Les éditions Ars Magna viennent d’éditer une petite brochure de 45 pages signée Sylvain Roussillon intitulée « La tentation fasciste des Républicains Irlandais (1938-1961) » (à commander ici)
Tragique, héroïque, romantique, la lutte des nationalistes irlandais a suscité en France et dans le monde bien des soutiens et des adhésions. Portée par le cinéma ou la musique, cette cause nationale et révolutionnaire, dirigée contre la perfide Albion, est en effet de nature à susciter bien des enthousiasmes.
Mais, à y regarder de plus près, une fois enlevée la cagoule des paramilitaires, la réalité de ce nationalisme irlandais apparaît bien plus clivante que ne le laisse supposer la légende romanesque. Ses références idéologiques sont bien davantage Marx et Guevara que Barrès, Maurras ou Peron, ses modèles politiques se nomment Mandela ou Castro, ses alliés sont à rechercher du côté de l’ETA, du PKK et des factions les plus marxistes de l’OLP. Certaines prises de position récentes des dirigeants du Sinn Fein, flirtent avec un wokisme qui n’a rien à envier aux pires dérives de la gauche américaine.
Cette cause irlandaise n’a décidément plus rien à voir, aujourd’hui, avec un nationalisme enraciné, identitaire, social, attaché à une souveraineté politique et culturelle.
Mais cela n’a pas toujours été le cas. Il fut un temps où les combattants irlandais de l’IRA recherchaient des alliances, pas uniquement tactiques, du côté de l’Allemagne, et où les plus radicaux de la lutte nationale lorgnaient vers Mussolini, Salazar et Franco à la recherche d’une Irlande unifiée, catholique, corporative et fasciste.
C’est ce pan de 20 années d’une histoire oubliée que cette brochure se propose de vous faire découvrir.
Pour en discuter, nous avons interviewé Sylvain Roussillon.
Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Sylvain Roussillon : Né en 1965, j’ai longtemps été militant d’Action Française. Cofondateur de l’ISSEP, je consacre une bonne partie de mon temps libre à écrire. Je conserve d’une formation d’autodidacte une grande curiosité pour des sujets extrêmement variés. J’ai notamment publié un livre sur les volontaires étrangers de Franco, sur les colonies allemandes, sur la guerre de 1812 aux Etats-Unis ou encore sur le proto-communisme français, et plus récemment, aux éditions Ars Magna, sur les fascismes russes. Je participe aussi volontiers à quelques revues de « notre camp », au sens large du terme.
Breizh-info.com : Le fascisme en Irlande est un sujet, y compris là-bas, particulièrement tabou. Qu’est-ce qui vous a amené à effectuer vos recherches sur le fascisme irlandais, et à publier cette brochure ?
Sylvain Roussillon : Les « troubles » en Irlande du Nord, comme il est d’usage de le dire, ont contribué à forger ma propre conscience politique. J’avais 16 ans au moment des grèves de la faim des prisonniers républicains de Maze, et cette tragédie a été pour beaucoup dans ma prise de conscience politique. Mon intérêt, jamais démenti, pour l’Irlande, date de cette époque. Je travaille, depuis quelques temps à un ouvrage sur un des aspects de cet affrontement, la communauté unioniste en l’occurrence, et je me suis d’ailleurs rendu à Belfast, (London)Derry et dans le nord de l’Ulster. Dans le cadre de mon travail et de mes recherches, j’ai été amené à explorer cette histoire singulière du républicanisme irlandais, celle qui a vu certains de ses protagonistes, et non des moindres, se tourner à une époque vers des références politiques corporatistes et fascisantes, voire fascistes. Effectivement, le sujet est à la fois tabou, car les soutiens à la cause irlandaise font mine de l’ignorer, et peu connu car occulté par les Irlandais eux-mêmes. Je voulais simplement, au départ, rédiger un article sur le sujet, mais, la matière aidant, l’article s’est transformé en brochure.
Breizh-info.com : Quelle fut l’influence réelle de ces fascistes irlandais ? Quelles furent leurs relations avec les Collins, De Valera, Pearse ou autres Connolly ?
