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Vent d’Est. La chronique de l’Europe Centrale : spécial Serbie

12/11/2015 – 06H00 Belgrade (Breizh-info.com) –  Retrouvez chaque semaine « vent d’Est » notre chronique d’Europe centrale rédigée par notre envoyé spécial. 

« Seule l’unité sauve les Serbe. »  Allons-nous voir bientôt les Serbes faire appel de nouveau à ce cri de ralliement, devise informelle de la Serbie en temps de crise ? Dans cette chronique, penchons-nous un peu plus – enfin ! – sur ce pays à la fois considéré comme appartenant aux Balkans, à l’Europe centrale, et à l’Europe du Sud. Nous vous proposons ici une chronique spéciale Serbie, rédigée depuis Belgrade. Nos fidèles lecteurs feront, nous l’espérons, preuve de compréhension quant au retard de publication dû à ce déplacement.

La Serbie, à l’instar de nombreux autres pays d’Europe centrale ou des Balkans, a une histoire aussi complexe que sanglante, et aussi héroïque que douloureuse. Placée sur la ligne de fracture entre les mondes romain et grec, orthodoxe et catholique, chrétien et musulman, communiste et capitaliste, la Serbie trône sur les Balkans, assise sur le Danube et la vallée de la Morava, enclavée entre de vieux adversaires, et des frères ennemis. Dès le Moyen-Âge la Serbie est confrontée à l’invasion ottomane. Comme les Croates, les Bulgares, les Grecs, les Roumains ou les Hongrois, les Serbes, écrasés sous le joug du Sultan de la Grande Porte, ont eu recourt à la violence durant des siècles afin de défendre leur identité – réflexe d’un peuple et de son élite, faisant face à la menace de l’anéantissement par absorption dans un empire pluriethnique et islamique, propice à la domination de peuples divers sous la bannière de l’Oumma – commaunauté des croyants mahométans. Les fiers Serbes, tenant d’un bastion historique et puissant de l’Orthodoxie chrétienne, ont réussi à acquérir par les armes une autonomie, puis l’indépendance au cours du XIXe siècle.

Dans la foulée, la Serbie fait face à l’impérialisme des Habsbourg, puis prend violemment part à la valse funeste du chauvinisme européen, ce nationalisme artificiel de rejet de l’autre, fruit pourri d’une idéologie moderniste qui saigna l’Europe à blanc et lui infligea des plaies aujourd’hui encore purulentes pour certaines. L’artificialité dogmatique de certaines politiques nationalistes n’épargne pas les Balkans, et le panslavisme y prend quelque peu racine. La Yougoslavie – Slavie du Sud – verra le jour en 1918. Depuis, toujours située au carrefour des zones d’influence des mondes germanique, slavo-russe et turque, la Serbie maintient, plus ou moins depuis le IXe siècle et son intégration totale au monde orthodoxe chrétien, une position géopolitique alignée sur celle de la 3e Rome que se veut être Moscou. La Serbie tentera de mener dans son sillage les peuples nombreux, divers et variés des Balkans, mais les velléités d’émancipation nationale au détriment de structures historiques supranationales stables auront raison d’une relative entente balkanique. La Croatie catholique, rattachée volontairement à la Sainte-Couronne de Hongrie au XIIIe siècle, l’Albanie insaisissable, les musulmans ethniquement européens de Bosnie, pour ne citer qu’eux, représentent autant de facteurs d’ordre ethnique et religieux qui rendent la situation serbe très complexe, et sa domination “naturelle” en tant que peuple majoritaire dans la région très délicate.

Malgré sa résilience pluriséculaire, son esprit de domination, sa vitalité et sa capacité  de violence, la Serbie semble aujourd’hui un peu endormie, comme assommée par le déchirement de la Yougoslavie, les bombardements de la part de ses anciens alliés occidentaux – dont la France – et la coupure involontaire pendant deux décennies, pourtant cruciales pour elle, avec le grand frère russe en pleine hibernation post-soviétique – et ce jusqu’à l’avènement du Tsar Poutine, aujourd’hui figure objectivement populaire en Serbie, son portrait ornant des tasses ou des t-shirts pour touristes à tous les coins de rues de Belgrade. Durant les guerres des Balkans post-communistes, dont la plupart de nos lecteurs furent probablement contemporains, la violence déployée à travers les vertes forêts et vallées de l’ex-Yougoslavie a été effroyable. Aux crimes serbes ne peuvent être comparées que les exactions anti-serbes des uns et des autres, et les peuples dinariques étant sanguins et ayant  la mémoire longue, le sang versé a nourri ces terres, pourtant martyrisées sans distinction par l’envahisseur anatolien durant des siècles, en véritable verger de haine.

