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Ludovine de la Rochère : « Il y a clairement des militants de La Manif pour Tous qui se sont engagés au sein des Gilets jaunes. » [Interview]

Depuis le début du conflit social des Gilets jaunes, les représentants de La Manif pour Tous sont restés très en retrait – du moins officiellement – et se sont bien gardés de donner leur opinion sur une mobilisation sociale qui ne cesse de prendre de l’ampleur. Jusque là, la mobilisation sociale la plus grande des années précédentes était la Manif pour Tous. Nous avons demandé à Ludovine de la Rochère, chef de file de La Manif pour Tous, ce qu’elle pense des Gilets jaunes.

Breizh-Info : Depuis le début de la contestation, vous vous trouvez – ainsi que la Manif pour Tous, assez en retrait. Est-ce que vous soutenez néanmoins les Gilets jaunes ?

Ludovine de la Rochère : Absolument. La Manif pour Tous s’intéresse aux Gilets jaunes à travers une enquête, nous les écoutons et nous intéressons à eux à travers des questions complètement ouvertes.

Breizh-Info : Vous dites « nous nous intéressons à eux » comme s’il s’agissait de deux mondes très différents. Il est vrai que nombre de Gilets jaunes ne sont pas de la même classe sociale que nombre de militants de la Manif pour Tous, et que certains au sein de LMPT reprochent au peuple de ne pas les avoir rejoints en 2013 alors qu’ils manifestaient.

Ludovine de la Rochère : Ces positions ne sont pas représentatives de LMPT. Il y a une très grande diversité sociale au sein de la Manif pour Tous, et sur le terrain il y a clairement des militants de la Manif pour Tous qui se sont engagés au sein des Gilets jaunes. Cependant il est clair que nos revendications ne sont pas sur le même plan. Même si la famille est le premier lieu de solidarité, et que les Gilets jaunes comme nous contestent l’attitude des gouvernants et la déshumanisation progressive de notre société.

Breizh-Info : Autrement dit vous vous intéressez aux causes, alors que les Gilets jaunes dénoncent les conséquences : les taxes, l’éloignement des services publics, la cherté de la vie, le poids de l’État…

Ludovine de la Rochère : Nous nous intéressons aux questions anthropologiques. Ils se sentent oubliés en périphérie, voient les liens sociaux mis en difficulté, expriment leur mal-être que nous comprenons très bien.

Breizh-Info : Autrement dit vous ne retenez que la lecture des médias mainstream et du monde politique, pour lesquels les Gilets jaunes sont du domaine d’une « crise aigüe », d’une « souffrance », ce qui permet fort opportunément de balayer leurs revendications de changement politique radical, de RIC ?

Ludovine de la Rochère : Du fait des causes de la contestation, la conséquence du mouvement des Gilets jaunes impliquera des changements majeurs. Cette cause, c’est le sens de la société pris par des décennies depuis que les gouvernants pensent mieux savoir que le peuple ce qui est bon pour lui et le mettent délibérément de côté.

Breizh-Info : Il y a quelques temps nous avions donné la parole à une élue PCD d’opposition municipale à Nantes, Blandine Krysmann, qui avait déclaré dans nos colonnes au sujet de l’important nombre de femmes au sein des Gilets jaunes que « les difficultés touchaient à leurs familles, à leurs tripes ». Et vous, que pensez-vous des raisons qui ont poussé nombre de femmes à rejoindre les Gilets jaunes ?

Ludovine de la Rochère : Beaucoup de Gilets jaunes parlent de l’UE, de l’immigration, mais aussi spontanément de leurs familles et de la part immatérielle qui les inquiète. La politique familiale est évidemment en cause et je pense qu’il faut remettre en question la direction prise par celle-ci.

Breizh-Info : Que pensez-vous du grand débat ?

Ludovine de la Rochère : Macron ne veut discuter que dans l’espace qui l’arrange. Cependant tant qu’il n’aura pas tenu compte des consultations existantes comme les états généraux de la bioéthique, on ne pourra pas s’attendre qu’il tienne compte du débat. D’autant que sa lettre a montré qu’il souhaite lui même élaborer les questions et même les conclusions – par exemple au sujet des services publics, il en parle et met tout de suite sur la table la question du financement, donc il restreint la liberté du public pour répondre. En fait, il veut en venir au fait qu’il n’y a pas d’argent, donc on ne peut pas faire plus. Cela dit on peut faire mieux !

Breizh-Info : Mieux, mais comment ?

Ludovine de la Rochère : Il faut déjà que l’État cesse de vouloir être la Providence – tant qu’on mentira à ce sujet, il y aura des déceptions.

Breizh-Info : Donc il faut moins d’État ?

Ludovine de la Rochère : Il faut mieux d’État. L’État ne peut pas tout faire, tout remplacer, notamment la famille. Il n’aime pas la famille et veut prendre sa place, mais c’est un échec retentissant.

Breizh-Info : Les thèses de La Manif pour Tous, quatre ans après la mobilisation, semblent connaître un problème de représentation politique, notamment à droite et ce même chez LR où des proches de la Manif pour Tous (Sens commun) ont réussi pourtant à s’implanter et même à avoir en partie les clés du parti. Que se passe-t-il ?

