Le soleil lombard n’a pas seulement chauffé les bitumes du Giro 2025 en ce jeudi 29 mai. Il a surtout réchauffé le cœur d’un homme : Nico Denz, baroudeur à l’ancienne, qui a offert à son équipe Red Bull-Bora-Hansgrohe une bouffée d’oxygène en s’imposant en solitaire lors de la 18e étape, longue de 144 kilomètres entre Morbegno et Cesano Maderno.
Une victoire d’instinct et d’expérience
Dans une journée taillée pour les audacieux, Denz a fait parler l’intelligence de course plus que les jambes. Engagé dans une échappée massive partie tôt – jusqu’à 36 coureurs – l’Allemand a flairé le bon coup en s’extrayant à 18 kilomètres de l’arrivée, à l’instant précis où l’hésitation saisissait ses compagnons de fugue. Il a placé une attaque sèche, bien sentie, et a creusé immédiatement une trentaine de secondes d’avance, suffisante pour s’envoler vers sa troisième victoire d’étape sur le Giro, après deux bouquets décrochés en 2023.
Il fallait bien cela pour faire oublier une semaine noire : l’abandon de Primoz Roglic, mardi, après chute, suivi de celui de son lieutenant Jai Hindley. Denz a redonné du sens à ces mois de préparation et d’altitude, ces sacrifices loin de la famille. Ce jeudi, la rédemption est passée par la fugue, et l’Allemand a conquis le cœur du public italien à coups de lucidité et de panache.
Derrière, un peloton en RTT
La 18e étape n’a pas pesé sur le classement général. Isaac Del Toro, toujours maillot rose, a passé la journée au chaud, bien protégé dans un peloton qui n’avait visiblement aucune intention de forcer. Les UAE Team Emirates, bien que fragilisés, ont laissé filer l’échappée dès les premiers kilomètres, concédant plus de 11 minutes d’écart aux fuyards.
La course des costauds est restée en sommeil, jusqu’à l’arrivée, franchie près de 14 minutes après le vainqueur. Un répit bienvenu avant les deux dernières étapes de montagne, où le Giro devrait livrer son verdict.
Juan Ayuso, le naufrage d’un favori
La journée a toutefois été marquée par un abandon de poids : Juan Ayuso, longtemps présenté comme un prétendant sérieux au maillot rose, a mis pied à terre après seulement une trentaine de kilomètres. En cause : un œil fermé par une piqûre d’insecte, un genou endolori depuis une chute lors de la 9e étape, et une place au général déjà compromise. Le coureur espagnol, relégué à plus de 49 minutes, n’aura donc jamais vraiment pesé sur cette édition du Giro, quittant la course sur un air de rendez-vous manqué.
Si Del Toro a pu savourer une journée tranquille, son trône reste fragile. Il ne possède que 41 secondes d’avance sur Richard Carapaz et 51 sur Simon Yates. Le Giro s’approche de sa fin, mais l’histoire est loin d’être écrite. Le volcan est prêt à rugir à nouveau.
Cap sur l’enfer alpin
Ce vendredi, le peloton attaquera une étape de montagne brutale, avec cinq cols au programme. Il reste deux coups de poker dans le jeu, deux jours pour changer le destin, deux batailles avant Rome. Et la première se déroule en effet ce vendredi entre Biella et Champoluc, sur 166 kilomètres torturés de cols et de pièges, où l’on comptera près de 5 000 mètres de dénivelé comme on compte les coups reçus avant le gong. Bienvenue dans l’antichambre de l’enfer, bienvenue dans l’étape 19 du Giro 2025.
Cinq cols, pas une seule portion pour souffler. Le peloton entrera dès le kilomètre 0 dans le vif du sujet avec la Croce Serra, petite mise en jambes avant que les murs ne se succèdent : le Tzecore, le San Pantaléon, le Col de Joux et enfin Antagnod, ultime escalier avant de plonger vers Champoluc, dans une descente à faire claquer les patins et trembler les nerfs.
C’est une étape dessinée par des orfèvres ou des sadiques — les deux ne sont pas incompatibles —, où les leaders devront jouer à découvert. À la veille du terrible Colle delle Finestre, la journée s’annonce comme une répétition générale… ou un théâtre d’ombres pour préparer le coup final.
Isaac Del Toro mène toujours la danse, mais la musique devient dissonante. Le jeune Mexicain, sensation du mois de mai, a montré des limites sur les longues rampes. Son équipe UAE n’a plus Ayuso pour l’épauler, et la route ne pardonnera plus rien. Derrière, Carapaz rôde, Yates temporise, Caruso guette.
Dans cette étape, tout peut exploser : un col mal géré, un relais mal assuré, un virage trop optimiste dans une descente glaciale, et le Giro bascule. Les grimpeurs sont affûtés, les organismes usés, les ambitions à vif. Le maillot rose est un fardeau qui colle à la peau, surtout quand il commence à peser.
La montée finale vers Antagnod ne sera pas la plus redoutable (9,5 km à 4,5 %), mais elle arrive après 150 kilomètres de haute montagne, ce qui change tout. Les écarts peuvent se créer bien avant. Dans ce final, tout est question de tempo, de timing, de nerfs. La descente vers Champoluc, pavée par endroits, pourrait sceller le sort de cette 19e étape… ou raviver les braises d’un suspense incandescent.
Cette étape 19 sera-t-elle une course d’attente ou une épreuve de feu ? Impossible à dire. Mais dans un Giro 2025 où chaque jour a apporté sa dose de surprises, il serait dangereux de croire que le calme précède la tempête. Car la tempête est déjà là, et elle souffle sur les pentes du Piémont.
Crédit photo : DR (photo d’illustration)
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