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Dominique Allain : « Beaucoup de Bretons ignorent l’origine de leur patronyme » [Interview]

Ces noms bretons si insolites est un ouvrage signé Dominique Allain Cet ouvrage se veut initiateur et devrait intéresser tout lecteur curieux de l’histoire des noms de famille de Bretagne bretonnante, voire d’ailleurs.
En premier lieu il s’adresse aux Bretons, qui n’ont pas toujours eu besoin de voyages lointains ni d’intrusions militaires étrangères pour se forger des noms aux formes inattendues. L’on y verra que l’habit ne fait pas le moine et que les noms étrangers ou « bien de chez nous » ne sont pas toujours ceux que l’on croit, d’autant plus qu’ils changent d’habit !

Certains patronymes vont y perdre le charme de l’« exoticité », ce qui n’empêchera pas pour d’autres de se découvrir, non pas des cousins éloignés, mais plutôt des colocataires de graphie.

En tout cas, la lecture de ce livre devrait éveiller une circonspection de bon aloi, qui va de pair avec la curiosité intellectuelle.

Pour l’évoquer, nous avons interrogé Dominique Allain.

Livre à commander ici, chez Yoran Embanner

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter à nos lecteurs ?

Dominique ALLAIN :  J’ai 73 ans et suis né à Paris d’un père originaire de Bretagne (Pontivy) et d’une mère originaire de l’Île-de-France, mais vis en Bretagne depuis 1971. Je n’ai guère dépassé le BAC et n’ai décidé que tardivement de qualifier mes connaissances acquises « sur le tas » par l’obtention d’une licence de breton. Depuis mon adolescence mes pôles d’intérêt sont les langues et l’onomas-tique, sans compter d’autres violons d’ingres liés à l’histoire humaine. J’ai exercé successivement les métiers d’employé de banque, de tenancier de débit de boisson puis de professeur de breton mais ai en fait enseigné le breton dans des cours de soir durant environ 30 années, hors profession.

Breizh-info.com : Comment avez vous mené votre étude sur ces noms bretons insolites ?

Dominique ALLAIN :  C’est un ouvrage transversal sans prétention qui vient compléter de façon un peu récréative d’excellents ouvrages déjà parus. Le point de départ a été la découverte des formes parfois étrangères voire exotiques de beaucoup de patronymes bretons et de l’ignorance presque totale de la plupart des Bretons d’aujourd’hui concernant les leurs, Bretons parmi lesquels continue de circuler ce que j’appelle la légende espagnole, basée sur l’occupation du futur Port-Louis à la fin du XVI° par les troupes de Don Juan de l’Aguila. J’ai d’abord pointé les états-civils publiés dans les journaux, bien sûr lus les ouvrages précités, consulté des cartulaires, et surtout exercé l’esprit critique dont je dispose aidé de sites de généalogies et d’ états-civils anciens en ligne, complémentaires des travaux déjà parus. Certains constats trop récents auraient d’ailleurs pu figurer dans mon ouvrage et d’autres concernent des noms qui auraient pu être intégrés dans un ouvrage tel qu’un dictionnaire complet. J’ai ainsi découvert, qu’un certain nombre des Yvon de Groix sont des descendants d’un Esvan, et que les Le Hingrat et Le Ningrat descendent en fait de Le Hégarat (‘hegarad’ : « affable », « aimable »), chose que j’avais pressentie.

Breizh-info.com : Quelles sont les pépites que vous avez trouvées et qui vous ont particulièrement fait sourire ?

Dominique ALLAIN :  Elles sont finalement très rares. Les noms bas-bretons bien que sans détour nous parlent moins que les noms gallos sur ce point. Parmi les noms d’allure amusante je vois Tartuff. Sinon pour le sens, Castrec (‘kastreg’ : « muni d’un fort membre viril » ?), Bléogat (‘blewgad’ = « poil de lièvre »), Le Bronnec (‘bronneg’ : « mamelu »), Pensivy (‘pennsivi’ : « tête de fraises » ; est-ce pour l’aspect ou pour indiquer une unité de fraise?), Le Ménahès (‘manac’hes’ : « moinesse » !?!, ou « descendant de la fille de Manac’h?), Poasévara (‘poazh-e-vara’ : « cuit son pain ») ; rien de bien transcendant … Notez que certains des noms cités ci-dessus ne figurent pas dans mon livre, n’ayant pas d’allure spécialement étrangère.

Breizh-info.com : Parmi les noms insolites, quels sont les plus anciens connus pour la Bretagne ?