Sylvain Roussillon : L’histoire irlandaise, comme beaucoup d’histoires au demeurant, est souvent écrite à coup d’exaltation et d’occultation. Il est ainsi de bon ton de brosser le portrait d’un peuple « progressiste », engagé dans une lutte de libération nationale de longue haleine. En réduisant ainsi l’histoire de ce pays à ces quelques clichés vendeurs, on en oublie sa fidélité passée à la cause jacobite (il y aurait d’ailleurs un bel ouvrage à écrire sur le sujet), son attachement au catholicisme et à la tradition. Je suis par exemple toujours surpris que, lorsque l’on évoque l’Insurrection de la Pâques 1916, on cite uniquement les combattants des Irish Volunteers ainsi que les volontaires féminines du Cumann na mBan, les cadres et officiers de l’Irish Republican Brotherhood et les socialistes de l’Irish Citizen Army. Les combattants des Hibernian Rifles, un groupe paramilitaire catholique et nationaliste « de droite », sont assez systématiquement oubliés, même s’ils représentaient près de 10% des effectifs des insurgés dans la Poste centrale de Dublin. Soyons honnête, ils sont cités, pour mémoire et une seule fois, dans un des textes explicatifs du musée de la Poste, là où tous les autres protagonistes disposent d’une ou deux vitrines pour perpétuer leur souvenir.
Et même au sein des Irish Volunteers puis, ultérieurement de l’IRA, les biographies de ceux qui, tout en étant d’authentiques nationalistes, n’adhéraient pas à une vision progressiste et socialisante de l’Irlande sont occultées ou tronquées. Je suis par exemple toujours outré de la caricature qui est faite d’Eoin O’Duffy, qui dans les années 30 fut à l’origine d’un mouvement corporatiste connu sous le nom de Blueshirts. L’homme a sa part d’ombre, mais de là à masquer systématiquement son passé de général de l’IRA, défenseur du quartier catholique des Falls de Belfast contre les assauts des paramilitaires protestants, il y a plus que de l’oubli : il y a carrément une volonté de réécriture historique. J’ajoute que je me contente d’évoquer O’Duffy dans ma brochure, puisque, de mon point de vue, par son adhésion au Traité de Londres de 1921, il cesse de se rattacher formellement au républicanisme irlandais, même si son appartenance au nationalisme ne fait, elle, pas débat. J’ai privilégié l’étude de deux mouvements, républicains assumés, le Córas na Poblachta (Système républicain) et surtout les Ailtirí na hAiséirghe (Architectes de la Résurrection).
L’influence des fascistes irlandais a été marginale, mais réelle, notamment sur certaines franges ou catégories de la population. Marginale, parce que leur courte existence ne leur a pas permis un grand rayonnement, mais réelle parce qu’ils surent attirer l’attention et la sympathie de personnalités parfois emblématiques du camp républicain et nationaliste. Partisans eux-mêmes de la réunification de l’Irlande et de l’abrogation du Traité de Londres, ils vont réussir à incarner, pendant quelques mois, le visage le plus radical et intransigeant, face aux Britanniques, du nationalisme irlandais. A ce titre, leur influence sera certaine parmi les prisonniers de l’IRA et leur famille. C’est notamment le cas de ceux qui sont détenus dans la prison du Curragh Camp, dans le comté de Kildare, mais aussi au sein des groupes culturels et linguistiques gaéliques, et plus globalement au sein de la communauté militante. Les autorités irlandaises en feront la délicate expérience le 8 mai 1945, lorsque la célébration de la victoire des Alliés par les étudiants, majoritairement protestants et pro-britanniques de Trinity College, est attaquée par des militants des Ailtiri et que la journée dégénère en émeute, embrasant les quartiers républicains dans lesquels on arbore pour l’occasion des drapeaux irlandais mêlés à des drapeaux à croix gammée. D’autres émeutes, moins graves, mais impliquant toujours les Ailtiri, éclatent en août à l’annonce des bombardements d’Hiroshima et Nagasaki.
A la fois républicains et nationalistes, les fascistes acceptent l’ensemble des figures qui constituent le panthéon du républicanisme irlandais. C’est même vrai pour le leader socialiste Connolly, puisque sa propre fille, Nora Connolly O’Brien, militante syndicaliste et révolutionnaire, ancienne correspondante de Trotsky, n’hésite pas à rejoindre les rangs d’un Córas na Poblachta, qui proclame sa volonté de « détruire les institutions maçonniques en Irlande » et d’instaurer un gouvernement sur « une base corporatiste ou fasciste ».
