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La nouvelle vague régionaliste européenne, par Attila Dabis

Alors que la Commission européenne vient de rejeter l’Initiative Citoyenne Européenne de défense des minorités nationales intitulée Minority Safe Pack (en dépit de plus d’un million de signatures et d’un vote largement favorable du Parlement européen), une autre initiative citoyenne poursuivant des objectifs similaires vient de franchir le seuil de signatures.

Cette nouvelle initiative, intitulée Politique de cohésion pour l’égalité des régions et le maintien des cultures régionales, a été entre autres portées par Attila Dabis, un politologue hongrois que Breizh Info avait interrogé en septembre 2020.

Nous publions aujourd’hui la traduction en langue française (réalisée par les équipes de Breizh Info) d’une analyse produite par le Docteur Dabis, intitulée „La nouvelle vague régionaliste européenne”.

Les vagues régionalistes

L’Europe a connu diverses phases de mouvements en faveur de l’autonomie régionale ou de la sécession au nom de l’autodétermination. La mobilisation régionaliste est à l’origine de la dissolution d’États multinationaux (comme l’Union soviétique ou la Yougoslavie), de la fédéralisation d’autres États (comme la Belgique avec le mouvement flamand) ou de la création d’un régionalisme asymétrique ailleurs (les cinq régions à statut spécial d’Italie). Les mouvements des années 1980 étant considérés comme la première vague du régionalisme (comme l’a fait remarquer Rudolf Joó dans son livre « Ethnicity and Regionalism in Western-Europe »), on en observe une deuxième vague après les transitions politiques en Europe centrale et orientale. Suite à cette expansion géographique, un ethno-régionalisme « à plusieurs vitesses » a commencé à se développer. Tandis que les communautés situées derrière l’ancien rideau de fer luttent généralement pour une plus grande reconnaissance ou une plus grande autonomie, d’autres mouvements – principalement en Europe occidentale (Catalogne, Flandre, Écosse) – se sont transformés au fur et à mesure en mouvements indépendantistes.

Il est possible qu’une nouvelle vague d’ethno-régionalisme se développe au sein de l’Union européenne. Elle se concentrerait sur un facteur tout aussi important pour les communautés ethniques de l’Ouest et de l’Est : la préservation de leurs cultures et identités régionales, ainsi que les politiques qui peuvent y conduire. Cela pourra-t-il être réalisé et dans quelle mesure ? Cela dépendra de la capacité des communautés ethniques traditionnelles et des nations sans État de l’UE à formuler des objectifs communs, et à s’engager ensemble pour les représenter. C’est précisément cette solidarité proactive que la pétition citoyenne européenne pour les « régions nationales » entend réaliser.

Les organisateurs de cette pétition estiment que la politique de développement régional de l’UE devrait accorder une attention particulière aux régions dont les caractéristiques ethniques, culturelles ou linguistiques sont différentes de celles des régions environnantes (comme la Flandre, la Catalogne ou le Pays sicule). En bref, nous appelons ces zones, les régions nationales. Ces régions devraient recevoir un soutien financier approprié de l’UE afin de préserver leur culture, leur langue et leur identité distinctes au sein de leurs États respectifs. La pétition invite la Commission européenne à mettre en œuvre les obligations qui lui incombent en vertu des traités fondateurs et à contribuer activement au maintien de la diversité culturelle et linguistique de l’UE. Les organisateurs de la pétition ont pour but de réaliser l’égalité entre les régions et la pérennisation des cultures régionales.

Les intérêts des régions nationales

L’initiative de cette pétition est venue d’une région nationale peu connue appelée le Pays sicule (Szeklerland). D’une superficie de 13 500 km2 et située dans le sud-est de la Transylvanie en Roumanie, le Pays sicule compte environ 800 000 habitants, dont quelque 650 000 Sicules magyarophones qui, tout en appartenant à la nation culturelle hongroise, possèdent une identité régionale marquée, avec notamment leur propre drapeau, leurs armoiries, leur hymne national, leur propre identité et des coutumes distinctes. Alors que le Pays sicule était autrefois une région frontalière du royaume de Hongrie, il est devenu une région centrale de la Roumanie après la première guerre mondiale, en conséquence du traité de Trianon. Les Sicules luttent depuis cent ans pour préserver leur identité face à une administration roumaine hostile à leur communauté, et ce de différentes manières. La discrimination économique a généré artificiellement la pauvreté chez les Sicules, tandis que dans le même temps, la composition ethnique de la région a été modifiée par l’immigration – tout au long du XXe siècle – de travailleurs roumains dans les industries locales.

L’une des forces motrices ayant poussé les organisateurs à initier cette pétition a été la pratique plutôt malheureuse des gouvernements roumains visant à la discrimination économique de la communauté sicule, et ce même après l’adhésion de la Roumanie à l’Union européenne. Les gouvernements centraux transfèrent ainsi proportionnellement moins de fonds européens dans les zones habitées principalement par la communauté sicule que dans les zones peuplées par la majorité ethnique roumaine. En conséquence, le fossé économique entre les territoires sicules et roumains s’est creusé depuis que la Roumanie a rejoint l’UE en 2007. Cette pratique, bien qu’elle soit manifestement contraire au droit de l’UE, n’est pas isolée. D’autres pays (comme la Slovaquie) agissent de même.

