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Brexit or not Brexit ? Theresa May sur la sellette

Les complications touchant la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union européenne (UE) étaient prévisibles. Theresa May, Prime Minister, patronne de l’exécutif, vient à nouveau de perdre quatre ministres démissionnaires, dont celui chargé des négociations avec l’UE, portant ainsi à dix-huit le nombre de ministres ayant rendu leur portefeuille dans les douze derniers mois. Le projet d’accord de rupture avec l’UE, obtenu mardi à Bruxelles par Mrs May, rendu public mercredi, risque de rester lettre morte. A quoi tient une telle crise, suite au référendum du 23 juin 2016 décomptant près de 52% des électeurs britanniques en faveur de la sécession ?

Le rôle décisif de la Chambre des Communes

Seul parmi les médias français, Breizh Info avait rappelé en 2016 que l’affaire du Brexit ne pouvait pas se jouer sur un simple référendum. C’eût été possible en France, la Révolution de 1789 ayant introduit dans le droit constitutionnel la notion de souveraineté du peuple. Mais pas en Grande-Bretagne, où la Révolution de 1689 a imposé dans le droit coutumier un Bill of Rights, une Déclaration de Droits (la Grande Bretagne ne dispose pas de Constitution) attribuant clairement la souveraineté non au peuple mais aux Chambres, celle des Lords et celle des Communes. Cette dernière dispose depuis 1911 d’une voix décisive. Le sort de l’accord entre la Grande-Bretagne et l’UE dépend donc obligatoirement des Communes, où Theresa May n’a pas de majorité.

Le problème de fond est simple. Tant que la Grand-Bretagne reste dans l’UE, elle ne dispose pas de la liberté de passer des accords commerciaux avec qui elle le souhaite, de tels accords n’étant négociables qu’à Bruxelles. La majorité des députés londoniens veut retrouver une pleine liberté de commercer, qui est l’une des plus vieilles traditions anglaises. Or la situation de l’Irlande pose un problème délicat. Comment établir une frontière dure entre la République d’Irlande (Dublin), qui resterait dans l’UE, et l’Ulster (Belfast) qui en sortirait ?

L’accord négocié cette semaine à Bruxelles prévoit un délai (renouvelable) de deux années pour adapter la situation irlandaise. Durant cette période, l’ensemble du Royaume-Uni resterait dans  l’Union douanière européenne, « avec les droits et obligations » afférents, parmi lesquels la préférence communautaire, l’impossibilité de développer une politique commerciale autonome, et la participation anglaise au budget de l’Union, à hauteur de 45 milliards d’euros. D’où la fureur des partisans d’un Brexit rapide : le montant de la pension d’après divorce est trop élevé, et le délai (renouvelable) est chimérique.

L’addition des mécontentements rend la tâche de Theresa May difficile, voire inextricable

A cette quadrature irlandaise s’ajoute celle de l’Écosse. Côté taxes et exportations, les saumons et whiskies irlandais (dans l’UE) et écossais (hors UE) ne joueraient plus dans la même cour, au bénéfice évident des produits irlandais. Ce qui laisse d’autant insatisfait du côté d’Édimbourg, qu’en juin 2016 les électeurs écossais avaient voté à hauteur de 63 % pour un maintien dans l’UE. C’était deux ans après un autre vote donnant 45 % du corps électoral écossais partisan d’une sortie du Royaume-Uni. La donne est aujourd’hui considérablement modifiée, et pourrait pousser à dépasser les 50 % en cas de Brexit définitif.

L’addition des mécontentements rend la tâche de Theresa May difficile, voire inextricable. Si les Communes, dans le courant du mois de décembre, refusent de ratifier le projet d’accord actuel, elle n’aura guère le choix qu’entre son départ du 10, Downing Street, ou l’organisation d’un nouveau référendum. Dans les deux cas, l’incertitude règne. Si elle quitte ses fonctions, personne n’est candidat pour la remplacer dans un rôle aux données contradictoires et impénétrables. Quant à organiser un nouveau référendum, si la réponse est Brexit, c’est un retour à la case départ ; si la réponse est not Brexit, il faudrait, en pleine crise, de nouvelles élections aux Communes pour harmoniser les opinions et l’exercice de la souveraineté, et rares sont les députés prêts à courir le risque de perdre leur siège.

Thomas Hobbes, l’auteur du Leviathan (1651), le premier grand traité anglais de philosophie politique, assurait : Hell is truth seen too late, « L’Enfer, c’est une vérité perçue trop tard ». La porte d’entrée est ouverte au 10, Downing Street.

Jean-François Gautier

Crédit photo :DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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Une réponse à “Brexit or not Brexit ? Theresa May sur la sellette”

  1. […] qu’au début de décembre prochain la Chambre des Communes londonienne ratifie cet accord – ce qui n’a rien d’acquis -, le Royaume-Uni restera deux ans au moins dans l’Union douanière continentale, jusqu’à ce […]

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