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CMB-Arkea : l’« indépendance » était un rêve

Tout commence en septembre 2015 lorsque la Confédération nationale du Crédit mutuel, qui coiffe l’ensemble des fédérations, abandonne son statut d’association loi de 1901 pour devenir une société coopérative à capital variable – ce que réclame l’autorité de tutelle qu’est la BCE. Evidemment, il existe un sérieux problème : Michel Lucas – un Breton de Lorient – cumule deux casquettes : président de la CNCM et président du groupe CM 11-CIC, piloté depuis Strasbourg, la composante la plus importante du Crédit mutuel ; il y a conflit d’intérêts, affirment certains. « Aujourd’hui, la confédération ne peut pas imposer de décisions aux fédérations, elles sont autonomes. Mais dans un système coopératif, il suffit de la majorité des voix. Le CM –CIC a cette majorité », explique un connaisseur du dossier (Le Monde, vendredi 13 novembre 2015). Or le groupe CM 11-CIC réunit onze fédérations et sa filiale CIC, tandis que le groupe Arkéa ne regroupe que deux fédérations (Crédit mutuel de Bretagne et Crédit mutuel du Sud-Ouest, ainsi qu’une quarantaine de filiales spécialisées). De ce fait, le premier pèse plus lourd que le second.

Cette affaire tombe en pleine campagne électorale pour les élections régionales de décembre. Parlementaires, candidats, chefs d’entreprise apportent leur soutien à Jean-Pierre Denis, président du CMB et d’Arkéa, et au directeur général Ronan Le Moal. Un exemple avec Marc Le Fur, à la fois député de Lamballe et chef de file de la liste de droite aux régionales : il évoque le risque « d’une mise sous tutelle qui s’apparente, en Bretagne, à une colonisation bancaire, à une véritable OPA qui aurait pour effet de priver la Bretagne d’un centre de décision essentiel qui a fait ses preuves et qui se porte bien » (Ouest-France, Bretagne, 20 octobre 2015). Tout de suite, Jean-Pierre Denis ouvre le feu ; il explique que la réforme en cours aboutirait à « la remise en cause quasi immédiate de nos centres de décision et une cascade de destruction d’emplois, sous couvert de rationalisation ». Et c’est alors que le mot « autonomie » apparaît : « Nous ne laisserons rien passer qui viendrait réduire notre liberté de décision. Pour une raison évidente : l’autonomie ne se divise pas […] Si nos 334 caisses locales estiment que le CM Arkéa n’est pas à vendre alors cette réforme ne nous concerne en rien. Le Crédit mutuel appartient à ses clients –sociétaires. » (Ouest-France, 14-15 novembre 2015)

Les élus suivent le mouvement

La guerre est déclarée puisque maintenant le tandem Denis-Le Moal veut obtenir « le statut d’un groupe coopératif et mutualiste indépendant, distinct du reste du Crédit mutuel » (Le Figaro Economie, mardi 16 janvier 2016). Il s’agit donc de quitter la Confédération nationale du Crédit mutuel, structure de tête du groupe coopératif et son organe central. Au préalable, les administrateurs des caisses locales ont été invités à approuver ce projet. « Nous avons rencontré un fort taux de participation : 90,8 %. Aucun administrateur breton n’a voté en faveur de la réforme portée par la confédération. Dix-neuf se sont abstenus. 99,3 % des administrateurs des caisses locales se sont exprimés en faveur de l’autonomie du groupe Crédit mutuel Arkéa », se félicite Jean-Pierre Denis (Ouest-France, Bretagne, mercredi 2 décembre 2015). Un score à la soviétique qui fait rire celles et ceux qui ont une petite idée sur la composition des conseils d’administration des caisses locales. Le plus souvent, les présidents sont des pantins et les administrateurs des potiches, les uns et les autres « sélectionnés » par la directrice de la caisse qui les mène par le bout du nez. Ces élus sont des « braves gens » qui obéissent à la technostructure ; ce qui a détruit l’esprit mutualiste qui était la règle autrefois. Le président d’une caisse locale était le vrai patron, il n’était pas « toutouisé » (sic)