Vae victis. La Serbie aujourd’hui cherche à se reconstruire et ses nouvelles élites, dont le premier ministre Vucic actuellement en poste, sont partisans de l’intégration de la Serbie dans l’UE. Pourtant, le sentiment envers l’Union européenne en Serbie est plutôt défavorable, sans parler de celui à l’égard de l’alliance nord-atlantique, dont les bombes ont, il y a 16 ans à peine, frappé des hôpitaux belgradois. Alors que les généraux serbes étaient favorables au maintien par la force de la suprématie serbe sur l’entité balkanique de Yougoslavie, nombre de ses politiques désiraient déjà l’indépendance de la Serbie. Cette hésitation au sommet coûta terriblement cher au peuple serbe, et en premier lieu, le Kosovo.

Territoire historiquement serbe, berceau du christianisme orthodoxe serbe, nul ne pourrait dénier à la Serbie un droit sur cette région, ou au moins, comprendre leur inflexibilité – inscrite même dans leur constitution – sur la question de l’indépendance du Kosovo. Mais bien malhonnête celui qui dénierait toute légitimité à la population albanaise du Kosovo, constituant plus de 90% de la population de la région, à des aspirations différentes. Ce casse-tête n’a pas manqué de faire couler du sang et beaucoup d’encre diplomatique. Les combattants de l’UCK albanais, soutenus par les États-Unis, ont grandement contribué à l’indépendance déclarée unilatéralement par les autorités du Kosovo – non-reconnue, donc,  par l’État serbe. Aujourd’hui, au Kosovo, le drapeau artificiel n’est pas aimé, les Serbes tiennent à leur drapeau, tandis que les Albanais y arborent le drapeau rouge à l’aigle bicéphale, emblème de l’Albanie. Il est peu probable que la situation s’améliore au Kosovo… l’avenir semble sombre pour cette région, qui depuis son “indépendance” accueille la plus grande base militaire des États-Unis en Europe, permettant au Pentagone de couvrir toute la Méditerranée, le Proche-Orient, certains territoires russes et l’Europe. Les massacres de soldats et de civils, qu’ils soient serbes ou albanais, la direction mafieuse du Kosovo soutenue par les USA, les oppositions religieuses, ethniques et géopolitiques des populations du Kosovo et ses alentours, font de ce sanctuaire violé des monastères orthodoxes, une véritable poudrière. Petit succès pour les Serbes, ils viennent d’obtenir que le Kosovo n’intègre pas l’UNESCO, rappelant au passage la destruction par des responsables kosovars de très nombreux monuments historiques de grande valeur.

La Serbie est un pays en situation difficile, perdante de ses derniers conflits, historiquement alliée au challenger traditionnel des atlantistes qu’est la Russie, diminuée avec une industrie à genoux, et tout comme certains de ses voisins, doit faire face au défi de la redéfinition de son identité dans un contexte de tensions frontalières, de positionnement géopolitique difficile et dans le cadre d’une mondialisation avancée. Il y a cependant de l’espoir. Les jeunes sont patriotes – même en terme de goûts : on a le plaisir de les voir très souvent chanter en soirée les chants historiques en lieu et place de l’horreur commerciale atlantiste. Leur opposition générale à l’Occident impérialiste, responsable des bombardements qu’ils ont vécu durant leur enfance, se ressent et s’exprime aisément. Les tags “non à l’OTAN” dans les rues de la capitale serbe sont légion. Mais surtout, parmi les Serbes, l’on trouve de jeunes espoirs prêts au dialogue avec leurs ennemis régionaux, tout en n’étant pas dupes du cirque bruxellois et des plans de domination d’outre-Atlantique. Enfin, le groupe de Viségrád y est vu par ceux qui s’intéressent aux questions internationales comme positif, et la Hongrie, ancien adversaire, est désormais de plus en plus vue comme un partenaire incontournable : elle est la porte sur l’Occident pour la Serbie, les relations avec la Croatie n’étant pas au beau fixe. De nombreux projets communs ont d’ailleurs vu le jour durant les dernières années, sous l’ère Orbán. Échanges accrus d’étudiants entre les deux pays, engagement commun dans le projet de gazoduc russe, nouveau chemin de fer rapide – avec l’investissement de la Chine – entre Budapest et Belgrade, etc.