Il y a cependant un bémol pour De Valera, le seul parmi ceux que vous mentionnez dans votre question à être encore en vie à cette époque. De Valera, en tant que chef de file des anti-Traité de Londres, s’est aliéné les nationalistes qui avaient suivi Collins, puis en acceptant finalement de jouer le jeu des nouvelles institutions nées du Traité, il s’est aliéné les plus républicains des nationalistes. Par ailleurs, afin d’illustrer des ambiguïtés irlandaises, rappelons qu’Eamon de Valera présentera ses condoléances, en tant que Chef du gouvernement, à l’ambassadeur d’Allemagne à l’annonce de la mort d’Hitler.
Breizh-info.com : Pendant la Seconde Guerre mondiale, une partie des nationalistes irlandais s’est, comme ceux de Bretagne par exemple, tournée par opportunité vers l’Allemagne. Racontez-nous.
Sylvain Roussillon : Le parallèle avec le nationalisme breton est en effet judicieux. On peut certes voir dans cette attitude, une sorte d’effet d’aubaine, sur le registre du « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Et c’est d’ailleurs en partie le cas. Les manifestations de joie qui éclatent dans les quartiers catholiques des Falls, à Belfast, ou du Bogside, à (London)Derry, à l’annonce des premières victoires allemandes en 1940, face aux alliés anglo-français, en sont une bonne illustration, tout comme les innombrables badigeons de croix gammées qui fleurissent à la même période sur les murs et les palissades de Dublin. Mais la conjoncture ne fait pas tout. L’ancien député du Sinn Fein et vétéran de l’IRA, Liam de Róiste, écrit à la veille de la guerre : « Ceux qui continuent à penser dans les termes de la Démocratie d’avant 1914 vivent dans le passé […]. Le communisme, le national-socialisme, le fascisme ont amené les hommes à des choses plus fondamentales : à des questions plus claires quant aux buts de la vie et de l’existence […]. Les politiciens d’Angleterre et de France, avec leurs liens avec la finance juive, sont aveuglés par leur haine contre le régime allemand et la montée en puissance de l’Allemagne ».
L’analyse de Liam de Róiste ne relève plus de la seule conjoncture ou du contexte. C’est aussi un sentiment qui est partagé au sein de l’IRA, et au plus haut niveau, avec Seán Russell, le chef d’état-major de l’organisation paramilitaire. Celui-ci va nouer des liens avec l’Allemagne – il trouvera d’ailleurs la mort à bord d’un U-Boot en août 1940 alors qu’il rentre d’une période d’entraînement dans un des camps d’entrainement allemands de la Division Brandenburg, chargée des opérations spéciales de l’Abwehr. Il ira même jusqu’à déclarer la guerre au Royaume-Uni. En effet, l’IRA se considère alors non seulement comme une armée véritable, mais aussi comme le seul gouvernement légitime d’Irlande. Cette guerre, connue sous le nom de « plan S », dure du mois de janvier 1939 à celui de mars 1940. Près de 300 attentats vont ainsi frapper le territoire britannique. Les successeurs de Seán Russell à la tête de l’IRA poursuivront dans cette veine, et un projet, connu sous le nom de « Plan Kathleen » ou encore « Plan Artus », prévoyant un débarquement allemand en Ulster, près de (London)Derry, accompagné d’une mobilisation de l’IRA et d’un soulèvement des quartiers catholiques, est mis à l’étude.
Breizh-info.com : Quid du fascisme en Irlande après la guerre et avant la période des Troubles ?
Sylvain Roussillon : Le seul mouvement ouvertement fasciste à atteindre l’année 1945, celui des Ailtirí na hAiséirghe, devient rapidement inopérant, ne survivant qu’à travers son journal, Aiséirí (Résurrection) et ce, jusqu’en 1975. Après la fusillade meurtrière du Bloody Sunday, en janvier 1972, Aiséirí n’hésitera pas à réclamer le bombardement du port de Belfast (dans la zone protestante de la ville, faut-il le préciser…) pour en faire un “nouveau Pearl Harbour”. Les anciens militants du mouvement s’éparpilleront au sein des différents partis politiques irlandais mais aussi au sein de l’IRA. C’est ainsi que Seán Treacy, député travailliste de 1961 à 1997, président de l’assemblée irlandaise à deux reprises, député européen membre du Parti Socialiste Européen de 1981 à 1984, compte parmi les anciens des Ailtiri. C’est aussi le cas du président du Conseil militaire de l’IRA, Paddy J. McLogan, qui prend la présidence du Sinn Fein en 1950 et ramène ainsi durablement l’organisation politique dans le giron du groupe armé. Son successeur à la tête du Sinn Fein, de 1952 à 1954, Tomás Ó Dubhghaill, est, lui aussi, un ancien des Ailtirí na hAiséirghe. L’IRA reste en effet sur les positions idéologiques adoptées à la fin des années 30, et le nouveau chef d’état-major, Tony Magan, ne craint pas d’écrire en 1949 qu’il veut créer une « nouvelle armée, composée de volontaires uniquement dédiés à réunifier l’Irlande par la force, sans la souillure du communisme ». On est alors loin des futures dérives maxistes-léninistes qui vont caractériser l’IRA à partir des années 60.