Il faudrait écrire un livre pour conter les initiatives des deux parties, ainsi que les nombreuses péripéties qui vont émailler les années 2016, 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021. On verra ainsi le conseil d’administration de la Confédération nationale du Crédit mutuel réuni en « formation disciplinaire » prononcer un blâme à l’encontre du groupe Arkéa – une décision prise à l’issue d’une procédure contradictoire et de la remise des conclusions d’un bâtonnier, rapporteur indépendant saisi par la Confédération sur ses griefs à l’encontre d’Arkéa (Les Echos, jeudi 12 janvier 2017). Très sûr de lui, Nicolas Théry, président de la Confédération, peut affirmer : « Les événements récents vont tous dans le sens du maintien de l’unité du groupe. Aujourd’hui, sa structure de tête, la Confédération nationale du Crédit mutuel, fonctionne conformément à toutes les exigences. Le Conseil d’Etat a dit le droit en qualifiant de « gesticulations » la politique d’obstruction systématique d’Arkéa. La banque centrale européenne vient de nous confirmer que la Confédération est son interlocuteur unique. Le texte voté par les représentants des sociétaires d’Arkéa est un amphigouri, il dit tout et son contraire : rester dans le Crédit mutuel tout en le faisant exploser en six groupes distincts. De quoi cette stratégie de vraie-fausse rupture est-elle le nom ? En outre, ce vote représente 334 caisses locales, mais au Crédit mutuel il y a aussi 1 800 caisses locales qui sont favorables à l’unité du groupe, seule option raisonnable. » (Le Monde, samedi 25 février 2017). La messe est dite. Même si « le 7 avril, le conseil d’administration d‘Arkéa a approuvé à l’unanimité le versement pour les numéros 1 et 2 de la banque » de la part variable de leur rémunération « avec un critère pour le moins surprenant : 12 % […] sont indexés sur « l’émancipation et la totale indépendance » de la banque envers la Confédération nationale du Crédit mutuel » (Le Canard enchaîné, 12 avril 2017)

Ronan Le Moal et Jean-Pierre Denis s’en vont ou bien sont priés de partir

C’est dans ces conditions de lutte permanente pendant ces années qu’on arrive en février 2020. Un coup de tonnerre : au cours d’un conseil d’administration extraordinaire, Ronan Le Moal, directeur général d’Arkéa, annonce son départ. « Après plus de vingt-cinq ans au sein du groupe, je tourne avec émotion une page professionnelle importante. C’était pour moi le bon moment. Je n’ai jamais caché mon envie d’être entrepreneur et c’est donc naturellement cette voie que je souhaite emprunter aujourd’hui », explique-t-il (Le Télégramme, jeudi 13 février 2020). Pourquoi un directeur général qui portait le projet d’indépendance depuis six ans, s’en va-t-il brusquement ? L’ « envie d’être entrepreneur » ressemble fort à une explication « politique » qui cache lassitude face à l’échec programmé et désaccord soit avec le président, soit avec les membres du conseil d’administration.

Un second coup de tonnerre survient un an plus tard. Lundi 15 mars 2021, Jean-Pierre Denis, président d’Arkéa, annonce qu’il ne demandera pas le renouvellement de son mandat d’administrateur lors de l’assemblée générale de mai ; il abandonne donc son job de président. « Au final, ce sont les deux promoteurs du « projet d’indépendance » d’Arkéa vis-à-vis de la Confédération nationale du Crédit mutuel, l’organe central du groupe mutualiste, qui auront quitté le navire. Baptisé « Liberté », ce projet qui a fait l’objet de nombreux contentieux de part et d’autre depuis 2014, avait été « mis sur pause » l’année dernière. » (Le Télégramme, vendredi 12 mars 2021). « Mon départ ne remet rien en cause », affirme M. Denis. Et le projet d’indépendance reste à l’ordre du jour « parce que ce n’est pas le projet d’un dirigeant mais d’un groupe tout entier ». « Jean-Pierre Denis compte sur son départ pour dépersonnaliser le projet d’indépendance. » (Le Télégramme, mercredi 17 mars 2021). Si le dossier se présentait bien avec l’espoir d’un succès à moyen terme, Denis n’aurait pas eu envie de quitter des fonctions fort lucratives. L’« indépendance » était la grande affaire de sa carrière professionnelle, avec la perspective de devenir un « grand » banquier débarrassé de la tutelle de la Confédération. Son argument demeure contestable : « La Confédération s’est immiscée dans des choix qui relèvent d’abord des instances du groupe Arkéa. Elle a porté atteinte à ma liberté de choix », souligne-t-il (Ouest-France, Bretagne, mercredi 17 mats 2021) ; il l’air d’oublier l’existence d’un conseil d’administration et de l’assemblée générale des présidents des caisses locales, deux instances habilitées à décider des « choix » stratégiques.