Nous conclurons la partie serbe de cette chronique sur cette note d’espoir, et invitons tous nos lecteurs à en apprendre davantage sur ce pays si particulier, fier et meurtri, beau et parfois terrible. Sa cuisine trop méconnue saura ravir le palais des gourmands et la rakija, eau de vie nationale, viendra à bout des plus résistants. Ses femmes sont pleine d’une vitalité époustouflante et la nuit belgradoise n’a pas grand chose à envier à celle de Budapest. Mais nous ne vous en dirons pas plus sur le sujet, et vous laisserons avoir votre propre expérience.

Quittons maintenant la Serbie et penchons-nous tout de même rapidement sur l’actualité de la semaine passée. En Bavière, des agriculteurs ont bloqué des routes avec leurs tracteurs face à l’arrivée incessante de clandestins, tandis que le président tchèque Milos Zeman a estimé que “l’immigration est une invasion planifiée dont le but est de briser la structure sociale, culturelle, économique et politique de l’Europe. C’est bien organisé. Ce n’est pas spontané. Le temps va venir où l’armée tchèque devra intervenir pour défendre les frontières de la République Tchèque.” En parallèle, le premier ministre hongrois n’y va pas de main morte à l’égard de George Soros. Dans un récent discours, Orbán énonce l’évidence tue à l’Ouest : la vague migratoire actuelle est d’une part organisée sur le terrain par des organisations mafieuses de passeurs – trafic devenu le plus juteux de tous dans les Balkans, selon la police hongroise – et d’autre part par des organisations non-gouvernementales, des organisations supranationales – comme l’ONU – et par des individus divers dont Soros est le meilleur exemple. De son côté, le milliardaire américain d’origine hongroise, George Soros, dont Orbán était un poulain qu’il a fait bénéficiaire d’une bourse au siècle dernier, avoue, et assume ces accusations. Aux dénonciations du premier ministre hongrois, Soros répond : “Son plan fait de la protection des frontières nationales l’objectif et des migrants l’obstacle. Notre plan fait de la protection des migrants notre objectif et des frontières nationales l’obstacle.” Il est agréable parfois de bénéficier d’un peu d’honnêteté de la part d’individus de cet acabit ; cela a le mérite de clarifier les choses et de lever des doutes terribles.

Vous aurez attendu plus longtemps qu’à l’habitude cette chronique, aussi la suivante viendra plus vite et sera, à la suite de nos péripéties actuelles en Europe centrale et dans les Balkans, une spéciale Pologne. Nous y parlerons aussi des récentes élections en Croatie, où sans surprise, le HDZ de centre-droit auquel appartient la présidente actuelle Grabar-Kitarovic, a remporté le scrutin.

A plus tard cette semaine, et n’oubliez pas, le soleil se lève à l’Est !

Ferenc Almássy

Photo : breizh-info.com
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2 réponses à “Vent d’Est. La chronique de l’Europe Centrale : spécial Serbie”

  1. Yann dit :

    Jolie analyse :) assez correct ce qui prouve la qualité du rédacteur car le sujet demande une parfaite connaissance géopolitique et historique.

    J’ajouterais que la politique US (et la GB) est une catastrophe pour cette région de l’Europe et que hélas l’UE est complice par suivisme ignorant. On a l’impression que les US poussent les serbes dans les bras des russes pour crée de l’instabilité en Europe. Et l’UE dit oui à leur politique alors que elle est nuisible pour tout les européens. Quant comprendront nous que les US sont tres tres loin(de la Syrie de l’Ukraine, de la Serbie, la Russie) et que notre politique ne peut être un copier coller de la leur alors que nous sommes voisins de c même pays, comment le savaient nos sages anciens De Gaules et même Mitterrand…

  2. Coraly dit :

    Si bien écrit….!!!!!!!!!!! J´admire la capacité de dire tant de choses et de facon cordiale!

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