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Julian Cuvilliez étudie, fabrique, et joue de la Lyre celtique : « L’identité d’un peuple est tributaire de sa manière de conserver et de transmettre sa mémoire » [Interview]

C’est un entretien inédit et passionnant que nous vous proposons ci-dessous. Un entretien fruit d’un dialogue et d’une découverte, celle de l’atelier Skald, basé à Morlaix en Finistère. Un atelier spécialisé dans la fabrication de lyres et la reconstitution instrumentale de l’Antiquité au Moyen-Age. Mais un atelier de lutherie qui entend conjuguer une approche « macro » de la musique, de ses origines, des instruments, et ce qui l’entoure, en adoptant une démarche scientifique, artisanale et artistique.

C’est donc à un travail acharné (et particulièrement chronophage) que s’attèlent Julian Cuvilliez et sa compagne Audrey Lecorgne toute l’année. Un travail sous plusieurs formes, qui passe par la recherche scientifique et musicale avec le PRIAE (Pôle de Recherche et d’Interprétation Archéologique Instrumentale), qui a, entre autres, étudié l’unicité de la harpe d’Alan Stivell fabriquée, quasiment par miracle, par son père. Mais aussi par l’atelier Skald, ou encore par Ar Bard, projet musical à découvrir ci-dessous.

Julian Cuvilliez est, avec sa compagne, une forme de maître d’oeuvre de la musique : remonter à la source de nos racines, pour y découvrir des savoirs et des objets qui nous étaient jusqu’ici inconnus ou méconnus. Et les faire revivre, ensuite, après étude, sous des formes totalement futuristes. On est là totalement dans ce que l’on peut nommer un projet archéo futuriste. Et comme nous sommes curieux, nous avons voulu en savoir plus, en interrogeant Julian Cuvilliez, qui impressionne, lorsqu’on lui parle, par la maîtrise de sa science et de ses savoirs.

Breizh-info.com : Pouvez vous vous présenter ainsi que votre formation à nos lecteurs ?

Julian Cuvilliez : Avec ma compagne Audrey Lecorgne, nous sommes archéomusicologues, spécialistes des musiques antiques, présidente et directeur du Pôle de Recherche, d’Interprétation et d’Archéologie Expérimentale. Chaque année, nous dirigeons plusieurs missions scientifiques dans le monde entier (Égypte, Grèce, Allemagne, Écosse, etc) visant à inventorier, étudier et reconstituer les instruments de musique de l’Antiquité et du Moyen Âge.

Audrey Lecorgne (Archéomusicologue et Luthière) en train de fabriquer une lyre gauloise d’après le Buste du Barde à la Lyre sur lequel figure la plus ancienne représentation de l’instrument découvert sur le territoire breton.
Crédits : Nicolas Breton – Audrey Lecorgne

Luthière de l’Atelier Skald et fondatrice de la Lyre Academy, Audrey Lecorgne a notamment permis le retour de la lyre celtique dans les cycles d’enseignement et dans les conservatoires et enseigne la discipline de l’archéologie expérimentale appliquée à la facture instrumentale. Depuis 20 ans, nous fabriquons avec ma compagne des instruments pour des concertistes du monde entier, ainsi que pour des conteurs, des musées, des unités mixtes de recherche, des productions de cinéma, etc.

Auteurs, compositeurs et musiciens multi-instrumentistes, nous sommes également fondateurs d’Ar Bard Production et dirigeons plusieurs ensembles internationaux (Antika, The Dragon and the Dove) notamment spécialisés dans la composition de bandes originales de films (Odysséa, Le Pacte Gaulois) récemment récompensées en festivals à Cannes, Londres et notamment à Los Angeles par Best Music Award.

