BCE : « gardez du cash chez vous » — un conseil institutionnel… au moment même où la chasse à l’argent liquide s’intensifie

La Banque centrale européenne recommande désormais aux foyers de conserver une réserve d’espèces à domicile — l’équivalent de 70 à 100 € par personne, de quoi tenir environ 72 heures en cas de bug massif, panne électrique ou crise systémique. Un rappel qui sonne comme un paradoxe, à l’heure où la numérisation des paiements s’accélère et où les États comme les banques réduisent l’accès au cash au nom de l’efficacité et de la lutte contre la fraude.

Ce que dit l’étude

Dans un article de son Economic Bulletin publié le 24 septembre, la BCE tire les leçons de quatre épisodes récents — Covid-19, invasion de l’Ukraine, panne géante ibérique d’avril 2025, crise grecque — et constate que la demande de billets explose à chaque soubresaut. Pendant la pandémie, la circulation nette de billets en zone euro a ainsi bondi de plus de 140 milliards d’euros en deux ans, malgré l’envolée du sans-contact au quotidien. La Banque résume : le cash reste un « pneu de secours », indispensable quand les systèmes numériques tombent.

Dans cette logique de résilience, l’institution met en avant des pratiques nationales déjà en place : Pays-Bas, Autriche, Finlande recommandent 70 à 100 € par personne (souvent en petites coupures), précisément pour couvrir trois jours de besoins essentiels.

Pourquoi c’est « paradoxal »

Le message de Francfort heurte la trajectoire du moment : dématérialisation accélérée, raréfaction des DAB, “tout-carte” jusqu’au café du coin. Or la BCE souligne que plus la stabilité est menacée, plus l’utilité du cash s’intensifie – qu’il serve de moyen de paiement “hors ligne” ou de réserve de précaution. L’onde de choc de la panne électrique du 28 avril en Espagne et au Portugal l’a encore illustré : distributeurs pris d’assaut, reconstitution de stocks de billets dès le retour du courant.

Le Financial Times résume le tournant : “gardez du cash à la maison”, et renforcez l’accès physique aux espèces (ex. distributeurs « anti-panne » en Finlande, déploiements autrichiens en zones rurales). En creux, la BCE invite les gouvernements à s’aligner sur ces lignes directrices.

À quoi sert concrètement cette réserve ?

• Faire ses courses et payer des services courants si réseaux bancaires, internet ou terminaux carte tombent.
• Rester autonome 72 h, horizon classique de préparation aux crises (alimentation, transports, pharmacie).
• Éviter l’effet panique et les files devant les DAB lors d’une coupure.
  Ces recommandations rejoignent, côté néerlandais, le seuil de 70 € par adulte et 30 € par enfant pour trois jours.

Liberté, contrôle et vie privée : le débat qui fâche

C’est là que le paradoxe devient politique. Alors que la “guerre au cash” progresse (suppression de distributeurs, plafonds, suspicion systématique), l’autorité monétaire rappelle que l’espèce garantit une continuité des échanges, l’inclusion des publics éloignés du numérique — mais aussi une part de vie privée qui échappe aux capteurs et aux algorithmes. L’argent liquide n’est pas seulement un moyen de paiement : c’est un espace de respiration civique quand les réseaux flanchent… ou quand leur omniprésence dérange.

La BCE le martèle : l’euro numérique, annoncé à l’horizon 2029, compléterait le cash, mais ne le remplacerait pas. Traduction : maintenir l’accès aux espèces reste une exigence de sécurité collective. Raison de plus, selon la Banque, pour garantir la disponibilité des billets et la robustesse de l’infrastructure (distributeurs, logistique).

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