La décennie écoulée a vu l’Unionisme nord-irlandais s’enfoncer dans une crise politique, électorale et idéologique profonde. Malgré la co-gestion du pouvoir à Belfast, les principaux partis pro-Union semblent incapables de redonner sens à leur projet.
Il y a dix ans, l’Unionisme paraissait inébranlable en Irlande du Nord. Les partis unionistes dominaient les conseils locaux, tenaient Westminster à l’écart de tout projet d’unité irlandaise et conservaient l’ascendant symbolique hérité de la partition de 1921. Mais depuis 2015, les lignes ont bougé. Et dans cette lente mais inexorable décrue, peu de responsables unionistes ont eu le courage d’interroger les choix, les discours et les méthodes de leur propre camp.
Un tournant manqué
Le départ de Peter Robinson à la tête du DUP, en novembre 2015, aurait pu marquer un moment de renouveau stratégique. Il n’en fut rien. Loin de favoriser une compétition d’idées ou une clarification politique, la succession s’est soldée par l’arrivée d’Arlene Foster, imposée sans débat de fond. Cette dernière, bien qu’initialement populaire, incarna bientôt une série de décisions désastreuses : soutien à un Brexit hasardeux, effondrement de l’Exécutif, gestion opaque des affaires publiques, jusqu’à sa mise à l’écart en 2021.
Ce couronnement précipité, sans vision de long terme, a marqué un point de bascule. Au lieu d’incarner une Union renouvelée, ouverte, assumant sa diversité et capable de convaincre les modérés, le DUP s’est figé dans une posture de confrontation et de conservatisme stérile.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2014, les partis unionistes représentaient encore plus de la moitié des élus locaux. En 2023, ils peinent à franchir les 40 %. Aux législatives britanniques, leur part de voix est passée de près de 50 % à un peu plus de 43 %. Cette chute ne s’explique pas par un raz-de-marée nationaliste. Le vote républicain reste relativement stable, concentré autour de Sinn Féin. Le vrai problème est ailleurs : dans l’abstention croissante d’un électorat pro-Union désabusé, dans l’essor des partis centristes ou écologistes, dans l’absence d’un message fédérateur.
Là où les nationalistes, en dépit de leur dogmatisme parfois caricatural, avancent un horizon (une Irlande unie), les unionistes donnent le sentiment de naviguer à vue, sans boussole.
À défaut de vision claire, l’Unionisme s’est souvent replié sur des postures identitaires clivantes. Le mépris affiché envers la langue irlandaise, la gestion clientéliste des institutions, ou encore les revirements permanents sur le Protocole nord-irlandais ont fini par éroder la confiance même des plus loyaux électeurs.
L’unionisme paraît plus divisé que jamais, prisonnier de ses contradictions. Doit-il assumer une forme de gouvernement partagée avec les nationalistes ou s’y opposer frontalement ? Veut-il moderniser le pays ou préserver l’ordre ancien ? Privilégier les intérêts économiques ou les symboles culturels ?
Un avenir incertain mais encore possible
Pourtant, tout n’est pas joué. La situation actuelle, aussi préoccupante soit-elle pour les partisans du maintien dans le Royaume-Uni, n’implique pas une réunification imminente. Le rêve de l’unité irlandaise, malgré les discours enflammés de Sinn Féin, reste largement théorique et sans calendrier crédible.
Ce qui manque cruellement à l’Unionisme, c’est un projet clair, audible, capable de séduire au-delà de la communauté protestante. Un projet fondé sur l’efficacité gouvernementale, la défense des services publics (notamment le NHS), et une identité culturelle ouverte, non belliqueuse. Un projet qui cesse de ressasser le passé pour s’attaquer aux défis sociaux, environnementaux et économiques d’une Irlande du Nord en panne.
Le leadership actuel de Gavin Robinson, jeune et instruit, offre peut-être une lueur d’espoir. Mais sans rupture réelle avec les erreurs du passé, son parti risque de s’enfoncer dans l’oubli, laissant le champ libre à un nationalisme qui, malgré ses propres failles, apparaît aujourd’hui plus cohérent et mobilisateur.
Photo d’illustration : breizh-info.com
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