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Syrie. Pierre-Alexandre Bouclay : « Beaucoup de chrétiens ou de yézidis persécutés nous ont dit que leurs bourreaux étaient souvent leurs voisins. » [Interview]

10/12/2016 – 08H15 Paris (Breizh-info.com) – Hier, nous évoquions la sortie d’un magnifique ouvrage intitulé « peuples persécutés d’Orient », réalisé par Pierre-Alexandre Bouclay et Katharine Cooper. Un ouvrage de récits et de photos sur la vie des ces peuples menacés par les islamistes en Syrie, mais aussi au Kosovo.

Nous avons interrogé Pierre-Alexandre Bouclay sur son ouvrage ainsi que sur la situation en Syrie.

Breizh-info.com : Comment est né ce projet de « carnets de voyages » ?

Pierre-Alexandre Bouclay : Sur le tard. Katharine Cooper et moi nous connaissons depuis plusieurs années. Nous avons eu l’occasion de faire plusieurs voyages ensemble, notamment au Proche-Orient. J’admire ses photos, elle est facile à vivre, débrouillarde et nous nous sommes bien entendus sur le terrain, ce qui n’est pas si fréquent dans ce métier très individualiste ! Nous avons vite vu que nos regards se complétaient : elle avec la photo, moi avec le texte. Quand nous avons eu assez de matériau, je lui ai proposé d’en faire un livre.

Breizh-info.com : Quand avez vous découvert la Syrie ou l’Irak pour la première fois ?

Pierre-Alexandre Bouclay : Pour tout dire, je ne connais vraiment ces régions que depuis deux ans. Je m’intéressais depuis une quinzaine d’années au sort des chrétiens d’Orient, ou à l’inquiétante expansion d’un islam wahhabite au Proche-Orient, mais de manière tout à fait théorique et livresque. Sur le terrain, je travaillais essentiellement sur l’Europe de l’Est et la criminalité en France.

Mais depuis 2014, je me suis vraiment recentré sur cette région, j’ai commencé à m’y rendre et, sans être un spécialiste, je suis capable de distinguer les chiites des alouites ou des sunnites, les Kurdes des Yézidis, je connais mieux les chrétiens d’Orient et les Druzes ne me sont plus totalement étrangers…

J’ai la chance surtout, grâce aux équipes de l’association SOS Chrétiens d’Orient, de connaître une foule de personnes qui vivent au quotidien dans ces pays et qui peuvent m’apporter une aide précieuse, tant pour aller sur place que pour décrypter les nuances de cet univers assez touffu.

Breizh-info.com : Qu’avez vous souhaité transmettre, comme message, avec cet ouvrage ?

Pierre-Alexandre Bouclay : Je n’ai pas de message, à vrai dire. Seulement des observations. J’ai vu à quel point l’islam wahhabite – dont se réclament l’organisation État islamique, l’ex Front al Nosra (branche syrienne d’al Qaïda) mais aussi les pétromonarchies du Golfe – pouvait être dangereux pour ceux qui ne s’en réclamaient pas. Beaucoup de chrétiens ou de yézidis persécutés nous ont dit que leurs bourreaux étaient souvent leurs voisins. Des musulmans sunnites qui, une fois en position de force, n’ont pas hésité à piller, violer ou tuer des gens avec qui ils cohabitaient jusqu’alors. Je raconte des dizaines d’anecdotes, dans le livre, comme ce chef d’entreprise dont on a enlevé la femme et menacé de tuer l’enfant s’il ne se taisait pas pendant qu’on volait ses jouets… Sachant que le voleur était une de leurs connaissances !

Parallèlement, nous avons aussi vu des musulmans bienveillants qui étaient victimes des djihadistes. Pour garder un point de vue nuancé sur l’islam, je crois qu’il faut s’intéresser à l’entretien que nous a accordé le Grand Mufti de Damas. Il tient des propos sur la séparation du temporel et du spirituel qui feraient passer Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen pour des partisans du trône et de l’autel !

De même, lorsqu’il a rencontré des députés français, il leur a fait part de son inquiétude sur l’immigration sauvage et la menace terroriste en France. A ses yeux, la France était naïve de laisser des millions de gens s’installer sur son sol au mépris de nos lois et de nos mœurs. Il ne comprenait pas pourquoi nos dirigeants laissaient s’installer chez nous les germes d’une guerre civile. Et peu d’élus ont été en mesure de lui apporter une réponse satisfaisante…

Breizh-info.com : Pourquoi avoir également évoqué le sort des serbes du Kosovo ?

Pierre-Alexandre Bouclay : Techniquement, les Serbes orthodoxes du Kosovo appartiennent aux Eglises d’Orient issues du schisme de 1054 entre Rome et Constantinople. Disons que ce sont les plus occidentaux des chrétiens d’Orient. J’ai découvert le drame du Kosovo en 1998, avec un de mes professeurs d’université, Jean-Pierre Arrignon. Ensuite, j’ai approfondi le sujet grâce à l’association Solidarité Kosovo, qui est active sur place depuis 2004. Leur sort m’intéresse tout particulièrement. D’abord parce qu’il s’agit d’Européens menacés par l’islam et qu’ils préfigurent peut-être des cas de partition – pour reprendre les mots de François Hollande – qui pourraient se produire en France à moyen terme. Ensuite, parce que pour la première fois depuis l’évangélisation de notre continent, des chrétiens sont menacés de disparaître du sol européen ! C’est sans précédent.

