Shopping à New York, faux cils, restaurants chics et cadeaux somptuaires… En 2024, des dizaines de maires français ont dépensé près de 3 millions d’euros d’argent public via des « frais de représentation » opaques, rarement contrôlés, et quasi jamais sanctionnés. La Bretagne, elle, fait figure d’exception.
En pleine crise du pouvoir d’achat, une autre forme d’inflation passe largement sous les radars : celle des frais de représentation alloués aux maires et présidents d’intercommunalités. Près de 2,9 millions d’euros ont été dépensés en 2024 par 1 288 élus, selon une enquête fouillée publiée par Mediapart.
Ces enveloppes, distinctes des remboursements de déplacements ou d’indemnités de fonction, sont censées couvrir les « représentations » officielles des édiles. Mais dans les faits, elles servent trop souvent à financer des dépenses personnelles, sans aucun contrôle.
Légalement flou, pratiquement incontrôlé
La loi ne définit pas précisément ce que recouvrent ces fameux frais. Et surtout, aucun texte n’oblige les élus à en fournir les justificatifs, bien que la Cour des comptes en recommande la conservation en cas de contrôle. Mais les audits sont rares, les sanctions inexistantes, et les remboursements exceptionnels.
Dans la pratique, ces frais permettent de contourner le plafond légal des indemnités des élus. Jean-Pierre Gorges, maire de Chartres, perçoit ainsi 24 000 € par an en frais de représentation municipaux, auxquels s’ajoutent 18 000 € versés par l’agglomération — soit 3 500 € nets par mois non fiscalisés, en sus de 8 200 € d’indemnités de fonction. Le tout sans présenter une seule note de frais en vingt-cinq ans, selon son cabinet.
Des petits maires aux grandes dépenses
Le phénomène touche aussi bien les grandes métropoles que les communes balnéaires. Christian Estrosi, président de la métropole Nice-Côte d’Azur, a perçu près de 37 000 €, sans produire le moindre justificatif. Dans le Var, Marc-Étienne Lansade (ex-Reconquête) à Cogolin a encaissé 24 000 €, tandis que les maires de Saint-Tropez, La Garde ou Le Lavandou affichaient des niveaux similaires.
À Palavas-les-Flots, le maire Christian Jeanjean reconnaît tenir une comptabilité précise de ses 20 000 € annuels, mais refuse de la communiquer, évoquant un risque de récupération électorale.
Certains élus, mis en difficulté par des enquêtes de chambres régionales des comptes (CRC), acceptent de rembourser. C’est le cas de Jean-Michel Fourgous (LR, Élancourt), qui a restitué une partie de ses 10 000 € annuels, ou du maire UDI de Couzon-au-Mont-d’Or, incapable de justifier 90 % des sommes perçues entre 2018 et 2020.
La Bretagne et la Corse : les deux seules régions sans abus déclarés
Dans ce panorama peu glorieux, deux régions font exception : la Bretagne et la Corse. Aucun élu n’y a déclaré de frais de représentation abusifs en 2024. Une sobriété qui tranche avec les pratiques répandues en Île-de-France, en Provence-Alpes-Côte d’Azur et dans les territoires ultramarins.
Plutôt que de renforcer les contrôles, certains parlementaires ont même tenté d’élargir ces avantages. Une proposition de loi sénatoriale prévoyait d’étendre les frais de représentation aux présidents de régions et de départements. Elle a finalement été retoquée à l’Assemblée nationale, mais le signal politique est clair : la tentation de l’impunité est institutionnelle.
Au final, la mécanique est bien rodée : des élus perçoivent des montants parfois colossaux, sans obligation légale de les justifier, sans contrôle sérieux, et avec un risque judiciaire quasi nul. La République locale vit sur deux rythmes : celui des contribuables sommés de se serrer la ceinture, et celui d’une caste politico-administrative qui continue, dans l’ombre, de se servir avant de servir.
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