parfois très jeunes, et qui tentent aujourd’hui de remonter à la surface. C’est le cas de Julien (prénom changé par volonté de garder l’anonymat), 32 ans, originaire d’un village d’Ille-et-Vilaine. Bon élève, étudiant en lettres à Rennes 2, il a glissé progressivement du cannabis au crack, en passant par la cocaïne et l’héroïne. Plusieurs overdoses, des tentatives de sevrage, des rechutes. Aujourd’hui à nouveau abstinent mais faisant plutôt 10 ans de plus physiquement et en lutte quotidienne contre ses démons, il livre un témoignage brut, sans filtre, à la fois terrible et salutaire.

Son message ? Ne pas juger trop vite les toxicomanes, mais alerter une société anesthésiée qui banalise la drogue, tout en refusant de regarder en face ses causes profondes : isolement, perte de repères, vacuité existentielle. Une interview choc à faire lire à tous les jeunes — et à leurs parents.

Breizh-info.com : Peux-tu te présenter brièvement ?

Julien (prénom changé) : J’ai 32 ans aujourd’hui. Je suis originaire d’un petit village en Ille-et-Vilaine, à une vingtaine de kilomètres de Fougères. J’ai grandi à la campagne, dans une famille sans histoires. J’étais plutôt bon élève. J’ai fait mon lycée à Vitré, puis je suis monté à Rennes, à la fac de Rennes 2, en lettres modernes. Et c’est là que tout a commencé à basculer.

Breizh-info.com : Tu veux dire que c’est à la fac que tu as découvert la drogue ?

Julien : Oui. Enfin, disons que ça a commencé un peu avant, avec le cannabis, vers 15-16 ans, comme tout le monde presque aujourd’hui. C’était pour « faire comme les autres », pour « se détendre ». Je ne voyais pas le mal. Et personne ne me mettait en garde. C’était même cool à l’époque. Le shit était partout. Pas cher. Accessible.

Breizh-info.com : Et après le cannabis ?

Julien : À la fac, j’ai rencontré des gens « plus fêtards », qui tournaient à la cocaïne. Pas tout le temps, juste en soirée, les vendredis, les samedis. Au début, j’ai dit non. Puis j’ai testé. Et là, j’ai accroché direct. La sensation de toute-puissance, l’énergie, l’euphorie. Mais personne ne vous dit que derrière, il y a l’épuisement, la dépendance psychologique, l’angoisse, les descentes. Et surtout l’engrenage.

Breizh-info.com : Tu parles d’un engrenage. Quel a été le déclic vers les drogues dures ?

Julien : La coke m’a désinhibé, elle m’a mis dans un rythme de vie artificiel. Pour tenir, j’ai commencé à en prendre de plus en plus souvent, même hors soirée. Puis un jour, un « pote »  m’a proposé de « redescendre tranquille » avec un peu d’héroïne. « Tu vas dormir comme un bébé », m’a-t-il dit. C’était en poudre, je l’ai sniffée. C’était doux. Trop doux. C’est comme ça que j’ai glissé. Ensuite est venu le crack. Là, c’est une autre dimension.

Breizh-info.com : Le crack, tu peux expliquer ce que ça fait ?

Julien : C’est de la cocaïne transformée et mélangé avec tout un tas de m…. En quelques secondes, tu passes de l’abattement à l’euphorie totale. Mais ça ne dure que 5-10 minutes. Alors tu recommences. Encore. Encore. Encore. J’ai fumé du crack dans des squats, des cages d’escalier, dans des voitures. J’ai volé pour en acheter. J’ai menti. J’ai perdu des amis, ma copine. J’ai fait trois overdoses. La dernière a failli me tuer.

Breizh-info.com : Tu as essayé de t’en sortir ?

Julien : Oui. Trois cures. La première, j’ai tenu deux mois. La deuxième, j’ai replongé au bout de deux semaines. La troisième, ça fait huit mois. Mais je me bats tous les jours. Chaque matin, je me réveille avec l’envie de consommer. C’est comme une bête dans ma tête. Je suis abstinent, mais jamais guéri.

Breizh-info.com : Comment fonctionnent les dealers, à Rennes ou ailleurs ?

Julien : Ce sont des réseaux bien organisés. Les jeunes vendent, les anciens gèrent. Beaucoup de vendeurs (pas les gérants) sont eux-mêmes consommateurs. Maintenant, ils te livrent à domicile, comme Deliveroo. Tu commandes par Signal, tu reçois en 20 minutes. Ils t’appâtent avec de la bonne came, puis te passent de la merde coupée à tout. Ils savent qui est fragile. Ils ciblent les étudiants, les paumés, les jeunes isolés. Ce sont des vendeurs de mort.

Breizh-info.com : Que penses-tu des discours qui banalisent les drogues dites festives ?

Julien : C’est criminel. Le cannabis n’est pas une drogue douce. La cocaïne n’est pas une poudre de soirée. La MD, la kétamine, c’est pareil. On vous vend une illusion. On ne vous parle jamais des bad trips, des pertes de contrôle, des violences, des suicides. Moi je n’étais pas un marginal. J’étais un étudiant comme les autres. Mais la drogue ne fait pas de tri. Elle détruit tout, vite.

Breizh-info.com : Quel regard portes-tu sur toi, et sur les autres toxicomanes ?