Breizh-info.com : Y a t-il un lien avec la Syrie ?

Pierre-Alexandre Bouclay : Je dirais l’intolérance et la barbarie de l’islamisme. Les récits d’atrocités que l’on entend de part et d’autres se font écho. Les églises brûlées et les horreurs infligées aux chrétiens de Maaloula nous ont fait penser aux monastères détruits au buldozzer et aux enlèvements, aux meurtres ou aux viols subis par les chrétiens du Kosovo. La férocité des djihadistes actifs en Syrie n’a rien à envier aux monstres de l’UCK, la guérilla séparatiste albanaise.

Ensuite, on peut noter le poids néfaste de la « communauté internationale », dont les actions ou les errances ont conduit au drame du Kosovo, au déchirement de l’Irak et de la Syrie.

Pour le reste, je dirais qu’il vaut mieux être chrétien dans la Syrie sous contrôle gouvernemental plutôt qu’au Kosovo. A Damas, les chrétiens vivent librement, travaillent, font éventuellement partie de l’élite de la société. Au Kosovo, ils vivent dans des prisons à ciel ouvert, ont l’interdiction de travailler, de circuler et même de se soigner ! S’il y a une appendicite ou un accouchement dans une enclave du centre du pays, on vous interdira l’accès aux hôpitaux albanais. Il faut filer au nord du Kosovo, pour se faire soigner à Mitrovica. Et à vos risques et périls, car certains musulmans albanais tirent au fusil de chasse ou à la kalachnikov sur les voitures avec des plaques d’immatriculation serbes. Pour notre sécurité, nous circulions d’ailleurs avec des plaques européennes.

Breizh-info.com : Sur place, la situation semble très différente de ce qui a été expliqué depuis des années par la presse subventionnée en France, non ?

Pierre-Alexandre Bouclay : C’est surtout vrai en Syrie et au Kosovo. Il y a un aveuglement idéologique et une forme de soumission à la pensée unique. Un refus des rédactions de prêter attention à ce que les reporters voient sur place. Mais pour être franc, certains journalistes « mainstream » sont tout à fait honnêtes. Des reporters comme Adrien Jeaulmes ou Samuel Forey au Figaro, Christian Chesnot à France info, Patricia Allémonière à TF1, font un excellent travail. Ce sont surtout les éditorialistes parisiens et leurs invités qui détournent l’information.

Breizh-info.com : Comment procède-t-on pour « tirer des portraits » aussi naturels, aussi bruts ?

Pierre-Alexandre Bouclay : Katharine possède déjà un matériel de très grande qualité, avec son antique Hasselblad, qui date des années 50, je crois. C’est vraiment un personnage à part entière de nos reportages. Elle l’aime comme Tintin aime Milou, si vous voulez. Ensuite, c’est une grande photographe, qui a appris son métier avec Lucien Clergue, de l’Institut. Elle prend beaucoup de temps pour travailler.

Elle aime découvrir les gens, leur parler. Elle sait aussi trouver la bonne distance, avec le sujet. Ni trop près, pour ne pas l’étouffer ; ni trop loin, pour ne pas le perdre. Richard Millet, qui a écrit la préface de notre livre, dit qu’elle devient une sorte de sourire ambulant, comme le chat du Cheshire, dans Alice au pays des merveilles ! Elle sait capter le regard et gagner la confiance. Ensuite, c’est le coup d’œil et la capacité des meilleurs à capter ce que Cartier Bresson appelait « l’instant décisif ».

Breizh-info.com : Quel protocole existe t-il autour d’un entretien avec Bachar el Assad ?

Pierre-Alexandre Bouclay : Pour y arriver, il a fallu sept mois de travail et de patience. J’ai multiplié les contacts, les demandes, les approches. Il ne faut pas se décourager. L’entretien a été reporté plusieurs fois, puis carrément annulé alors que nous étions déjà en Syrie… et finalement rétabli ! La veille, nous avons été informés du déroulement et du lieu exact. Nous avions droit à 30 minutes d’entretien face à face, en anglais (même si j’ai vu qu’il comprenait manifestement le français). Nous n’avions pas le droit d’enregistrer, mais on nous a remis un verbatim exact, écrit et audio, des propos tenus.

Contrairement à pas mal de politiques européens, il n’a pas demandé la liste des questions. Et tous les sujets étaient libres. Il y avait un dispositif de sécurité plutôt léger. Quelques gardes avec fusil d’assaut et oreillette dans les jardins, mais c’est tout. Il m’a semblé plus facile d’entrer dans son palais que dans un ministère français ou à l’Assemblée nationale.

Breizh-info.com : Avez vous d’autres projets à venir ? 

Pierre-Alexandre Bouclay : Je souhaite retourner en Irak et en Syrie d’ici quelques mois. Et préparer un recueil d’articles sur la situation de certaines cités françaises en proie à la criminalité et à l’islamisation. En pensant à Mohammed Merah, au Bataclan, au retour des djihadistes français partis en Syrie et aux récentes arrestations de voyous passés à la radicalisation islamique, je trouve une certaine continuité avec ce livre.

Propos recueillis par Yann Vallerie

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2016 dépêches libres de copie et diffusion sous réserve de mention de la source d’origine

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