Un éminent républicain qui a participé à la grève de la faim de 1980 interviewé par Irish News (et dont nous avons traduit l’interview ci-dessous) déclare qu’il n’a aucun regret bien qu’il ait frôlé la mort il y a 40 ans, en 1980, à l’occasion de la première grande grève de la faim menée par les prisonniers Républicains irlandais réclamant notamment le statut de prisonniers politiques.
Tommy McKearney n’avait plus que quelques heures à vivre lorsque la grève de la faim a finalement été annulée alors qu’un autre des participants, Sean McKenna, était au bord de la mort.
La grève de la faim, à laquelle participaient six membres de l’IRA et un prisonnier de l’INLA, a duré 53 jours après avoir été lancée le 27 octobre 1980.
Cette grève de la faim est survenue quatre ans après le premier refus des républicains de porter l’uniforme carcéral, lorsque le statut de prisonnier politique leur a été retiré.
La décision du gouvernement britannique a été considérée comme faisant partie d’une politique de criminalisation des républicains, à laquelle ils ont farouchement résisté.
La protestation a été déclenchée après que Kieran Nugent, de Belfast, ait refusé de porter un uniforme après avoir été transféré aux H-Blocks de la prison de Crumlin Road préférant s’envelopper nu dans une couverture de prison.
Les « Blanketmen », comme on appelait les républicains protestataires, ont ensuite commencé à manifester sans relâche, notamment en étalant des excréments sur les murs de leurs cellules, revendiquant le statut de prisonnier politique (lire à ce sujet « Un jour dans ma vie » de Bobby Sands).
La campagne s’est intensifiée avec la grève de la faim de 1980, lorsque les prisonniers ont lancé plusieurs revendications dont le droit de ne pas porter d’uniforme de prisonnier, de ne pas travailler en prison, le droit de s’associer librement et d’organiser des activités éducatives et récréatives ou encore le droit à une visite, une lettre et un colis par semaine.
Les grévistes de 1980 étaient : Brendan Hughes, Raymond McCartney, Tommy McKearney, Tom McFeely, Leo Green, Sean McKenna et John Nixon.
Le 1er décembre, trois femmes détenues à Armagh – Mary Doyle, Mairéad Farrell et Mairéad Nugent – ont également rejoint la grève de la faim.
M. McKearney, qui est originaire de la région de Moy, a été condamné en 1978 pour avoir tué un membre de l’UDR et a purgé 16 ans avant d’être libéré en 1993.
Il s’est immédiatement joint à la grève générale après avoir été transféré de la prison de Crumlin Road, où il était en détention préventive.
L’homme de 68 ans estime que plusieurs raisons expliquent cette grève de la faim.
« Pour la communauté internationale, la Grande-Bretagne était engagée dans une lutte en Irlande qui était considérée comme une lutte impériale, une lutte coloniale« , a-t-il déclaré.
« Les Britanniques ont décidé de proposer un autre récit et de criminaliser la lutte irlandaise, ils utilisaient les prisonniers comme une sorte d’occasion de nous montrer en uniforme de prisonnier effectuant des tâches subalternes. Pour cette raison, il est devenu impératif pour nous de résister à cela ».
« Nous avons fait cela dans un contexte politique bien plus large. D’une certaine manière, c’était une dette que nous avions envers l’histoire, que nous avions envers les camarades qui nous avaient précédés dans la lutte. Et aussi dans une perspective d’avenir, car personne ne peut soutenir une entreprise criminelle – alors qu’une bataille patriotique pour la démocratie et la libération est quelque chose que les gens soutiennent »
M. McKearney a déclaré que la décision de lancer la grève de la faim est intervenue après l’échec de toutes les autres tactiques.
« Je crois que lorsque la grève de la faim a commencé, nous avions épuisé toutes les autres possibilités. Nous avons eu recours à la dernière carte dont dispose tout prisonnier : la grève de la faim »
Alors que la vie de Sean McKenna était menacée suite à cette grève de la faim, Brendan « The Dark » Hughes, qui était responsable des prisonniers en grève, a pris la décision de mettre fin à la protestation, pensant qu’un accord serait conclu.
Les Républicains Irlandais ont ensuite accusé le gouvernement britannique, dirigé par Margaret Thatcher, de revenir sur ses engagements.
« Ce dont je me souviens, explique McKearney, c’est qu’il y a eu des appels du pied très forts, des tractations pour répondre à nos demandes et à nos revendications »
Il pense que les Britanniques ont agi de mauvaise foi.
Après la grève de la faim, M. McKearney et les autres participants se sont rétablis à l’hôpital de la prison avant d’être renvoyés dans les ailes républicaines.
Il a décrit Brendan Hughes comme un « homme très pragmatique » pour lequel il avait « une énorme admiration ».
« Avec le recul, je ne sais pas s’il aurait pu faire quelque chose de plus », a-t-il déclaré.
Dans les jours qui ont suivi la grève de la faim, les esprits se sont échauffés lorsque les autorités ont de nouveau tenter de distribuer des uniformes aux détenus républicains au lieu de leurs vêtements personnels.
Les patriotes irlandais, alors dirigés par Bobby Sands, ont décidé de lancer une deuxième grève de la faim qui a débuté en mars 1981 et qui a entraîné la mort de 10 républicains avant d’être également arrêtée.
Bien que M. McKearney ait soutenu pleinement les participants à la deuxième manifestation, il a déclaré qu’il était préoccupé par l’augmentation du nombre de morts.
« J’étais très inquiet du prix à payer. Une fois qu’une personne est morte, c’est un engrenage, vous vous retrouvez dans une lutte longue et prolongée. Avant la fin, j’avais très peur que cela continue. Je n’étais pas sûr du succès que cela aurait pu avoir. Je pense qu’il ne faut pas oublier la façon dont ça s’est terminé. Je pense que nous aurions dû appeler à stopper la grève plus tôt, mais c’est facile à dire, c’est facile d’être sage avec le recul ».
Alors que la grève de la faim de 1981 touchait à sa fin, Denis Faul, prêtre catholique en campagne, a fait pression sur certaines familles pour qu’elles interviennent afin de sauver la vie de plusieurs hommes qui avaient perdu connaissance.
« A ce stade, nous aurions dû intervenir plutôt que de laisser ce fardeau horrible aux familles et de laisser un prêtre catholique prendre l’initiative… Cela aurait dû être l’IRA » indique McKearney.
Cependant, il estime que la grève de la faim « a démontré sans l’ombre d’un doute que la cause républicaine était largement soutenue au sein de la communauté nationaliste républicaine du nord ».
Et, 40 ans après, le militant républicain ne regrette rien : « Ecoutez, nous avons fait de notre mieux. Je ne regrette rien. Ou plutôt mon seul regret est que nous ayons perdu, pas que nous ayons mené la bataille »
Traduction d’un article d’Irish News
Illustrations : DR
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