Pour la petite histoire, le plan de bataille mis en place par l’IRA Provisoire pour sa campagne sur le sol britannique, à partir de 1974, est une reprise presqu’à l’identique de celui mis en place par Seán Russell en 1939. Mais, sur le plan idéologique, tous les mouvements paramilitaires catholiques irlandais durant les Troubles, qu’il s’agisse de l’IRA Provisoire, de l’IRA Officielle, de l’INLA ou de l’IPLO, sont à ranger dans les rangs de la gauche radicale marxiste ou marxisante.
Breizh-info.com : Aujourd’hui, lorsque l’on voyage au Nord comme au Sud de l’Irlande, il est rare de trouver politiquement les descendants de ces fascistes irlandais. Le mouvement républicain tend largement à gauche, et les partis dits « d’extrême droite » peinent à exister…Ce qui est moins le cas d’ailleurs chez les unionistes, pour qui la tentation identitaire est plus forte. Comment l’expliquez-vous ?
Sylvain Roussillon : En effet, actuellement en Irlande, il n’y a pas vraiment d’héritiers de ce courant de pensée. C’est un peu comme si l’idée identitaire, par ailleurs très forte, avait été préemptée par toute la classe politique irlandaise. Il est vrai que les trois principaux partis de la république d’Irlande, les trois partis historiques que sont le Fine Gael, le Fianna Fail et le Sinn Fein, sont tous issus du même creuset nationaliste, et que tous mettent en avant ce passé. Je pense aussi que, si le sentiment identitaire semble bien plus fort au sein de la communauté protestante, c’est parce que cette communauté se sent doublement menacée. D’une part, à cause de la démographie catholique, et d’autre part à cause du peu d’empressement montré par Londres à défendre les siens. La question des frontières, à la suite du Brexit, n’est pas pour rien dans le raidissement identitaire que l’on peut constater, notamment à Belfast et, en particulier, dans le quartier protestant de Fountain, à (London)Derry.
Breizh-info.com : Le mot de la fin ?
Sylvain Roussillon : Il n’y a objectivement pas de raison pour que, en République d’Irlande au moins, un mouvement de type identitaire n’émerge pas. Et ce d’autant que, dans certaines grandes villes, et surtout à Dublin, la pression migratoire extra-européenne est de plus en plus forte et de plus en plus visible. De plus, je pense que les dérives wokistes de la société irlandaise, fortement encouragées par le Sinn Fein, pourraient peut-être encourager, comme on le voit partout ailleurs en Europe, l’émergence de courants identitaires.
Le nord connaît d’autres problématiques, et la situation entre les communautés catholiques et protestantes, si elle est pacifiée, est loin d’être normalisée. Par ailleurs, avec l’augmentation du niveau de vie des catholiques, je pense que l’identification des représentants de cette communauté avec l’ensemble des luttes révolutionnaires et tiers-mondiste finiront par lasser. C’est en tous les cas à souhaiter !
Propos recueillis par YV
Crédit photo : DR
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Une réponse à “Sylvain Roussillon : « L’influence des fascistes irlandais a été marginale, mais réelle, notamment sur certaines franges ou catégories de la population » [Interview]”
Les nationalistes irlandais les plus radicaux auraient lorgné vers Franco. Pas faux mais à nuancer.
« Mené par O’Duffy et des officiers irlandais, le contingent irlandais (aux côtés de Franco pendant la guerre d’Espagne) refuse de lutter contre l’Eusko Gudarostea basque, les Galiciens ou les séparatistes catalans, voyant un parallèle avec leur récente lutte. Ils considèrent qu’ils vont combattre le communisme, plutôt que défendre l’intégrité territoriale de l’Espagne. »
D’après Wikipédia.