Il en ressort que notre attente la plus fondamentale, en tant qu’organisateurs de cette pétition citoyenne, par rapport à l’acte juridique que nous souhaitons réaliser, est de disposer de barrières juridiques adéquates dans le cadre du droit communautaire afin d’empêcher que les fonds européens soient utilisés de manière discriminatoire, au détriment des communautés nationales traditionnelles et des nations sans État.

L’élément de la reconnaissance juridique est tout aussi important parmi les objectifs de cette pétition. Ses organisateurs souhaitent que les régions nationales deviennent des entités juridiques de droit communautaire. Si nous réussissons dans cette entreprise, les régions nationales disposeront d’un nouvel ensemble d’outils juridiques et légitimes pour canaliser leurs propres aspirations régionales directement dans le système décisionnel de l’UE. Pour ce faire, ces régions nationales doivent d’abord être reconnues, notamment parce que certaines d’entre elles dépassent les frontières administratives internes, voire les frontières des États. Le Pays sicule, par exemple, est divisé en trois unités administratives (les départements de Mureş, Harghita et Covasna), dans le cadre de la tactique roumaine classique : « diviser pour mieux régner ». Il y a aussi, par exemple, les Pays catalans, le Pays basque ou le Tyrol qui sont tous trois des régions nationales transfrontalières. La première comprend les régions catalanes du sud de la France ainsi que la généralité de Catalogne, Valence et les îles Baléares, la deuxième comprend les territoires basques d’Iparralde en France et d’Hegoalde en Espagne, tandis que le Tyrol historique s’étend de part et d’autre du Brenner, tant du côté autrichien qu’italien. Le succès de notre pétition pourrait ainsi codifier l’existence de ces régions nationales dans le droit communautaire.

Outre la résolution de ces problèmes, les organisateurs souhaitent également que cette pétition aborde une série d’autres défis auxquels les régions nationales sont confrontées. Il y a par exemple des langues en voie d’extinction, comme le gaëlique irlandais, le breton ou les langues samis. Il est du devoir des législateurs de l’UE d’aider les locuteurs de ces langues dans leur lutte pour les préserver, étant donné que l’Union europénne a l’obligation, en vertu des traités fondateurs, de préserver sa diversité culturelle et linguistique par des actions en faveur de ces langues.

La non-discrimination, l’égalité, la reconnaissance et le maintien des identités sont des objectifs communs des différentes régions nationales.

Perspectives

Les organisateurs ont déjà collecté plus de 1 350 000 signatures à travers l’Europe, impliquant ainsi plusieurs ONG, des municipalités et des partis politiques. Ils sont parvenus à associer quatre organisations européennes à ce travail : l’ALE (Alliance libre européenne), l’ELEN (Réseau européen pour l’égalité des langues), l’UFCE (Union fédéraliste des communautés européennes) et l’ICEC (Commission internationale des citoyens européens). L’initiative de cette pétition a permis de toucher des publics aux origines les plus diverses. Ce mouvement va au-delà des clivages politiques et intègre dans un réseau informel des organisations et des citoyens ayant des visions du monde différentes. Ce mouvement n’est pas une affaire de partis mais possède un véritable noyau civique. Il n’est pas un adversaire, mais un allié des autres mouvements et des organisations européennes engagées dans un travail de défense des communautés nationales traditionnelles, des peuples et des nations sans État d’Europe.

L’importance de ce mouvement va bien au-delà du processus de collecte de signatures lui-même, et vise à renforcer la solidarité entre les communautés nationales traditionnelles d’Europe. Toutes les organisations ayant une vision européenne pour leurs communautés respectives devraient se sentir libres de se joindre à cette nouvelle vague régionaliste. Indépendamment des objectifs souvent divergents des communautés ethniques des parties orientale et occidentale de l’Europe, le point commun de l’action commune est le fait que les habitants de toutes les régions nationales soient attachés à leur langue et à leur culture, et souhaitent préserver leur identité particulière. C’est pourquoi les régions nationales d’Europe doivent unir leurs forces et faire entendre leurs voix respectives au sein de la communauté internationale. L’occasion se présente pour chaque région nationale de transformer ses propres aspirations en une question européenne avec l’aide d’autres nations sans État. Les régions nationales unies constituent une puissance formidable au sein de l’UE. Cette puissance commence à se manifester dans cette nouvelle vague régionaliste européenne.

Budapest, le 8 janvier 2021

Dr. Attila Dabis, Politologue

Illustration : wikipedia (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2020, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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Une réponse à “La nouvelle vague régionaliste européenne, par Attila Dabis”

  1. Marcel Texier dit :

    Cet article illumine ma journée ! Je vois poindre L’Aurore que j’attendais après cinquante ans de combat.
    Il se trouve que je suis en relations avec Attila à travers Facebook. Rudolf Joo, qui était (hélas, il est parti trop tôt…) à l’ambassade de Hongrie à Paris, était un de mes amis. Il parlait un français impeccable. J’ai participé, avec Pierre Lemoine, aux activités de l’UFCE pendant pres de quarante ans. Je vois que tous ces
    efforts n’ont pas été inutiles.

    Au moment où beaucoup désespèrent quant aux chances de survie de la langue bretonne face au rouleau compresseur jacobin, une magnifique lueur d’espoir se lève à l’est !

    “O Erdely szep hazam”

    Marcel Texier

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