La Première Guerre mondiale a marqué l’histoire de l’Irlande de manière indélébile. À la bataille de la Somme, qui s’est déroulée du 1er juillet au 18 novembre 1916, des milliers d’Irlandais, tant unionistes que nationalistes, ont combattu sous la bannière britannique, écrivant une page poignante de leur histoire collective. Cet épisode de la Grande Guerre réunit des soldats de diverses convictions politiques, unis temporairement par le même engagement dans une guerre mondiale. Pour l’Irlande, ce conflit a eu des répercussions profondes, influençant la politique intérieure et la mémoire collective.
Les Irlandais au cœur des combats
L’île d’Irlande, alors au bord de la guerre civile à cause de la question de l’autonomie (Home Rule), était représentée dans la diversité des tranchées alliées. En 1914, la perspective d’une autonomie pour l’Irlande divisait la population : les catholiques nationalistes du sud y étaient favorables, tandis que les protestants unionistes du nord s’y opposaient farouchement. Cette fracture avait conduit à la formation de la Force Volontaire d’Ulster (UVF) en 1913 pour s’opposer à l’autonomie, à laquelle répondit la création des Volontaires irlandais nationalistes. Pourtant, la Première Guerre mondiale mit en pause ce conflit interne.
À l’appel du ministre britannique de la Guerre, Lord Kitchener, qui exhortait les civils à rejoindre l’effort de guerre, les unionistes et les nationalistes irlandais répondirent. Edward Carson, leader unioniste, obtint la promesse que le projet d’autonomie serait suspendu pendant la durée de la guerre, et l’UVF forma la base de la 36e Division d’Ulster. De leur côté, les nationalistes, sous l’impulsion de John Redmond, chef du Parti parlementaire irlandais, s’engagèrent avec l’espoir qu’une loyauté prouvée mènerait à l’autonomie après la guerre. Cependant, la participation des nationalistes était divisée, et certains d’entre eux prirent part à l’insurrection de Pâques 1916, un soulèvement contre la domination britannique.
Les divisions irlandaises sur le front de la Somme
Deux grandes divisions irlandaises ont pris part aux combats de la Somme : la 36e division (Ulster) et la 16e division irlandaise. Ces unités représentent deux visages de l’Irlande de l’époque, marquée par des tensions entre les unionistes protestants et les nationalistes catholiques.
La moitié des 4000 irlandais tués au combat appartenait à cette division unioniste de la 36e (Ulster), issue de la Force Volontaire d’Ulster de Sir Edward Carson. Leur baptême du feu eut lieu le premier jour, lors d’une attaque sur la redoute Schwaben, un bastion allemand bien défendu. Grâce à une décision audacieuse de leur commandant, le général-major Sir Oliver Nugent, la division était déjà en territoire ennemi lorsque l’artillerie cessa de tonner. Cette anticipation leur permit de devancer les mitrailleurs allemands et de prendre d’assaut les premières lignes ennemies. Pourtant, l’échec des autres divisions voisines exposa leurs flancs et les privèrent de renforts, les condamnant à essuyer de lourdes contre-attaques allemandes. À la fin de la journée, la 36e Division avait perdu près de 2 000 hommes.
La 16e division irlandaise, composée en grande partie de nationalistes, représentait l’autre côté de la fracture politique irlandaise. Sous l’impulsion de John Redmond, qui voyait dans l’engagement militaire un moyen de renforcer la position de l’Irlande au sein du Royaume-Uni et d’obtenir l’autonomie (Home Rule), de nombreux nationalistes se sont enrôlés.
Pour les nationalistes irlandais de la 16e Division, le moment décisif arriva le 65e jour de la bataille. Le 7e régiment des Leinsters et le 6e des Connaughts, comprenant de nombreux catholiques de Belfast, prirent part à l’assaut sur le village de Guillemont, un objectif maintes fois manqué. Bien que victorieuse, l’attaque coûta cher : les pertes dépassèrent les 40 % et deux Croix de Victoria furent décernées en reconnaissance de cet acte héroïque. Six jours plus tard, ces bataillons participèrent à la prise de Ginchy, où Thomas Kettle, ancien député nationaliste, poète et économiste, perdit la vie en menant son régiment des Fusiliers de Dublin. Son sacrifice et celui des autres Irlandais de Guillemont et de Ginchy furent longtemps oubliés, conséquence de l’ambivalence autour de la participation irlandaise à l’armée britannique. Aujourd’hui, cette mémoire est redécouverte et réhabilitée.
La portée politique et culturelle de l’engagement irlandais
La participation des Irlandais à la bataille de la Somme a eu un impact majeur sur l’histoire de l’île. Pour les unionistes, la bravoure de la 36e division a renforcé leur identité collective et leur lien indéfectible avec la Grande-Bretagne. Chaque année, les commémorations du 1er juillet, rappellent le sacrifice des hommes de l’Ulster et symbolisent leur dévouement à la cause protestante et unioniste.
Pour les unionistes du nord, le sacrifice de la 36e Division d’Ulster devint un symbole fort de leur loyauté envers la Couronne britannique. Le souvenir de leurs actes héroïques fut célébré à travers des marches, des commémorations et même des fresques à Belfast. Cependant, la mémoire des combattants de la 16e Division et des nationalistes irlandais sombra peu à peu dans l’oubli, particulièrement après la partition de l’Irlande en 1922 et la transformation de l’État libre d’Irlande en république en 1949.Les survivants de la 16e division irlandaise ont souvent été marginalisés dans le nouvel État libre d’Irlande, leur engagement au sein de l’armée britannique étant en contradiction avec l’élan indépendantiste qui s’imposait dans le sud du pays.