Julien : Je me dégoûte souvent. Mais j’essaie de me pardonner. Je vois aussi des gens comme moi, qui veulent s’en sortir, mais n’y arrivent pas. On n’est pas tous des zombies. Il y a des histoires de violence, de familles éclatées, d’angoisses existentielles. On se drogue pour fuir quelque chose. Mais personne ne s’interroge vraiment sur ce qui pousse aujourd’hui des milliers de jeunes à s’effondrer dans les drogues.

Breizh-info.com : Tu veux dire que la société détourne le regard ?

Julien : Oui. Tout le monde s’en fout. Tant que les zombies restent dans les squats ou dans les quartiers, on ne dit rien. Mais à Rennes, dans le métro à Charles de Gaulle, à Villejean, dans les parcs, les dealers sont là, visibles. Et les consommateurs aussi. La police fait ce qu’elle peut, mais tout le monde baisse les bras. Et à gauche comme à droite, personne n’ose dire que la drogue est une bombe sociale.

Breizh-info.com : Si tu avais un message à adresser aux jeunes ?

Julien : N’essayez même pas une fois. Je vous jure, ça peut suffire. Il n’y a pas de drogue festive. Il n’y a pas de drogue de week-end. Il n’y a que des drogues qui vous bouffent. Et après, il est trop tard. Alors si tu lis ça, et que tu es tenté, pense à moi. À mes OD. À ma mère qui m’a retrouvé à moitié mort dans mon lit. Et si tu as un pote qui commence à toucher à ça, parle-lui. Sauve-le, tant qu’il est encore temps.

Propos recueillis par YV

Si vous êtes vous-même en difficulté face à une addiction, ou si un proche est concerné, contactez un centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), ou appelez le 0 800 23 13 13 (Drogues Info Service).

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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4 réponses à “« Personne ne s’interroge vraiment sur ce qui pousse aujourd’hui des milliers de jeunes à s’effondrer dans les drogues. ». Interview et chemin de vie d’un Toxicomane lucide”

  1. Mylène Chaniac dit :

    La faute est à cette Europe du malheur, de la misère et du désespoir. Cette Europe qui n’est même pas une démocratie puisque Van den Layen n’est l’élue de personne. Pas de référendum. On se garde bien de demander l’avis des peuples. Car on connait à l’avance les résultats. Et on voudrait que les jeunes gens croient encore à cette Europe ? Nos jeunes gens n’ont d’autre solution que de quitter au plus vite cette engeance mortifère à l’image du récit romantique et troublant « les corps indécents ». L’absence de perspective, la décadence, font que l’on se réfugie dans les tranquillisants, dans les drogues. Ce qui n’arrange rien, bien au contraire. Le face à face prédit par feu Gérard Collomb, ancien Ministre de l’Intérieur en dit long sur notre avenir peut reluisant. Rien ne va plus !

  2. Dr. Bernard Plouvier dit :

    Oui, certes, des « milliers de jeunes drogués » (et des milliers de moins jeunes), mais aussi des centaines de milliers de Français de souche européenne qui ne fument pas de « Hasch », ne s’alcoolisent pas outre mesure, pas plus qu’ils ne s’adonnent à la Coke ou à l’héroïne et ne se droguent qu’au café ou au chocolat, nettement moins dangereux !
    Soigner des drogués permet de comprendre la faiblesse morale de ces « patients » qui n’ont ni patience ni force de caractère.
    La société de consommation, née dans les années 1960 dans l’Europe Occidentale qui se relevait des destructions de la guerre, a créé deux générations de psychopathes qui veulent tout et tout de suite, avec le moins d’efforts personnels possible.
    Non, ce n’est pas le pouvoir – celui de chaque État ou ceui de l’Union des Économies Européennes – qui est responsable. C’est l’éducation ratée de deux générations, celle des soixante-huitards et celle de leurs rejetons.
    Pour sortir de ce marasme éducatif, il faut d’abord prendre conscience de la réalité des faits et de la psychologie molle et permissive des « déducateurs » passée à leurs ouailles trop réceptives.
    La faute est collective et relève de l’éducation.

  3. guillemot dit :

    Quand le peuple tout entier sera sous emprise il sera évidemment plus facile de le faire marcher dans le sens désiré. On est déja sur la bonne voie avec nos jeunes complètement décérébré et pas seulement par la drogue mais aussi par une certaine presse, ou radio qui distillent quotidiennement un credo auquel il faut croire sinon c’est la case prison.

  4. Brounahans l'Alsaco dit :

    Il y a un dicton qui dit que « dans les épreuves, les gens forts deviennent plus forts et les faibles plus faibles » Faut croire qu’il y a de plus en plus de faibles ! Et dans le domaine de la drogue, légale ou illégale, comme dans d’autres domaines, la majorité cherche la voie de la facilité. La santé en est un exemple flagrant, on mange n’importe comment, on ne se bouge plus, et quand les problèmes arrivent on se gave de pilules ! La question est alors beaucoup plus générale et implique l’essentiel de l’humanité, du moins des pays industrialisés. Qui n’est pas addict à cela ou autre chose ? Le sucre en est un autre exemple. Ce n’est pas une drogue ? Bien sûr que si ! Essayez de vous en passer pendant quelques jours et votre conjoint demandera le divorce pour caractère exécrable ! De plus, le sucré tue beaucoup plus que toutes les autres drogues réunies, mais attention, c’est un aliment et cela permet de gagner des fortunes. Conclusion ? dans notre monde de merde TOUT le monde se drogue, un peu, beaucoup … mais les jeunes pourraient aussi essayer de changer ce monde pourri au lieu de plonger. Et là on en revient au dicton du début …

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