Ludovine de la Rochère : Il y a un tel bouleversement  lié à la remise en cause radicale par les gilets jaunes, mais aussi au retournement intellectuel en cours que les partis sont en stand by et mal à l’aise. Ils n’arrivent pas à se remettre en cause sur un temps très court et à s’arracher à leur routine. Certes, il faut que des politiques émergent. Les choses prennent du temps : l’idéologie du genre a par exemple émergé dans les années 50 et a été peaufinée dans les années 1960. Mais il peut y avoir des coups d’accélérateur de l’histoire.

Breizh-Info : N’y a t-il pas tout simplement un problème de compétences ?

Ludovine de la Rochère : Certes ; mais aussi un problème de travail de fond.

Breizh-Info : La droite parlementaire – et même le FN –semble tout à fait dépassée, tétanisée, face aux Gilets jaunes.

Ludovine de la Rochère : la gauche l’est encore plus car le réel est têtu et finira par s’imposer. De plus les conservateurs maintenant s’affichent, le bouillonnement intellectuel est de leur côté, la peur a changé de camp.

Breizh-Info : Des Gilets jaunes lassés de ne pas être représentés dans les médias lancent aussi les leurs – comme le Média pour Tous, Vécu, GJ Info

Ludovine de la Rochère : C’est clair, l’initiative change de camp. Regardez le FigaroVox, qui est plus tranché et conservateur que le Figaro, il cartonne. Je suis d’ailleurs très impressionnée de voir comment les Gilets jaunes sont au courant de l’actualité et se rendent compte que les médias [mainstream] ne disent pas ce qu’ils font et sont. De plus, ils ne sont pas dans les codes et n’ont rien à perdre, ils sont donc prêts à continuer coûte que coûte, et Macron l’a très bien compris.

Breizh-Info  : Au sein des Gilets jaunes, beaucoup le comparent à Louis XVI, qui a mis un temps certain aussi pour comprendre, et quand il a compris, c’était trop tard. Qu’en pensez-vous ?

Ludovine de la Rochère : Je me méfie des parallèles historiques hâtifs. Louis XVI, c’était par humilité, Macron par orgueil.

Breizh-Info : Timidement, la presse mainstream commence à parler des 1 700 Gilets jaunes blessés depuis le 17 novembre, dont la plupart en manifestation par les armes des forces de l’ordre. Cela devient-il trop gros à cacher ?

Ludovine de la Rochère : C’est un  vrai scandale, on n’a jamais vu ça même en 1968. On assiste au retour des voltigeurs avec des policiers qui retirent masques et sérum physiologique aux manifestants pour les pousser à quitter la manifestation. Certes, ça commence à sortir dans les grands médias, mais cela aurait dû être public beaucoup plus vite, si la droite était au pouvoir elle ferait face à un tsunami médiatique, là, rien ou presque.

Breizh-Info : Y a t-il une vraie complicité des médias avec Macron, comme on a pu le voir au moment de la campagne présidentielle ?

Ludovine de la Rochère : Je n’aime pas en parler. Il y a aussi un élément très important : les médias ont aussi peur. Il n’est jamais arrivé aux journalistes d’assister à une telle révolte et d’avoir en face des Gilets jaunes qui n’en ont rien à faire des codes et de l’entre-soi. Cela dit, leur détermination peut changer des choses.

Breizh-Info : Aujourd’hui, pensez-vous que la Manif pour Tous peut prendre position pour soutenir les Gilets jaunes ?

Ludovine de la Rochère : Les Gilets jaunes nous remettraient à leur place si on s’exprimait à leur place. Nous voulons éviter d’être taxés de récupérateurs, donc il n’en n’est pas question.

Breizh-Info : Nous parlions des partis tétanisés, surtout à droite, voyons maintenant les évêques. La Manif pour Tous s’était organisée essentiellement en-dehors des structures de l’Eglise, et maintenant qu’il y a les Gilets jaunes, ils se taisent aussi, alors qu’ils ne se sont pas privés de dire leur soutien à Macron ou faire la propagande de l’invasion migratoire, au détriment d’ailleurs de la misère sociale de plus en plus présente en France et qu’ils ne semblent pas voir. Que pensez-vous de ce silence assourdissant des évêques ?

Ludovine de la Rochère : Le rôle des évêques n’est pas de faire du militantisme. Qu’ils l’aient fait en faveur des migrants ou de Macron ce n’est pas normal. Quand ils appellent à voter pour un tel ou un tel, ce n’est pas normal. S’ils s’occupent des sacrements, de la formation spirituelle, de la prière, ils ont rempli leur rôle de pasteur. Certains se sont faits embarquer dans la théologie de la libération ou se sont rapprochés du communisme, ils sont sortis de leur rôle.

Breizh-Info : Dernière question : quel est à votre avis l’avenir de la Manif pour Tous ?

Ludovine de la Rochère : Son avenir est assuré. Les enjeux sont plus que jamais d’actualité, les menaces sont plus graves que jamais. La persévérance est un des piliers du combat de la Manif pour Tous – nous empêchons déjà depuis six ans la légalisation de la PMA sans père et d’autres transgressions, via les manifestations, la crainte que nous suscitons, notre présence partout en France. Je suis convaincue que nous finirons par avancer dans le bon sens. La Manif pour Tous a aussi joué un rôle très important dans la bascule idéologique, en France comme ailleurs.

Propos recueillis par L.B. Greffe

Crédit photo : Peter Potrowl/Wikimedia (cc)
[cc] Breizh-info.com, 2019, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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