Les lieux de mémoire à visiter aujourd’hui
Plusieurs sites en France honorent la mémoire des soldats irlandais tombés à la bataille de la Somme :
- L’Ulster Tower à Thiepval : Ce monument, inauguré en 1921, est une réplique de la tour de Helen’s Tower en Irlande du Nord, un symbole cher aux soldats de l’Ulster. Il est l’un des premiers monuments érigés sur le front occidental et représente un point de mémoire essentiel pour les unionistes.
- Le Mémorial de Guillemont et de Ginchy : Ces deux villages, où la 16e division irlandaise a livré de violents combats, possèdent des plaques commémoratives qui rendent hommage aux soldats nationalistes. Chaque année, des cérémonies se tiennent pour rappeler leur courage et leur sacrifice.
- Le musée de la Grande Guerre à Péronne : Ce musée propose une perspective complète sur la bataille de la Somme, incluant des sections consacrées aux différentes divisions qui y ont combattu, y compris les Irlandais.
- Le cimetière militaire et le mémorial de Thiepval : Ce site rend hommage aux soldats disparus sans sépulture. Parmi les milliers de noms gravés sur le mémorial, figurent ceux des combattants irlandais, un rappel poignant des pertes humaines immenses.
Le déroulement du premier jour de la bataille de la Somme
La bataille de la Somme (1er juillet 1916) a marqué le début de la bataille d’Albert (1er-13 juillet), correspondant aux deux premières semaines de la campagne. L’offensive a impliqué neuf corps de l’armée française et des quatrième et troisième armées britanniques contre la 2e armée allemande sous le commandement du général Fritz von Below. L’attaque s’étendait de Foucaucourt, au sud de la Somme, jusqu’à Serre et Gommecourt, au-delà de la rivière Ancre.
Objectifs et avancées
- Objectif principal : capturer les positions défensives allemandes, de Serre à la route Albert-Bapaume, et les positions au sud de cette route jusqu’à Foucaucourt.
- Succès partiels : au sud de la route, la défense allemande s’est effondrée, permettant aux Français de réussir sur les deux rives de la Somme. Les Britanniques ont également progressé de Maricourt jusqu’à Montauban et Fricourt.
- Résultats mitigés : des unités britanniques comme le XIIIe corps ont pris Montauban, tandis que le XV corps a capturé Mametz. Cependant, des revers sévères ont été subis, notamment pour le IIIe corps près de La Boisselle, où la 34e division a enregistré le plus de pertes.
Contre-attaques et difficultés
- Les contre-attaques allemandes ont permis de regagner du terrain au nord de la route Albert-Bapaume. Des assauts britanniques supplémentaires sur Thiepval ont échoué, entraînant de lourdes pertes.
- Sur la rive nord de l’Ancre, le VIIIe corps a subi de lourdes pertes en tentant de traverser le no man’s land.
- L’attaque de diversion du VIIe corps à Gommecourt a également échoué, conduisant à un bilan mitigé.
Bilan humain et tactiques
- Pertes : la journée s’est soldée par 57 470 mis hors de combat côté britanniques, dont 19 240 morts, tandis que les Français ont eu 1 590 pertes. Les Allemands ont comptabilisé entre 10 000 et 12 000 pertes ou mise hors de combat.
- Tactiques : les préparatifs britanniques reposaient sur une coordination entre l’artillerie et l’infanterie, mais la qualité variable des munitions a limité leur efficacité. Les troupes portaient environ 30 kg d’équipement et étaient soutenues par des unités spécialisées dans le nettoyage des tranchées.
- Artillerie et bombardements : la préparation de l’artillerie britannique s’est avérée insuffisante dans certaines zones, entraînant des pertes massives lorsque les soldats ont avancé sous le feu des mitrailleuses allemandes.
Le premier jour de la bataille de la Somme, bien que marqué par des échecs stratégiques et un terrible bilan humain, a mis en lumière le courage des soldats irlandais, qu’ils soient républicains ou unionistes. Leur participation, souvent oubliée ou minorée dans les récits historiques, est un témoignage poignant de l’engagement et du sacrifice de l’Irlande pendant la Première Guerre mondiale. Pour la communauté unioniste, la bataille est restée un symbole fort de leur dévouement à la couronne, tandis que pour l’ensemble de l’Irlande, elle incarne une page complexe et douloureuse d’une histoire partagée dans la boue des tranchées de la Somme. Ces événements ont contribué à façonner les mémoires collectives et à nourrir, de part et d’autre, les récits sur l’identité irlandaise et ses relations avec le Royaume-Uni.
Photo d’illustration : breizh-info.com (DR)
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Une réponse à “11 novembre 2024. Quand Unionistes et Républicains irlandais mourraient pour la Couronne Britannique à la bataille de la Somme”
Je suis un Flamand de France frontalier. Je connais bien l’histoire de John Redmond, enterré à Loker(B)/Locre. Sa tombe, très bien entretenue, se trouve dans un petit cimetière de 4m de côté, séparé, de manière très symbolique, du cimetière militaire anglais voisin avec ses centaines de tombes. Un hommage particulier lui est rendu par des Irlandais de passage à Loker/Locre.