Julian Cuvilliez (Directeur du Pôle de Recherche d’Interprétation et d’Archéologie Expérimentale) et John Kenny (Musicologue et enseignant à l’Académie Royale de Londres) dirigeant une étude à la National Library of Scotland consacrée aux Manuscrits d’Inchcolm Antiphoner rédigés au XIIème Siècle par les moines de la lignée de St Colomban et qui présentent les plus anciennes sources écrites de la musique pratiquée par l’église Celtique.

Breizh-info.com : Est-il difficile de transmettre cet art si particulier ?

Julian Cuvilliez : J’enseigne la pratique de cet instrument qu’est la Lyre depuis une quinzaine d’années et j’ai toujours été impressionné de constater la rapidité avec laquelle les personnes s’approprient l’instrument, parvenant à des résultats en une heure ou deux de stage. Malgré sa simplicité apparente, l’instrument garde toute sa complexité et, que ce soit sur le terrain des arts ou de l’enseignement, je n’ai pas encore réussi à m’ennuyer avec une lyre. Je crois que c’est précisément ce qui séduit les gens, la simplicité de cette musique originelle est un véritable retour aux sources qui renvoie vers une musique ancestrale, nue et sacrément simple ou, pour qui sait voir, simplement sacrée.

Breizh-info.com : Que proposez vous vous aujourd’hui en terme de formation ?

Julian Cuvilliez : Nous recevons chaque année des étudiants en classe préparatoire pour l’école Boule et/ou les Gobelins. Nous intervenons également en contexte universitaire, notamment à l’université de Montpellier III, et recevons régulièrement en stage des étudiants en master d’archéologie ou de musicologie.

Breizh-info.com : En quoi la musique ancienne et traditionnelle est-elle fondamentale en Bretagne ?

Julian Cuvilliez : L’identité d’un peuple est tributaire de sa manière de conserver et de transmettre sa mémoire. Aussi, à l’image du grillo d’Afrique, du skald du nord et de l’aède grec, le barde et la bardesse de l’antiquité armoricaine, et plus tard chez les Bretons, occupaient une place centrale et sacrée et se trouvaient au cœur même de ce système de transmission qui, d’après les nombreux témoignages que nous ont légués les auteurs antiques et médiévaux, reposait non pas sur une littérature mais sur une orature dont la versification et la musique servaient de support et de système mnémotechnique.

Sabah Abdel Razek (Conservatrice du Musée Égyptien du Caire) et Julian Cuvilliez (Directeur du Pôle de Recherche d’Interprétation et d’Archéologie Expérimentale) dans le cadre d’un partenariat franco-égyptien autour d’un inventaire numérique des instruments antiques.
Crédits : PRIAE – Julian Cuvilliez

Je prends toujours beaucoup de plaisir à regarder un Fest-noz qui, loin d’un « Folklore nécrosé et moribond », jouit et témoigne d’une tradition bien vivante où se mêlent des danses millénaires aux accents de guitare électrique et des tables de mixage, et où se côtoient toutes les générations afin de célébrer en musique la noce des temps.

Les trois chants sacrés du barde que décrivent les textes antiques, celui qui fait rire, dormir et pleurer, renvoient à qui sait voir à certains canons de la musique traditionnelle encore en usage de nos jours et qui sont : le Sonerion, la Gwerz et la Luskellerezh, faisant apparaître en ombre chinoise toute l’ancestralité de la Bretagne et de l’Armorique ancienne, teintée de couleurs profondément celtiques et rappelant toute l’importance que représente la musique, fleuve millénaire et ininterrompu d’un pays où, 2000 ans plus tard et d’aussi loin qu’on s’en souvienne, le chant est toujours Roi.

Breizh-info.com : Votre projet artistique, Ar Bard, est-il lié à ce souhait de remettre cette musique au goût du jour ?

Julian Cuvilliez : Je ne sais pas si on peut ou doit remettre cette musique au goût du jour, parce que ce serait prendre le problème à l’envers et considérer dans une vision très actuelle que cette musique venue du fond des âges était un art qui se suffisait à lui-même là où, vraisemblablement, son usage la plaçait plutôt en qualité de moyen et de support et non de finalité.