Dominique ALLAIN :  Le terme « insolite » m’a été imposé, j’y aurai préféré « exotique ». En tant qu’exotique de forme, j’aime beaucoup les patronymes Rio (qui d’ailleurs en Vannetais était un prénom, fait que je n’ai découvert qu’après avoir écrit mon ouvrage), Fischer, Orhon, Mao, Noah par exemple. Concernant l’ancienneté, la plupart des patronymes sous leurs formes actuelles sont apparus autour des années 1400/1500. Ce sont leurs formes et graphies anciennes depuis les années 800 qui peuvent être qualifiées d’insolites pour nous aujourd’hui,comme les Uuiomarch (Guyonvarc’h > Guyonvarho : « digne d’avoir un cheval »), Iudichael (Jézéquel > Jiquello : « fils de celui qui est généreux comme un seigneur » ?), Uueithgnou (Guezno : « évident au combat » ?)…

Breizh-info.com : On retrouve énormément de noms bretons qui ont d’autres origines européennes notamment, ibériques ou italiennes. Comment l’expliquez-vous ?

Dominique ALLAIN :  Cette question montre que mon ouvrage devra être lu avec attention. Il n’y a pratiquement aucun patronyme breton issu de l’intégration d’ Ibériques, d’Italiens ou d’autres « hors-venus » d’horizons lointains. Cette démonstration était même le but premier de mon livre. Il y a deux cas : celui d’adaptation après adoption comme partout de (pré)noms étrangers non héréditaires au départ, par exemple Guillerm face à Guillaume, William, Guglielmo issus de Wil-helm ou encore Salaun face à Salmon, Solomon, Sliman issus de Shelomoh, et celui de noms bien bretons mais considérés par beaucoup comme issus des autres langues néo-latines à cause de leurs terminaisons en -o, -a ou ez, sans parler de noms bien bretons qui partagent 100 % de leur forme avec des noms complètement étrangers parfois bien au-delà des frontières de l’Europe : mais l’habit ne fait pas le moine ! Le -o final des patronymes du Sud sont la terminaison habituelle du masculin singulier alors qu’en finale des patronymes bretons ils représentent soit un pluriel ou la fin d’un hypocoristique et sont prononcés ow, aw ou ëù, soit un -w étymologique prononcé o bref après consonne. N’oublions pas que ces mêmes noms en Bretagne ont une étymologie bretonne ancienne.

Breizh-info.com : Votre travail est un travail important concernant la mémoire populaire bretonne. En quoi est-il pour vous important de savoir d’où l’on vient, à une heure où certains font tout pour gommer les origines ?

Dominique ALLAIN :  Question difficile. J’ai mes sentiments et mes choix personnels, que ne partage pas tout le monde, mais l’évolution du monde est telle qu’on peut se demander si savoir d’où l’on vient est vraiment utile pour savoir où l’on va vu que de moins en moins l’on ne le choisit librement, culturellement, politiquement et surtout géographiquement en fonction de diverses contraintes réelles ou imaginaires. Je pense néanmoins que connaître ses origines (profondeur temporelle plus ou moins grande) peut éviter des tendances trop catégoriques à l’exclusion mais aussi éviter l’amnésie organisée qui transforme l’individu en suiveur soumis, à qui l’on impose des identités collectives officielles et des solidarités à géométrie variable. Les mémoires locales et les solidarités qu’elles peuvent stimuler sont comparables aux pierres (un peu rugueuses) qui dans un seau résistent mieux à la pesanteur que les grains de sables individualisés. Il est plus facile pour un pouvoir abusif de gérer et d’ « utiliser » les grains de sables que les pierres. Si évolution il y a elle doit peut-être se faire sans perdre certains acquis du passé et sans suivisme béat, négativement niveleur.

Propos recueillis par YV

Crédit photo : DR (photo d’illustration)
[cc] Breizh-info.com, 2022, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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2 réponses à “Dominique Allain : « Beaucoup de Bretons ignorent l’origine de leur patronyme » [Interview]”

  1. François THEOBALD dit :

    Je vais m’empresser d’acheter ce livre dont le contenu s’annonce passionnant.
    La diversité du patrimoine linguistique, toponymique (noms de villages, lieux-dits, rivières, rues et routes) et étymologique des noms de famille est une richesse incomparable de la France qu’il faut conserver et promouvoir.
    Je suis un Lorrain 100 % depuis le 16è siècle, Mais avant qui étions nous : des Celtes, des Romains, des Germains, des Francs ? Grand mystère !
    Je me suis aperçu au cours de mes voyages à l’étranger que les toponymes avaient une résistance étonnante à l’érosion des siècles, même quand les populations qui avaient nommé ces lieux avaient disparu.

    • Jean Bidel dit :

      Malheureusement il est un peu tard pour la toponymie : le rouleau compresseur des remembrements est passé par là !
      Chaque parcelle avait un nom propre ( près de chez moi un exemple de 2 noms de parcelles : la “.bataille ” et le champ de “.la duchesse Anne ” ) , chaque chemin rural – une bonette en gallo – avait un nom , chaque source alimentant une fontaine également était nommée .
      Qui s’en souvient aujourd’hui ? L’arasement des talus et l’uniformisation des surfaces cultivables a aussi été l’enterrement de la mémoire des anciens ; les plus jeunes ne s’y intéressent pas et le nouveau cadastre a gommé ces noms particuliers .
      Seule source encore disponible : les vieux actes notariés , ventes et successions .

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