C’est dans ces conditions qu’arrive à la présidence un certain Julien Carmona – un pied-noir d’Egypte – inconnu des administrateurs et des sociétaires. Il ne possède pas la tripe mutualiste car il est directeur général délégué de Nexity, premier promoteur immobilier de France. Mais sa connaissance de la banque apparaît indiscutable puisqu’il a occupé des fonctions de direction chez BNP Paribas, à la BPCE, à la Caisse d’épargne, chez Natixis et à la Scor. On apprend qu’il est copain avec Denis, tous deux anciens chiraquiens : « Il m’a fait l’honneur et l’amitié de penser à moi au moment où il a commencé à réfléchir à son départ du groupe. » Le journaliste Jean Le Borgne lui demande : « L’avenir du groupe passe-t-il par son indépendance ? » Réponse : « Pour moi, il n’y a aucun doute. D’abord parce que le président, c’est quelqu’un qui a un mandat. Les caisses se sont exprimées à une très large majorité en faveur de l’indépendance en 2018. Pour rejoindre un groupe, je rejoins son projet. Après, je ne veux pas mettre de poids trop important sur les mots entre indépendance ou autonomie complète. Pour moi, c’est synonyme. » (Le Télégramme, mercredi 12 mai 2021)

Toute guerre prend fin un jour

Même discours au début de 2022 lors de la présentation des résultats 2021 – « Des résultats historiques » – : « L’indépendance d’Arkéa reste un pilier de la stratégie du groupe. C’est une évidence et une nécessité […] Aujourd’hui, il n’y a pas d’alternative à une sortie complète du Crédit mutuel », insiste le nouveau président (Ouest-France, Bretagne, 26-27 février 2022). « Le divorce reste une option complexe. On sait que les autorités ne sont pas enthousiastes sur ce scénario-là. On nous a dit : c’est dedans si vous respectez la discipline confédérale, sinon c’est dehors », expliquent Hélène Bernicot, directrice générale d’Arkéa, et Anne Le Goff, directrice générale déléguée, alors qu’on commence à évoquer des négociations (Le Télégramme, mardi 14 juin 2022)

Changement de ton à la fin août 2022. « Nous présentons un scénario d’«autonomie stratégique garantie ». Nous le faisons portés par une force politique interne qui est significative. On a réuni non seulement le conseil d’administration de Crédit mutuel Arkéa, mais aussi ceux des fédérations de Bretagne et du Sud-Ouest, avec dans les trois cas un vote à l’unanimité. L’ensemble du corps social est sur cette ligne, ce qui intègre les représentants des salariés. Dès lors que nous serions dans une vraie discussion et sur quelque chose qui nous apporte, on est prêt à aller sans regret vers ce projet-là et avec beaucoup d’ardeur », annonce Julien Carmona. Avec une concession de taille : « Je suis prêt à revenir dans le cadre collectif et à oublier l’indépendance, mais il faut dans ce cas des éléments qui nous diraient qu’en cas de franchissement de la ligne rouge, d’abus de pouvoir, on peut dormir tranquille. Ce droit de veto ne s’appliquerait pas en cas de crise bancaire ou de risque de mise en jeu de la solidarité du groupe. » (Les Echos, mardi 30 août 2022). En clair, Arkéa se dit prêt à renoncer à l’objectif qu’il s’est fixé – en vain jusqu’ici – depuis 2015 : la « désaffiliation » qui revient à quitter purement et simplement la Confédération nationale du Crédit mutuel. En sachant que la marque « Crédit mutuel » est la propriété de la CNCM. Si Arkéa était parvenu à se désengager de la Confédération, il ne pouvait plus utiliser cette marque.

Avec le traité d’union de 1532, le duché de Bretagne avait déjà perdu son indépendance !

Bernard Morvan

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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3 réponses à “CMB-Arkea : l’« indépendance » était un rêve”

  1. Travis dit :

    Quelle salade !
    C’est traduit d’un texte rédigé en européen, à l’origine ?

  2. Bévout dit :

    Ceci remonte à loin. C’est aux règles européennes que l’on a tué la mutualité. Sel le nom a été gardé comme image de marque. En fait les anciennes mutuelles sont repris par des banques: comme l’AG2R par la Mondiale. Donc les adhérents n’ont aucun poids sur leur politique de protection.

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