À mon sens, le vrai challenge n’est pas de remettre cette musique au goût du jour ni de vouloir destiner à des gens d’aujourd’hui des procédés conçus pour des gens d’autrefois, cela limiterait cette approche au seul trait esthétique, privilégiant la forme au détriment du fond.

Le vrai challenge ne consiste pas non plus (ou pas seulement) à tenter de reconstituer cette musique, chose qui n’a d’intérêt que sur le terrain de la science et de l’étude et qui, à mes yeux, permet seulement de comprendre au mieux ses problématiques et ses “chants” d’action afin de leur offrir au mieux une continuité.

Les différents projets de Ar Bard Productions (Album Aremorica 2017, collaboration artistique – Alan Stivell sur son dernier album Human Kelt dont j’ai le plaisir de compter parmi les invités, concerts avec Carlos Nuñez lors de sa tournée 2020, composition de bande originale de film, Odyssea commandé par le Musée Archéologique d’Aubechi ou encore, The Dragon and the Dove commandé par le Musée Royal de Mariemont) tendent à alimenter la place de la lyre sur la scène actuelle et par des moyens actuels. Je pense qu’il revient aux artistes d’être des passeurs et de tenter de faire humblement ce que fait l’humain depuis toujours par l’outil des arts : conjuguer au présent un écho millénaire, utiliser les façons d’autrefois pour ravir les cœurs d’aujourd’hui et, qui sait, peut-être inspirer les âmes de demain.

Propos recueillis par YV

La harpe celtique d’Alan Stivell numérisée et sauvegardée

La harpe celtique d’Alan Stivell est un instrument de légende copiée dans le monde entier. Conçue en 1953 par Jord Cochevelou, le père d’Alan Stivell, la Telenn Gentañ (« première harpe » en breton) a accompagné le leader de la musique bretonne tout au long de sa carrière.

Et c’est sa spécificité qui a fait son succès, et le fait que depuis, des milliers de harpes celtiques sont fabriquées chaque année dans le monde sur son modèle… L’industrie internationale de la facture instrumentale a en effet manifesté un grand intérêt pour cette forme de harpe, au point de presque éclipser l’inventeur de génie à l’origine de sa création qui ne s’attendait surement pas à un tel engouement.

Mais ce succès musical a toujours interrogé : qu’est-ce qui rendait cette harpe celtique totalement différente, et unique ? L’étude de cette harpe a été réalisée justement par Julian Cuvilliez et son équipe qui ont monté un projet baptisé Infinity Project, afin de sauvegarder pour l’éternité ce monument de la musique celtique.

Avec le concours d’ingénieurs et d’un laboratoire, le couple a numérisé en 3D la harpe celtique d’Alan Stivell grâce à un scanner, tout en utilisant la photogrammétrie pour restituer ses couleurs et sa texture. Puis la harpe a été passée au tomodensitomètre, un scanner médical de pointe qui permet de voir à l’intérieur de l’instrument et révèle toutes ses méthodes de fabrication, avec une fidélité au dixième de mm. Et les résultats sont complètement fous : ils confirment le savoir faire du papa d’Alan Stivell, alors que ce dernier n’avait pas la moindre formation de luthier. Et il a pourtant su créer une harpe celtique magique…comme si telle était sa destinée pour y préparer son fils finalement.

Pour suivre les travaux, recherches, et évènements de cette équipe de chercheurs et d’artistes, c’est ici sur leur chaine Youtube

Crédit photo : DR

[cc] Breizh-info.com, 2023, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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Une réponse à “Julian Cuvilliez étudie, fabrique, et joue de la Lyre celtique : « L’identité d’un peuple est tributaire de sa manière de conserver et de transmettre sa mémoire » [Interview]”

  1. Élisabeth lefebvre dit :

    Extraorinaire reportage ! Original et magnifique extrait musical ! On remonte à la nuit des temps celtiques !

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